Une mort aveuglante et un départ avec préavis. Si Mustapha Kasri a cessé de voir au plus tendre du crépuscule de sa vie, c'est qu'il n'avait plus rien à scruter. Son regard perçant ne l'a pourtant jamais quitté, si on excepte quelques fugues dont il avait le secret. Sa maladie -inqualifiable- est un tangage. Avant de s'en aller, Mustapha était déjà parti. Loin, très loin. Ce GARçON qui a frénétiquement servi son Maroc, qui a drôlement défendu de tumultueux «camarades», qui a connu les affres de certaines corrections coloniales, qui a su s'adapter en servant cur et âme, qui a dit «non» pendant que la mode était au «oui», a fini par laisser tout le monde sur le carreau, lui qui ne s'entend désormais qu'avec la terre. Quant au préavis, c'est une douloureuse et talentueuse mise en attente. On savait qu'il avait un pied là où on est tous attendus par ordre défaillant, et c'est ce qu'il a rappelé en s'éteignant sous un fulgurant faiscau de lumière que lui seul a pu tutoyer. Mustapha Kasri a toujours eu le chic de tout suggérer sans rien dire. Et lorsqu'il disait, c'est qu'on n'avait rien saisi à ce qu'il a soigneusement laissé entendre. Mustapha a passé sa vie à vivre. Pour finir mort. Mort d'un excès de vie. Son patriotisme lui a coûté, son art nous a souventes fois envoyés sur le tapis. En parfait bilingue, à la pointe de son taquinant et immense ami, Saïd (Aâzizi) Saddiki, parti lui déblayer le terrain là-haut il y a de maigres mais marquantes années, Mustapha a fait nonchalamment vibrer le verbe. Il nous a secoués et poussé les plus francophones d'entre nous à lire Baudelaire («Les fleurs du mal») ou Saint-Exupéry («Le Petit prince») en arabe et inversement pour Nizar Kabbani entre autres. C'est que les fines traductions de Mustapha Kasri ont dépassé la beautée de la langue pour s'installer dans le sens avec un déconcertant respect du jet initial. Si l'incroyable et flagrant grand homme qu'il était nous a divinement marqués, il nous aura spécialement choqués par ce départ d'un implacable égoïsme. Nous te retrouverons, sans faute aucune.