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SOS Comédiens en détresse !
Publié dans L'observateur du Maroc le 25 - 03 - 2013


Par Noura Mounib
Ils sont connus, talentueux mais vivent dans des conditions lamentables. Aujourd'hui, les artistes marocains dénoncent leur situation et tirent la sonnette d'alarme.
Quelques heures avant sa mort, l'acteur Hassan Mediaf, décédé le 30 janvier 2013 suite à une maladie pulmonaire, formulait une dernière fois son vœu le plus précieux : il désire de tout son cœur que ses enfants finissent leurs études. « Il a toujours refusé que ses enfants vivent dans la même précarité que lui. Khaoula et Abdellah, nos enfants, l'ont bien compris », témoigne Zouhra, l'épouse de Mediaf. Agée de 12 ans, Khaoula est en première année du collège tandis qu'Abdellah son frère, 17 ans, est encore en deuxième année. Redoublant à plusieurs reprises, l'adolescent compte tout de même faire de son mieux pour réaliser le vœu de son père. Femme au foyer, Zouhra a encore sous la main une somme d'argent que son mari lui a laissé avant sa mort.
« Dans quelques jours, on n'aura plus de quoi manger. La situation est lamentable. En même temps, je n'oublierai jamais le geste de SM le Roi Mohammed VI qui nous a offert un appartement à El Oulfa. Je n'oublierai pas non plus le soutien financier offert par les amis de Hassan », confie la mère qui n'a désormais plus aucune source de revenus à part les restes des 50.000 dirhams que son mari avait touché pour la série « Oujaâ Trab », son dernier travail. Elle ajoute que certains MRE ont envoyé de l'argent à la famille endeuillée. C'était lorsque la TVM avait diffusé un reportage montrant la situation précaire des Mediaf. « Aujourd'hui, on reçoit encore des aides. Mais dans un mois, que ferons-nous ? » s'inquiète Zouhra. Le cas de Mediaf dévoile la situation de plusieurs autres comédiens qui souffrent en silence en attendant la mort. Sans travail ni revenus fixes, les artistes marocains pleurent le décès de leurs collègues et s'identifient amèrement à eux. Ils ont beau se plaindre et dénoncer leur vécu quotidien de plus en plus précaire, la situation va de mal en pis.
Dans la misère
Ils ne sont plus aussi jeunes et n'ont plus la même énergie du passé. Pourtant, ils se voient obligés de mendier du travail pour subvenir à leurs besoins quotidiens. Nombreux sont les artistes marocains, surtout de l'ancienne génération, qui subissent la crise de la production et sombrent dans la précarité. Si certains ont au moins la chance d'avoir leur propre maison, la plupart habitent dans des petites chambres, prennent en charge toute leur famille et payent leur loyer à la fin du mois. Loin des quelques artistes qui ont pu tirer leur épingle du jeu en créant leur propre boite de production ou en gagnant assez d'argent grâce à leur notoriété, nos comédiens peinent à boucler leur fin de mois ! Dans une période où la crise cinématographique et télévisuelle bat son plein, nos artistes se retrouvent sans boulot, en espérant des jours meilleurs... « Au Maroc, on peut bosser un mois et chômer deux ans. C'est pour cela que j'ai décidé d'émigrer en Espagne. Je travaillais en tant que femme de ménage, assistante pour vieilles personnes... Lorsque je rencontrais des Marocains résidents dans le pays et qui croyaient que j'étais là pour du tourisme, je n'arrivais pas à leur dire que j'ai quitté le Maroc parce que je n'avais pas de quoi manger », raconte l'actrice Zhour Slimani, connue pour son rôle de Flifla. Elle ajoute qu'elle paie son loyer à 1.700 dirhams et prend en charge son fils et sa mère. « Il n'y a pas un mois qui passe sans qu'on me coupe l'électricité. D'ailleurs, je n'ai toujours pas payé 4.500 dirhams que je dois à la Lydec ! », explique-t-elle. L'actrice Khatima Alaoui est aussi dans la même situation. Lorsque L'Observateur du Maroc l'a contactée, elle était en plein déménagement de son appartement à Guelmima. « Cet appartement est le mien mais j'ai dû le louer pour habiter à
El Oulfa afin de payer les études de mon fils. Avec 1.700 dirhams pour le loyer et 2.000 dirhams pour les études, j'ai du mal à joindre les deux bouts même si j'ai le salaire mensuel du ministère », regrette l'actrice. Pour Khatima, les conditions de l'artiste marocain sont lamentables. «Radio Wac Wac», produite il y a quatre ans, était la dernière série dans laquelle elle avait participé. Depuis, elle chôme. « Quand je sors, tout le monde me demande où est-ce que j'ai disparu. Allez demander à ces sociétés de production et à ces réalisateurs qui ne font plus appel aux vrais artistes. Le domaine est de plus en plus pourri. On sombre dans le clientélisme. Pour que des producteurs m'exigent de passer un casting pour travailler, c'est juste «hchouma» ! Je n'ai pas besoin de faire mes preuves. Cela fait 30 ans que je suis dans le domaine et le public connait mon talent. Aujourd'hui, mon fils est ma seule bataille ! », crie l'actrice, soulignant qu'au Maroc, on a tout de même la chance de ne jamais mourir de faim. Heureusement !
