C'est peut-être - sûrement ! - au roi Mohammed VI que devra échoir, dans les délais qu'il jugera les plus brefs, la prise d'initiative de la nécessaire grande réforme constitutionnelle, véritable révolution culturelle et politique dans le pays. Nous ne cachons pas que nous nourrissons fermement l'espoir que cela marquera un tournant décisif et courageux pour que le royaume rejoigne le peloton de tête de l'escouade qui forme l'avant-garde de la démocratie réelle dans le monde - sans classification méprisable en fait, basée sur les divers niveaux de l'évolution de l'émancipation des peuples. Ce mouvement, qui devrait partir du Palais royal, ouvrirait la voie à une monarchie parlementaire marocaine spécifique et originale, source à ne pas en douter de toutes les espérances profondes des plus larges tendances de l'opinion publique nationale. L'argument, outrageusement flagorneur et inutilement courtisan, fait craindre que le rôle réduit de «l'institution royale» dans le fonctionnement des rouages de l'Etat ne tient pas à l'examen objectif et responsable. En quoi le renforcement, par exemple, des pouvoirs de législation et d'intervention d'un Parlement correctement élu selon les critères communément et universellement admis pourraient-ils nuire globalement à la bonne marche des choses ? Nous ne voyons pas que le renforcement d'une décentralisation (à l'allemande ou à l'espagnole) serait une régression dans l'efficacité de la gestion des affaires publiques. Bien au contraire, de Tanger à Lagouira, on verrait la preuve que la large délégation de certains pouvoirs aux élus locaux et provinciaux mobilise plus fermement les masses des Marocains et leur fait vivre plus intensément, et par là plus efficacement, l'exercice de la démocratie en général. Les Etats-Unis d'Amérique, depuis plus de deux siècles, montrent bien que les rapports dialectiques entre l'Etat central dirigé d'une main assurée avec les réels et solides compétences des dizaines Etats de l'Union sont une sorte de modèle attractif - dont il faut s'inspirer à l'évidence sans crainte. Nous voulons croire que le discours actuel sur la décentralisation marocaine ne se circonscrit pas à la nécessité opportuniste d'illustrer la volonté d'accorder un système d'autonomie sans équivoque aux provinces sahariennes dans la cadre de la recherche sincère du royaume à une solution durable comme définitive de cette question avivée constamment par une Algérie rancunière et revancharde. Enfin, écartons comme irrecevable l'idée que le souverain ne saurait se résoudre à scier la branche sur laquelle le pouvoir royal est actuellement perché pour tenter un diable progressiste à l'avenir incertain et nébuleux. Ce serait une aventure périlleuse pour l'avenir de la monarchie alaouite Totalement à l'inverse, il nous paraît qu'un tel danger n'existe pas, ne serait-ce qu'en raison du fait avéré que depuis la structuration du pouvoir royal par les Almohades avec le grand Abdelmoumen, le Maroc a su à travers de multiples et divers avatars maintenir une dynastie après l'autre et jusqu'à nos jours, une solidité de l'institution dirigeante du sommet, à travers vicissitudes, aléas et dangers, nous osons dire à toutes épreuves. Alors même que le Maroc a donné du gîte d'une manière alarmante au point qu'il préfigurait un naufrage cataclysmal, il survécut à toutes les crises malgré la décrépitude du makhzen et l'évanescence du sultanat tenu par un protectorat, véritable colonisation multiple dominatrice et destructrice. Tous les assauts ne sont pas parvenus à faire imploser un royaume, qui avait une faculté de résistance au-delà de toute imagination. Dernier pays à être subjugué par l'Occident impérialiste, il ne connut qu'un demi-siècle de perte de son indépendance. Dès la moitié du vingtième siècle, il recouvra sa souveraineté, peut-être pas complètement, puisque des parties de ses territoires restaient spoliées. Après la parenthèse coloniale, grâce à l'effort régénérateur conjugué du roi libérateur Mohammed V et du mouvement national des temps modernes, le Maroc amorça sa rédemption, avec la volonté, en tout cas exprimée et annoncée sans ambiguïté, de «se doter» d'un régime démocratique à l'aune des temps présents. Plus d'un demi-siècle s'est passé en hésitations et autres tâtonnements - de l'indépendance euphorique jusqu'à ces jours-ci que nous vivons avec des sentiments mitigés, sans vraiment sentir que nous vivons en franche démocratie. De cette mixture imbuvable, nous n'avons cure et refusons d'en être gavés. Les Marocains sont très fiers d'être ce qu'ils sont, mais pas au point de s'en contenter. Les yeux de tous sont braqués sur des horizons prometteurs. Ils veulent confusément y déceler les signes avant-coureurs permanents de l'espoir du meilleur démocratique. On ne peut pas leur reprocher de ne pas avoir attendu et espéré au moins l'amélioration de leur sort politique général, c'est-à-dire de se voir rejoindre «le cours utile de l'histoire» - de leur histoire propre. Ce peuple a toujours eu soif de se porter à l'enthousiasme positif, en ce sens qu'il s'est toujours senti attiré par les parcours qui débouchent sur autre chose que la facticité des aventures aux lendemains noués de promesses tissées aux couleurs de la désillusion. Une formule populaire résume cette crainte : «demain, on rase gratis». Notre ami et confrère Mohamed-Larbi Messari vient d'écrire, avec le talent d'auteur qu'on lui connaît, un petit livre intitulé intelligemment «Mohammed V, d'un sultan à un roi». Il a retenu mon attention parce qu'il est instructif, sûrement à cause du balayage qu'il fait de l'instant historique vécu par le grand-père de l'actuel souverain, mais aussi parce que le lecteur prend grand plaisir à tourner les pages de cette histoire récente marocaine pathétique et si proche. J'y fais allusion - incitant à le faire lire plus largement qu'il ne lui arrive actuellement - parce qu'il m'apparaît clairement que Messari démontre, sans l'air d'y toucher, que le premier clou qui a été planté dans le cercueil de l'Empire chérifien, médiéval, suranné et inique, l'a été par Mohammed V, qui s'est fabriqué par lui-même une stature de monarque de son époque après avoir été destiné, par la faute de la tradition millénaire, à se vêtir des oripeaux faussement glorieux de ses ancêtres et de ses prédécesseurs, non seulement alaouites mais de tous ceux des autres dynasties. Lui, le premier d'entre tous, a su rompre la chaîne des potentats, souverains universels qui cumulaient allégrement tous les pouvoirs, toutes les prérogatives. Mohammed VI a fait un autre choix, et consciemment, s'est choisi un autre destin - celui d'un roi, et non d'un sultan, un homme qui règne plutôt sur les curs. Nous sommes à l'ère d'un autre roi courageux et téméraire, qui travaille à rompre les chaînes de l'oppression passée. Allons, aujourd'hui c'est l'heure urgente de poursuivre l'effort par un nouveau jihad constitutionnel : la monarchie parlementaire à la marocaine sous l'impulsion déterminé de Mohammed VI.