Inédit ! 1.500 cultivateurs de cannabis venus de tous les douars de la province de Chefchaoun ont créé l'événement au Maroc le 5 avril à Bab Berred. Tous ont répondu à l'appel du Parti Authenticité et Modernité (PAM) pour participer à ce meeting dans le but « de trouver des solutions réalistes aux agriculteurs du kif et pour mettre fin à leurs souffrances ». C'est l'aboutissement du lobbying d'ONG des régions du Rif. Mais la partie est loin d'être gagnée. Historique Chakib Al Khayari, coordinateur de la Coalition marocaine pour l'utilisation du cannabis à des fins médicinales et industrielles écoute les témoignages poignants des agriculteurs et leur scepticisme face au projet de légalisation. L'homme qui a été l'un des premiers à avoir lancé ce débat qualifie cette rencontre de « historique » mais aussi de « surréaliste ». Khayari se rappelle de son procès en 2009. Il a été condamné pour avoir débattu de la légalisation du kif. « Parmi les chefs d'inculpation retenus contre moi c'était la défense de la légalisation. Aujourd'hui, c'est la gendarmerie royale qui veille au bon déroulement de ce débat. C'est un changement radical », estime-t-il. Depuis sa sortie de prison en 2011, Khayari peaufine un projet de loi pour légaliser le kif. Un texte est envoyé aux groupes parlementaires en 2012. Le PAM et le PJD se disent intéressés d'en savoir plus. Et c'est le PAM qui se décide le premier en organisant une journée d'étude au Parlement sur la question en décembre 2013. Par la même occasion, des concertations sont entamées avec les agriculteurs. Le meeting de Bab Berred était une première étape, suivra une deuxième phase en mai prochain. « Nous n'avons pas de réponses à toutes les questions. Ces rencontres servent à consolider notre dossier », explique Hakim Benchamach du PAM. Ce débat pose trois grandes questions ❚ L'ENJEU POLITIQUE Environ 48.000 cultivateurs du kif sont recherchés ou sont en état de fuite. « Ces chiffres ne sont pas contestés par le ministre de l'Intérieur. Les personnes concernées sont accusées et doivent donc prouver leur innocence », regrette Benchamach. D'où l'Appel de Chaoun. Ses 19 organisations signataires réclament « des mesures de réparations pour stopper les poursuites à l'égard des cultivateurs ». En clair, partis et associations signataires exigent une grâce pour ces agriculteurs et leurs familles. Benchamach propose une grâce parlementaire et non royale. « Il faut que le parlement assume ses responsabilités », insiste-t-il. Pour Me Naoufel Bouamri de l'USFP, « la grâce doit être royale, pour éviter tout malentendu ». La proposition de grâce est accueillie avec bienveillance par les agriculteurs. « Cet acte de bonne volonté ne doit pas être conditionné par l'arrêt de cette culture », préviennent-ils. De son côté, le ministère de l'Intérieur observe ces joutes. « Nous tenons à appliquer la loi. Quand, il y aura un changement législatif, nous nous y conformerons », nous déclare une source autorisée de ce département. La culture du cannabis est passible d'un à vingt quatre mois de prison ferme, en plus d'amendes d'une valeur allant de 800 DH à des montants très lourds. L'ENJEU REGIONAL La deuxième question épineuse à laquelle tout projet de légalisation devrait répondre est celle des zones dédiées à la culture du cannabis. Faut-il limiter le périmètre de la culture du kif dans les zones « historiques » des tribus de Bni Khaled, Kettama, Jbala, Senhaja et Ghmara ? Ou bien la culture doitelle couvrir les régions de Taounat, Ouazzane et Larache qui ont connu le développement de l'agriculture du kif dans les années 90 ? Ou encore, peut-on étendre la culture à tout le Maroc ? Face à ces questions délicates, les partis politiques jouent la prudence. Les habitants des zones « historiques » brandissent le Décret royal de 1919 autorisant ces régions de cultiver le kif. Pour les parlementaires de la région, c'est un faux débat. « Les idées reçues sur le projet de régularisation sont véhiculées par un lobby composé de politiciens et de barons de la drogue pour préserver le statut-quo », avance Jamal Stitou, parlementaire de Bab Berred. Et ce député de trancher : « La légalisation ne doit concerner que les régions historiquement liées au kif ». Il n'empêche, la question demeure posée, surtout qu'un groupe d'agriculteurs de Doukkala annonce son intention de cultiver le kif dans cette région... L'ENJEU ECONOMIQUE « Le kif est le don de Dieu pour le Rif », lance en choeur les agriculteurs. Ces derniers s'inquiètent d'une baisse de leurs maigres revenus en cas de régularisation. Mohamed Boudra, président de la Région de Taza-Al Houceima, se veut rassurant : « La commercialisation pourrait se faire sous l'égide d'une Agence nationale de la culture du kif qui achètera obligatoirement les récoltes. Les agriculteurs seront tenus de vendre exclusivement à l'Etat mais à un prix fixe », propose Boudra. L'usage industriel du kif est un sujet qui suscite nombre d'interrogations. « Le cannabis à usage industriel ou thérapeutique est très mal étudié au Maroc. Les hypothèses sur les utilisations alternatives possibles sont à relativiser », tempère Khalid Benomar de l'Agence du Nord (Lire son interview). Malgré toutes ces zones d'ombre, le PAM s'accroche à son projet. « Des études scientifiques et économiques sont menées par nos experts sur ces questions. Pour l'heure, nous avons une seule certitude, les différents projets de développement de ces régions ont échoué car ils n'ont pas pris en compte la composante du kif », conclut Benchamach. KIF UNE ECONOMIE À DOUBLE VITESSE Ménages vivant de la culture du kif : 90 000 Surfaces cultivées : 47 500 ha (en recul de 40% par rapport à 2004) Rendement du kif : 459 kg/ha (en bour) et 1 821 kg/ha (en irrigués) Production de kif : 53 300 tonnes Prix de vente du kif : 50 DH/kg Prix de vente de la résine du kif : 4000 DH/kg Revenu brut du kif par famille : Entre 20 000 et 40 000 DH/an. Lire aussi : http://lobservateurdumaroc.info/2014/04/24/dans-les-regions-du-cannabis-sur-la-piste-des-48-000-wanted/ http://lobservateurdumaroc.info/2014/04/24/la-legalisation-du-cannabis-nest-pas-viable/