Dans son décryptage paru ce mardi 1er février dans lexpress.fr, Frédéric Encel met l'accent sur les « lourds contentieux » entre « les frères ennemis », le Maroc et l'Algérie. L'auteur de l'atlas des frontières précise que « les reproches et les revendications proviennent surtout d'Alger ». L'auteur ne trouve d'autres explications à la rupture des liens diplomatiques avec Rabat, que «l'amertume algérienne devant la réussite de son voisin». Un voisin que le régime algérien représente «comme archaïque car monarchique, et faible de ne pas s'être décolonisé par la guerre», poursuit-il. Et d'ajouter : «la dynastie chérifienne a réussi l'exploit - quasi unique dans l'immense espace arabe - de demeurer indépendante face à l'Empire turc ottoman comme devant les puissances européennes, incarnant (un demi-siècle seulement) un simple protectorat jusqu'au retour à la pleine souveraineté dès 1956». Frédéric Encel explique que cette posture à la fois "viriliste" et victimaire du régime d'Alger permet à la caste des généraux, au pouvoir presque sans discontinuer depuis l'indépendance, d'autolégitimer sa propre férule et la répression de toute contestation. Par ailleurs, l'auteur relève que le choix opéré par le Roi Mohammed VI de reconnaître non plus seulement symboliquement, mais aussi constitutionnellement une triple culture, notamment arabe, berbère et juive, « exaspère le pouvoir algérien ». Ce dernier, fait-il remarquer, est « arc-bouté sur un narratif strictement étato-national et arabe ». Printemps kabyle Frédéric Encel souligne que le pouvoir algérien n'a jamais réglé socialement ni culturellement sa propre question berbère, et craint un nouveau printemps kabyle d'une ampleur inégalée. Plus prosaïquement, L'autre pose cette grande question : « L'amertume récurrente d'Alger ne provient-elle pas de l'échec d'un régime ayant adopté quantité de mauvais choix ? ». Sa réponse : « Le rejet de l'apprentissage du français après l'indépendance, qui a affaibli les capacités commerciales et l'aura diplomatique du pays - les professeurs d'arabe "importés" d'Egypte ayant ramené avec eux le fanatisme des Frères musulmans en contribuant à la terrible guerre civile de la décennie 1990 ; un système économique rentier, dirigiste et corseté par le FLN et l'armée qui a plombé un pays pourtant riche en hydrocarbures, dont les retombées n'ont jamais bénéficié à la population - d'où la récurrence et la force des mobilisations sociales jusqu'au récent Hirak ; le jusqu'au-boutisme dans le soutien politico-militaire aux militants sahraouis et dans l'intransigeance inopérante sur le conflit israélo-palestinien, qui isole un peu plus diplomatiquement un Etat déjà entouré à l'est et au sud d'Etats faillis... » Malgré tout, « en termes géostratégiques, l'Algérie verrait d'un bon oeil une "bi-océanité", autrement dit un accès privilégié à l'Atlantique via un Etat sahraoui qui lui serait redevable, sinon inféodé, tant elle aurait soutenu ses promoteurs. L'annexion et le solide contrôle du Sahara occidental ex-espagnol par le Maroc - déjà reconnus par nombre de capitales, y compris désormais Washington - interdisent évidemment cette perspective. », relève l'expert en géopolitique et spécialiste du Moyen-Orient. Première victime : le peuple algérien En indiquant que les Algériens voient en face de leur pays, leur voisin, le Maroc, qui, sans ressource naturelle commercialisable (sauf les peu lucratifs phosphates), a progressé en deux décennies, sur les plans aussi bien de la diplomatie, des infrastructures ou du commerce, en Afrique subsaharienne francophone notamment, s'offrant le luxe d'une chute sans violences du courant islamiste aux dernières législatives. Et Frédéric Encel de conclure : « au fond, si le Maroc est le commode bouc émissaire de cet entêtement dans l'échec du régime d'Alger, c'est bien le peuple algérien qui en est, hélas, la victime. » * Maître de conférences à Sciences-Po Paris et professeur à la Paris School of Business