Annoncé par le gouvernement le 11 mars dernier, le programme « Forsa » est officiellement lancé dans l'ensemble des régions du Royaume. Doté d'une enveloppe de 1,25 milliards de dirhams pour l'année 2022, le programme cible 10.000 projets dans l'ensemble des secteurs de l'économie nationale. Le dispositif d'accompagnement comprend une formation en e-learning pour tous les projets retenus, suivie d'une incubation de 2 mois et demi au profit des projets les plus innovants. Quant au financement, il consiste en un prêt d'honneur à taux «0», allant jusqu'à 100.000 DHS, dont une subvention de 10.000 DHS pour les projets retenus. Selon la ministre du tourisme, de l'artisanat et de l'économie sociale et solidaire, Fatim-Zahra Ammor, ce chantier mobilisera un réseau de partenaires solides au niveau des régions, notamment les Centres Régionaux d'Investissement (CRI), les organismes de microfinance et les incubateurs basés au niveau des régions. Elle ajoute aussi que le déploiement et la mise en œuvre du programme Forsa sont assurés par son ministère et pilotés par la Société Marocaine d'Ingénierie Touristique (SMIT). Forsa s'adresse à tous les Marocains résidant au Maroc ou à l'étranger, ainsi qu'aux non-Marocains résidant au Maroc et en situation régulière, à condition qu'ils soient âgés de 18 ans et plus. Les porteurs de projets ciblés peuvent ainsi être des auto-entrepreneurs, des coopératives ou de très petites entreprises, qu'elles soient nouvelles ou en activité depuis moins de 3 ans. Les projets portés par plusieurs membres (5 personnes maximum) sont également acceptés. L' intégration au programme ne nécessite aucun diplôme, qualification ou expérience. Tous les projets qui contribuent à la relance économique et au développement local sont éligibles, quel que soit le secteur d'activité : tourisme, artisanat, économie sociale et solidaire, culture, commerce, e-commerce, industrie, digital, agriculture, protection de l'environnement, santé, enseignement, éducation, sport, etc. Selon l'économiste Driss Aissaoui, « ce programme a été lancé pour promouvoir l'emploi des jeunes et leur insertion dans la vie active. Il ne s'agit pas uniquement de générer des emplois directs, mais plutôt la création d'entreprises, ce qui permettra aux bénéficiaires de devenir des acteurs économiques productifs dans la société ». Des critiques acerbes Depuis son lancement mardi dernier, le programme fait l'objet de vives critiques sur les réseaux sociaux. En matière de gouvernance, l'économiste et directeur de l'Observatoire du Travail Gouvernemental (OTRAGO), Mohamed Jadri, juge questionnable la décision de confier la gestion du programme à la SMIT. Un avis lié à la présence d'institutions nationales spécialisées dans l'investissement, mais aussi à la faible implantation territoriale de la SMIT. Il met également l'accent sur l'image floue des institutions économiques partenaires du programme, en ce qui concerne notamment l'octroi des prêts. Pour promouvoir le programme, le ministère a axé sa communication sur les jeunes en faisant appel à des influenceurs réputés. S'adressant à eux lors de la cérémonie de lancement, Fatima Zahra Ammor a déclaré: «Nous comptons sur vous et voulons que vous donniez notre parole à toute la jeunesse marocaine ». Elle a ensuite ajouté que tous les jeunes avaient des smartphones et que le ministère voulait que ces influenceurs soient des ambassadeurs du programme le afin d'en faire un succès. Ce choix a suscité une large polémique de la part des internautes, mais aussi des politiciens et économistes... Pour le politologue Mohamed Bouden, quand une affaire est liée à l'emploi et qu'un projet est porté par le gouvernement, il faudrait plutôt mettre en place une stratégie institutionnelle en s'appuyant sur des acteurs spécialisés, des associations actives dans le secteur, des professionnels du privé. « Faire appel à des influenceurs pour promouvoir un programme considéré comme un axe principal du Nouveau Modèle de Développement c'est «du jamais vu », fustige t-il non sans ajouter que « donner des chèques aux "influenceurs" est totalement inapproprié pour un travail institutionnel et montre un manque de vision ». Le politologue soulève la problématique d'accès à l'internet dans le monde rural et note que cela favorise une catégorie de jeunes bien définie au détriment d'une large frange de la population ciblée. Aussi, il soulève des interrogations sur les critères de sélection de ces influenceurs, sur la nature du message diffusé et sur leurs expériences dans ce genre d'opérations. De son côté la membre du bureau politique de l'Union Socialiste des Forces Populaires (USFP), Hanane Rihab a estimé dans un article sur sa page officielle que la décision du ministère est une opportunité pour les influenceurs et non pour les jeunes concernés. D'après elle, l'ironie réside dans le fait que le gouvernement démarre son programme en invitant des influenceurs et qu'il leur donnera une partie du budget de communication de 23 millions de dirhams. « Quel modèle le gouvernement souhaite-t-il commercialiser ? C'est de la pure création de contenu» juge-t-elle, évoquant également l'étrange similitude avec le programme Moukawalati dont le résultat a été l'emprisonnement de jeunes en raison de l'échec de leurs projets et de leur incapacité à payer les dettes bancaires. Un exercice courant Driss Aissaoui a un autre avis. Pour lui, il n'est pas facile de procéder à une communication directe à l'égard des jeunes et de leur expliquer l'intérêt d'un programme qui leur permettra de réaliser leurs ambitions entrepreneuriales. Opter pour les réseaux sociaux est donc primordial pour atteindre cette cible. Il souligne en outre que le recours aux influenceurs est un exercice de plus en plus fréquent dans la communication digitale. «Certes la communication publique et politique n'a pas toujours choisi d'impliquer des influenceurs. Mais aujourd'hui ce mécanisme a fait ses preuves dans beaucoup de domaines et ces personnes oeuvrent de manière assez remarquable » insiste t-il. Selon Driss Aissaoui, le gouvernement ne devrait pas avoir à débourser de l'argent pour enrôler de jeunes actifs sur les réseaux sociaux. Ceux-ci font leur travail de manière professionnelle et gagnent généralement leurs vies sur la base des clics.