De son côté, l'actrice Fatima Wechay habite également à El Oulfa et paie 3500 dirhams de loyer. « On attend toujours qu'un producteur vienne frapper à notre porte pour nous sauver de la misère. D'ailleurs, les sommes dérisoires qu'on touche quand il nous arrive de bosser ne nous suffisent même jamais. On n'a même pas les moyens d'un citoyen pauvre. Malheureusement, le public nous voit comme des richards, comme si on ne manquait de rien. Ce n'est pas le cas. On a juste besoin d'un revenu fixe pour survivre » témoigne l'actrice qui ajoute que l'artiste marocain n'a jamais eu de garantie. Elle explique également que le problème des droits d'auteurs contribue à la situation précaire des artistes. «Pour qu'une production soit diffusée des milliers de fois à la télévision sans qu'on n'en profite, c'est injuste ! « La Ilaha Illa Allah»» conclue-t-elle.
Aujourd'hui, la mort d'Hassan Mediaf et de Mohammed Majd a secoué plus qu'un artiste. Pour l'actrice Zahira Sadiq, qui paie le loyer à 2000 dirhams au quartier 11 janvier, tout le monde a été touché par la mort des deux artistes parce que tous les artistes se sont imaginés à leur place. « L'Etat doit prendre soin de l'artiste durant sa vie. Ce n'est pas la peine d'attendre sa mort pour que les caméras se déplacent et filment les funérailles » s'insurge l'actrice. Zahira n'a plus bossé depuis la série ramadanesque «Yak Hna Jirane». Depuis, elle participe de temps en temps à l'émission «Moudawala» pour gagner un peu d'argent et payer les frais d'écoles de ses deux filles. «Chaque soir, j'ai du mal à dormir. Il n'y a pas un jour qui passe sans que je prie Dieu de me sauver. La situation est juste catastrophique. Imaginez qu'on n'a pas le droit de tomber malade. L'Etat doit savoir qu'on n'exige pas l'impossible. On veut juste un revenu fixe par mois pour combler nos besoins. Et tout le monde est conscient que l'Etat est capable d'arranger notre situation. Aujourd'hui, le public nous regarde par pitié. Ça nous désole» souligne Zahira.
Pour tous les artistes qu'on a interviewés, 2013 ne présage pas de bien pour les artistes. « C'est une année blanche. Il n'y a pas de boulot ! On est malheureusement comme les commerçants de la Chebbakia qui ne bossent qu'une fois par an, au mois de ramadan» s'écrie l'actrice Loubna Choklat qui affirme que l'artiste a juste besoin de bosser pour ne pas mendier. Pour l'artiste, ce domaine ne garantit jamais un revenu stable et la plupart des comédiens ne savent pas faire autre chose que la comédie. Même pour la traduction des séries turques, Loubna, habituée à y travailler, estime que c'est un domaine loin d'être régi. «Le fait qu'une seule société monopolise le secteur doit être revu. Au lieu de recruter des gens venus d'ici et d'ailleurs, il faut penser aux vrais artistes qui ont du talent et qui chôment aujourd'hui» explique l'actrice.
La pression des «smasria»
Pour le Festival National du Film à Tanger, les organisateurs ont décidé de rendre hommage au grand acteur Mohamed Benbrahim. «Je me suis déplacé jusqu'à Tanger. Pour me rendre hommage, on m'a donné un trophée ! Qu'est-ce que j'en ferai ? J'ai une vitrine de trophées chez moi ! J'estime que le budget du festival est assez grand pour mériter un peu plus qu'un simple trophée !» se désole Benbrahim qui ne sort pas du lot des artistes marocain en situation difficile. Avec sa mère et ses quatre enfants qu'il prend en charge, Mohamed Benbrahim habite à Bir Jdid dans un appartement qui lui appartient et dénonce les sociétés de production qui préfèrent recruter de jeunes talents pour les payer moins. «Et les artistes confirmés comme nous ? Qu'est-ce qu'ils vont en faire ? il s'agit d'une vraie précarité artistique !» explique l'acteur et précise que les anciens artistes sont désormais discriminés. «Personnellement, j'en souffre. Le public qui se plaint du niveau des productions audiovisuelles qu'on présente doit comprendre et aller plus loin pour voir notre situation délicate. Il est temps que ce métier soit réglementé. Que Dieu nous vienne en aide !» conclue-t-il.
Si certains artistes estiment que dévoiler leur situation précaire au public via la télévision est une bonne chose, l'acteur Abderrahim El Meniari est contre la chose et estime qu'acteur est un métier digne. « On ne tend pas la main. On travaille honnêtement pour subvenir à nos besoins. Malheureusement, l'Etat contribue énormément à la situation lamentable des comédiens même si nous payons les impôts. L'Etat prend 17% de nos revenus ! L'Etat prend ce dont il a besoin, et moi ? Où sont mes droits ? Il faut également combattre les «smasria» des sociétés de production qui n'ont aucun respect pour l'artiste !» explique l'acteur.
La carte professionnelle
Pour Omar Siyed, acteur et chanteur du groupe mythique Nass El Ghiwane, cela fait 50 ans qu'il travaille dans ce domaine et ne s'en plaint pas. « Pour qu'on vienne aujourd'hui et qu'on se plaigne que l'Etat ne nous donne rien, c'est injuste. Parce que c'est nous qui avons choisi ce métier et devons l'assumer. Tout dépend de la façon de gérer ce métier. Personnellement, bien que le métier ne soit pas régi par des lois j'ai pu vivre et gagner ma vie grâce à l'art » reconnait le célèbre artiste.
Pour la carte professionnelle qui garantit la mutuelle, l'artiste doit payer 1000 dirhams par an pour en bénéficier. Sauf que la plupart des comédiens à qui l'on a posé la question ont répondu qu'ils préfèrent investir cette somme dans des choses plus urgentes. «La mutuelle existe et nous aide mais il est difficile de payer chaque année les frais de la carte professionnelle.» explique Fatima Wechay.
Paru dans L'Observateur du Maroc n°205


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