Commissariée par Meryem Sebti, l'exposition collective « L'art, un jeu sérieux » rassemble plus de 80 oeuvres de 64 artistes contemporains parmi lesquels Mariam Abouzid Souali, Joy Labinjo, Simohamed Fettaka et GaHee Park. À travers une variété de médiums, d'oeuvres emblématiques de la collection et de nouvelles acquisitions, cette exposition explore la thématique du jeu dans l'art. L'art entre pratique ludique et artistique L'artiste ne serait-il pas cet enfant éternel qui s'initie au monde à travers le jeu ? Non seulement en créant son propre espace de représentation, borné cependant par celle toujours normative des adultes, mais en expérimentant le caractère arbitraire des règles et des codes qu'il est toujours loisible de transgresser. L'art pourrait au commencement se définir par cette scène imaginaire, cet espace fictif à travers lequel se vit la première expérience que nous avons du monde. Les sciences cognitives ont d'ailleurs depuis la naissance de la théorie psychanalytique insisté sur l'apport formateur de la pratique ludique. L'objet que l'enfant transforme en jouet devient selon Freud « quelque chose dont finalement il va faire une image ». « Le joujou est la première initiation de l'enfance à l'art, ou plutôt c'en est pour lui la première réalisation. » - disait Charles Baudelaire dans « Morale du joujou » en 1853. Dans l'oeuvre des artistes exposés, le jeu devient l'un des objets fétiches de la représentation, notamment picturale. Mais il ne se situe pas que dans les formes imagées. Jouer avec les signes, les significations, les matières, les techniques et les technologies ; l'activation de ces différents moyens traduit l'étendue de l'aire de jeu qu'offre la pratique artistique. Mariam Abouzid Souali, Berouita (brouette), série Rule of Game, 2017. Coll. Fondation Alliances - MACAAL Les sept « péchés mignons » Le parcours de l'exposition fait traverser au visiteur sept thèmes, sept catégories de jeux artistiques. Les oeuvres du duo Fouad Bellamine / Mohamed El Baz tout comme celles de Mariam Abouzid Souali évoquent l'enfance de l'art, représentations de souvenirs d'enfance qui convoquent tout à la fois joie ingénue et nostalgie du temps passé. Avec ses jeux graphiques qui déjouent les règles de la perspective, Chourouk Hriech se réapproprie le monde et en invente un nouveau, onirique, charmant imaginaire où l'accumulation des représentations nous plonge dans un joyeux chaos. L'inventaire du monde est-il impossible ? Là n'est pas la question. Connaissance du monde n'est pas une représentation exhaustive de celui-ci, mais la vision qu'en donne l'artiste Frédéric Bruly Bouabré, selon son désir et son imagination. La récupération et la transformation des matières et objets sont aussi des jeux, d'imagination, d'assemblage, de création. Qu'il parte de formes préexistantes ou qu'il s'amuse à les créer ex nihilo, l'artiste puise toujours dans un répertoire infini de signes, d'objets ou de matériaux qu'il transforme selon son bon vouloir. Ainsi, tandis que Malek Gnaoui reconstruit d'après nature, Calixte Dakpogan réassemble déchets et rebuts pour donner une seconde vie aux éléments glanés çà et là, tel cet alchimiste dont parle Baudelaire dans Les Fleurs du Mal, faisant dire au poète : « Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or. » Mariam Abouzid Souali, Berouita (brouette), série Rule of Game, 2017. Coll. Fondation Alliances - MACAAL L'art subversif dans tous ses états La section Subversions en tous genres s'attaque à la question de l'identité, des identités ou appartenances multiples. L'art est aussi ce jeu de rôle permanent, cet écran permettant tout autant de révéler que de masquer l'image que chacun se fait de soi. S'inspirant de photographies de famille, Joy Labinjo remet en question notre idée d'appartenance et notre notion d'identité, nous invitant à la repenser comme une construction plus fluide prenant en compte à la fois le passé et le présent, les subjectivités personnelles et collectives. Joy Labinjo, A Celebration of Sorts, 2019. Coll. Fondation Alliances - MACAAL Si l'identité est une quête permanente d'altérité, elle est aussi vertige. Dépossession, déprise, transe ou extase, l'art rejoue sans cesse les codes de la séduction. À ce petit jeu, GaHee Park excelle. Ses toiles sont le support de récits simultanés, dépeignant des scènes romantiques où l'idylle semble tourner court ou des actes équivoques en contradiction avec leur cadre pittoresque, ambiguïtés dont l'artiste se délecte. Subversif enfin, le jeu l'est surtout par sa dimension contestataire et profondément disruptive. Il fait voler en éclats les certitudes trop bien établies, détruit les représentations figées dans le marbre, renverse les pouvoirs symboliques et toute forme de domination. À travers sa série photographique La salle de classe mettant en scène ses élèves de façon énigmatique, parfois absurde, Hicham Benohoud interroge la société marocaine, son contexte social et politique, ses inégalités et ses paradoxes. Hicham Benohoud, Sans titre, série La salle de classe, 1994-2002. Coll. Fondation Alliances - MACAAL Autant de questions soulevées qui appellent autant la réflexion que l'introspection. Quoiqu'il en soit, le jeu témoigne surtout d'un rapport au monde décomplexé et joyeusement carnavalesque. Dans toute la portée subversive qui peut être la sienne, il nous confronte à un paradoxe jubilatoire : si tout est règle du jeu arbitraire, tout n'est-il pas alors permis jusqu'à l'absurde ? L'art, un jeu sérieux propose aux visiteurs un rapport au monde plus détendu et divertissant. En accord avec sa thématique, l'exposition s'accompagnera d'un programme éducatif et culturel riche et ludique comprenant des visites scolaires et visites guidées, des rencontres avec des artistes et acteurs culturels, des ateliers créatifs pour enfants et adultes et des événements hors les murs. De nouveaux outils de médiation seront mis en place pour les enfants et des micro-visites seront proposées pour approfondir une thématique ou l'oeuvre d'un artiste de l'exposition.