polémique Samir devient distributeur de carburants. Une action aussi attendue que décriée par les opérateurs du secteur de la distribution. Ces derniers ont même crié à la concurrence déloyale. Pourquoi la raffinerie s'est-elle aventurée sur ce front ? A-t-elle des chances de réussir son challenge ? Samir revient aujourd'hui dans la distribution, huit ans après en être sortie. Cette fois, la raffinerie de Mohammedia a créé une filiale dédiée à cette activité et envisage d'investir, sur 5 ans, entre 600 millions et 1 milliard de dirhams dans la mise en place de 150 à 200 stations-services d'ici 2017. C'est ce qu'a fait savoir son président directeur général, Mohammed Jamal Ba Amer. Pour le moment, 15 à 20% de ces stations seront détenues en propre. Le reste fera l'objet de partenariats. Rappelons que depuis septembre 2012, Samir dispose d'une autorisation provisoire pour la distribution. Pour que cette dernière soit définitive, l'entreprise compte mettre sur pied 30 stations d'ici la fin de l'année. Une condition réglementaire pour disposer de l'autorisation définitive. Actuellement, 6 stations sont en travaux et, dans 90 jours, 10 autres arboreront les couleurs du raffineur. Le groupe a mis à la disposition de SDCC 6 terrains pour la construction des stations en propre. Et ce sont pas moins 25 dossiers de stations-services qui ont été déposés auprès de la tutelle. Outre la distribution de carburant, l'activité de commercialisation des lubrifiants a déjà démarré. Ainsi le groupe vise l'amélioration de sa rentabilité altérée par des marges de raffinage de moins en moins importantes. « Les marges de profitabilité de l'entreprise se sont réduites ces dernières années comme peau de chagrin. A cause d'abord de la forte hausse des achats de la matière première avec un cours du Brent qui crève le plafond et de l'autre une baisse des profits dans le raffinage suite à la baisse de la demande européenne », explique un fin connaisseur du secteur. Donc si aujourd'hui la raffinerie met le paquet sur la distribution, c'est parce qu'elle cherche d'autres relais de croissance. Une hypothèse que le directeur général de la nouvelle filiale SDCC ne réfute pas. « La SDCC est le relai de croissance stratégique de la Samir. Elle va procurer non seulement de la valeur ajoutée mais permettra aussi de générer du cash, et d'améliorer les résultats de la Samir », souligne le directeur général de Samir, Youssef Ouhilal. De son côté, Ba Amer assure que la distribution est loin d'être une bouée de sauvetage. « Le seul raffineur du pays cherche désormais à percer via le développement de son propre réseau afin de combler la baisse de sa part de marché », insiste l'expert du marché. Une décision qui reste tout de même visionnaire, mais n'est pas sans risques. En effet, La Samir affiche à fin décembre 2012 un niveau d'endettement net de 21 milliards de DH, soit près de 400% de ses fonds propres. Le Gearing lui aussi reste très élevé avoisinant les 156%, un niveau jugé excessif. Donc, cet investissement dans le réseau de distribution ne pourrait qu'aggraver la situation financière du raffineur, de l'avis de Rachid Kadiri, un analyste financier. Concurrence déloyale ? Reprendre place dans le marché de la distribution permettra à Samir de « s'intégrer en aval et de sécuriser davantage ses ventes, eu égard à l'augmentation de ses capacités de production », indique l'entreprise. Ceci semble déranger les autres sociétés de distribution et la guerre semble bel et bien déclenchée. D'ailleurs le président du groupement des pétroliers marocain est catégorique : « La démarche de Samir reste incompréhensible. La société éprouve beaucoup de difficultés dans son cœur de métier avec un approvisionnement qui connaît des perturbations et une qualité des produits qui laisse à désirer. En plus, elle devient à la fois fournisseur des sociétés de distribution et concurrent direct de ses clients. C'est de la concurrence déloyale pure et dure », déplore Adil Ziadi. Concurrence déloyale alors ? « Si les autres souffrent de notre implication dans la distribution, sachez que nous avons souffert avant eux ; Certains importent jusqu'à 70% des produits pétroliers, au lieu de se les procurer chez la Samir. Ils ne doivent pas nous en vouloir si nous nous lançons dans la distribution », ironise Jamal Ba Amer. En tout cas, une chose est sûre, dans un secteur largement couvert par les sociétés de distribution existantes, Samir, qui cherche à être dans le top 5 à l'horizon 2017 et le top 3 à l'horizon 2020, n'aura pas la tâche facile pour s'adjuger une place parmi les leaders du marché comme elle l'espère. Le secteur est pratiquement saturé. La seule possibilité pour le raffineur devenu distributeur serait de se développer dans les sorties des villes. « Notre réseau sera déployé sur tout le territoire national, avec un intérêt particulier porté aux zones rurales desservies dans une logique de développement régional », déclare Youssef Ouhilal. Les cartes seraient-elles alors redistribuées sur le marché ? Si pour Eric Gosse, directeur général de Total, le marché est ouvert pour tout le monde et que la concurrence est la bienvenue, d'autres pensent que la Samir ne sera pas accueillie à bras ouverts. « Difficile. Contrairement à la Samir, les autres distributeurs ont une longue expérience sur le marché. Et il faut le dire, ils vont user de toutes les armes pour lui mettre les bâtons dans les roues », analyse un autre observateur du marché qui a fait ses armes chez un grand distributeur. D'ailleurs Adil Ziyadi ne semble pas dérangé : « Ce ne sont pas les 20 ou 30 stations que la Samir compte déployer qui pourront menacer les autres distributeurs ». La guerre des titans Il faut dire que depuis 2 ans c'est une véritable course qui est lancée entre les opérateurs. En janvier 2013, le Maroc comptait, selon les chiffres du ministère de l'Energie, des mines, de l'eau et de l'environnement, un réseau de 2.370 stations-services, tous opérateurs confondus. Soit 24 stations-services en plus par rapport à fin 2011 où l'on comptait 2.346 stations au total. Maintenant chacun des opérateurs a ses armes et son plan de développement. Outre Afriquia (460 stations) qui prévoit l'ouverture de 10 à 15 stations par an, Vivo Energy (411), depuis la reprise de Shell, ne lésine pas les moyens pour avancer ses pions. Contacté pas nos soins pour connaître son avis sur la situation du secteur et avoir une idée sur sa stratégie actuelle, la société a préféré garder le silence. Mais l'on sait au moins qu'en 2012, ce sont 9 nouvelles stations qui ont été ouvertes en plus de la rénovation de 6 autres. Cette année, 6 seront ouvertes. Total Maroc n'est pas restée non plus les bras croisés. Quelques jours à peine après l'officialisation de l'entrée d'un nouveau concurrent sur son marché, elle a lancé une nouvelle offensive marketing avec l'introduction de sa carte fidélité. CMH, qui se prépare pour une révision de son identité visuelle, n'a pas souhaité non plus répondre à nos questions. C'est dire que chacun des opérateurs a sa manière de se défendre. Et généralement, cela se fait dans l'ombre, loin des yeux indiscrets