Dans quelques heures, bébé lancera son premier cri de vie. Le ventre de la maman est une arène de combat où le ftus se livre un match sans règles. Le médecin croule sous des litres de sueur et essaie tant bien que mal de délivrer la patiente. Le petit n'en démord pas. C'est un rebelle en herbe. Une naissance aussi farouche que la guerre du Golfe promet un nouveau venu à la scène des conflits parent-enfant. C'est sans conteste : le conflit des générations commence dès l'accouchement. Dès le 18e mois, le bébé se nourrit d'une pensée propre à lui et entreprend ainsi la quête de sa personne. La rébellion s'annonce maître du jeu et la suite de l'histoire épouse une existence à la Harry Potter où l'aventure et la révolte s'unissent pour le meilleur et surtout pour le pire. La crise enfonce le clou et empire la situation quand l'échange plie bagages et la communication rend l'âme. Les caractères souvent trempés des deux faux-ennemis, qui restent malgré tout deux éléments indissociables, font des étincelles et attisent des conflits où prime la différence par excellence. Mise dangereusement à l'épreuve, la fragilité du rapport parent-enfant désarme et prône la politique de l'autruche à souhait. Si ces éternels adversaires se font mutuellement mal et s'injurient au nom de tous les saints, la vérité est autre. Tôt ou tard, le masque de la discorde devrait tomber pour laisser place à une relation des plus saines, avec tout ce que le rapport parent-enfant pourrait offrir. L'autorité avive le feu que la révolte des enfants envenime au fil du temps. «L'autorité parentale est vécue différemment par divers parents. Alors qu'une première partie adopte un fonctionnement démocratique valorisant la négociation, la discussion et la remise en question, la deuxième opte pour le système autocratique en répondant à son narcissisme et en faisant de l'autorité le mot d'ordre. S'autonomiser psychologiquement est la première source de conflits quand les velléités d'indépendance ne sont pas au goût des parents» remarque Amine Benjelloun, pédopsychiatre. C'est un conflit qui ne dépend pas des cultures et des ethnies mais qui a une seule raison : la différence d'esprit. Quand plus rien ne va Naoual est la maman de deux filles âgées respectivement de 16 et 22 ans. Comme toute maman poule, elle ne conçoit pas le fait que ses «deux bébés », qu'elle considère encore comme tels, se détachent petit à petit d'elle et aient leur monde à part. L'esprit de la mère et celui des jeunes filles sont tellement différents que des clashes viennent souvent gâcher la bonne ambiance qui règne chez cette petite famille. «Mon mari est souvent absent et tout mon temps est consacré à mes filles. Au fil du temps, je sentais une certaine envie d'indépendance de leur part. C'est surtout une envie de couper le cordon ombilical et de se frayer leur propre chemin dans la vie. Je ne veux rien d'elles ! Je voudrais juste qu'elles m'accordent un peu plus de temps et qu'elles m'introduisent dans leurs plans. Ma plus jeune fille suit sa sur partout et elles sont les meilleures amies du monde. Elles me considèrent souvent comme la maman bornée qui n'est pas «in», parce que je n'aime pas leur style de musique et je n'ai pas ma langue dans la poche. Je n'ai qu'elles et je ne veux pas que la solitude me ronge dès maintenant» témoigne Naoual dont le mal-être ne passe pas inaperçu. Par ailleurs, Sophia, sa benjamine, a également son mot à dire à ce sujet et ne mâche pas ses mots : «Maman est du genre à se mêler de tout ce qui nous concerne. Elle n'approuve jamais ce qu'on fait et est toujours la première à râler sur ma nouvelle robe ou mon brushing. Je ne comprends pas pourquoi elle ne veut pas qu'on ait notre propre monde ! On aura toujours besoin d'elle certes, mais un peu d'indépendance ne sera pas mal non ? Et pour le fait qu'elle se sente seule, ma mère aimerait bien qu'on n'ait ni amis ni connaissances, qu'on évite les sorties, parce que c'est «hchouma» de ne pas voir la famille et rester dans son coin à ruminer les heures du samedi après-midi par exemple». ?a sent la crise par là ! La source de conflits est intarissable. Mais le créneau de l'opposition se limite souvent à quatre raisons principales qui occupent les premières places du Top 100 des causes de crises. L'entretien de la maison s'autoproclame roi des prétextes de disputes. La propreté du chez-soi représente le dernier souci de l'enfant ou l'adolescent qui préfère quitter le monde étrange des adultes et purger ses humeurs en engouffrant la tête dans un casque de musique au volume maximum. Le travail scolaire a également la part du lion des sources de conflits. Les parents suivent, contrôlent et jugent leurs bambins qui désespèrent en les voyant tellement engagés dans une cause qui, à leurs yeux, n'est pas aussi importante que cela en a l'air. Comment réviser sa leçon de mathématiques alors que la Play Station en face te fait les yeux doux ? Les équations vont attendre, Columbo le héros doit gagner le match Les fréquentations et les sorties restent aussi un sujet sensible au sein de la famille et génèrent souvent de graves malentendus. Alors que le parent juge un ou une amie qu'il ne connaît sûrement pas, l'enfant sent son intimité agressée et son petit monde envahi. Cette personne est celle qui correspond à son esprit et avec laquelle il s'est senti sur la même longueur d'ondes. Le fait que le parent s'en mêle ne le poussera qu'à se rebeller face à toute cette histoire, insensée à ses yeux. Et finalement, la raison qui fait trop «flipper» les aînés est la politesse et les manières de leurs enfants. Alors que les jeunes d'aujourd'hui ont créé leur propre code de communication, leurs propres manières et leurs propres façons de parler, les plus âgés n'adhèrent guère ! Ils n'aiment pas et ce n'est pas en voyant cette nouvelle vague de plus en plus connue qu'ils changeraient d'avis. L'excès d'autorité mettra les bouchées doubles et la réussite ne sera clairement pas de la partie. «Quand on parle de conflits parent-enfant, c'est l'histoire de l'uf et de la poule qui resurgit. Les enfants adoptent un esprit loin de celui de leurs parents ce qui cause le conflit qui génère la crise. Sauf que ces derniers préfèrent modeler leurs descendants comme bon leur semble. Et c'est ainsi que le rapport d'opposition s'installe. Leur apprendre à développer une pensée qui leur appartient ? Sur le terrain, ce n'est pas le cas. Il s'agit de deux pensées en mouvement l'une contre l'autre, engendrant une forte pression qui n'épargne pas les deux sujets » précise Amine Benjelloun. Si le conflit des générations existe et persiste depuis des lustres, ses traces marquent les esprits et les séquelles ne sont pas des moindres. C'est un phénomène qui s'est développé au fil du temps et qui n'est pas près de quitter le navire de si tôt. Les enfants évoluent, les parents insistent et l'histoire continue