Abdelaziz Bouteflika en rêvait et il ne l'a pas caché : «En de multiples occasions, depuis 1999 et 2004, j'avais exprimé mon souhait de revoir la Constitution lorsque les circonstances le permettraient », a-t-il rappelé en annonçant le 29 octobre que l'heure de cette révision constitutionnelle avait sonné. Le président algérien aura toutefois dû batailler ferme et longtemps pour que «les circonstances» -comprendre les luttes de clans au sommet de l'Etat- lui «permettent» d'imposer les amendements constitutionnels qui l'autoriseront à rester au pouvoir après la fin de son second mandat en avril 2009. Une décision qu'il légitime par «le droit du peuple de choisir ses gouvernants et de leur renouveler sa confiance»... L'objectif de cette révision est limpide : se donner, à 71 ans, la possibilité de briguer un troisième mandat en supprimant l'article 74 qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Ce verrou constituait la seule garantie d'empêcher une présidence à vie dans un pays où la Constitution confère déjà des pouvoirs quasi césariens au chef de l'Etat. Les deux autres amendements envisagés sur «la protection des symboles de la glorieuse révolution » et sur «la promotion des droits politiques de la femme» n'y changent rien: cet «habillage» ambitionne avant tout à rendre l'initiative moins grossière. Verrouillage politique et lassitude des Algériens Une autre décision vise, elle, à éviter une déroute électorale: la révision se fera par voie parlementaire et non par référendum. Un recours aux urnes est en effet un pari risqué compte tenu de l'abstention massive lors des derniers scrutins. Officiellement toutefois, c'est en raison de l'aspect «partiel et limité» du projet que le «recours au peuple ne s'impose pas». L'affaire est en tout cas menée tambour battant. Alors que les textes des amendements sont encore secrets, le premier ministre Ahmed Ouyahia affirme que «tout sera réglé avant fin novembre». Et pour cause: cette révision par voie parlementaire est pure formalité puisque «l'Al- liance présidentielle» -FLN, RND notamment- dispose d'une majorité écrasante à l'Assemblée. Le verrouillage total du champ politique est l'autre grand allié du chef de l'Etat. Il n'existe en effet aucun débat contradictoire dans le pays qui vit sous état d'urgence depuis seize ans, où l'opposition réelle n'a pas accès à la télévision nationale, se voit refuser des salles publiques pour tenir meetings ou réunions et où la majorité de la population n'aspire qu'à respirer au sortir de plus de dix ans de guerre civile et à joindre les deux bouts au moment où la pauvreté s'installe dans d'innombrables foyers... Les seules incertitudes touchent en fait à la santé du président et... aux négociations qui ont permis à ce dernier d'imposer ses vues à ceux des «décideurs» militaires qui ne voulaient pas en entendre parler. Quitter ce monde avec les honneurs de ses pairs Le rythme des activités et des apparitions publiques de Abdelaziz Bouteflika a certes considérablement baissé et de nombreux témoignages le décrivent souvent livide et épuisé. Mais le président algérien considère apparemment qu'il a les moyens de se lancer dans un troisième mandat. A moins qu'il veuille seulement rester en poste pour quitter ce monde dans les honneurs de funérailles nationales auxquelles assisteraient tous ses homologues étrangers... Mais l'essentiel est ailleurs, et plus exactement dans les ténèbres d'un système empêtré dans ses luttes de pouvoir et indifférent à l'état d'un pays en état d'émeutes sociales quasi permanentes. Abdelaziz Bouteflika ne l'a pas caché. Il a certes attribué le retard de son projet au fait que durant ses deux mandats «les préoccupations étaient toutes concentrées sur la lutte antiterroriste et la réconciliation nationale». Mais il a mis en cause les résistances au sommet de l'Etat. en insistant sur «les interférences entre les différents pouvoirs dans la pratique de leurs missions». Ces «interférences» appartiennent- elles au passé, qu'elles émanent de ceux qui rechignent à voir Bouteflika rempiler, de ceux qui jouaient Ahmed Ouyahia -l'actuel premier ministre technocrate, très hostile aux islamistes et «poulain» des services de renseignements-, ou qu'elles relèvent de la guéguerre entre le FLN et le RND, les frères ennemis de l'Alliance présidentielle? A elle seule, l'annonce de la révision constitutionnelle après plusieurs ajournements indique qu'un compromis a été trouvé. Non sans peine d'ailleurs puisque même les moins avertis des observateurs ont pu noter une accélération des violences chaque fois que le président algérien remettait cette question sur le tapis... Eviter de devoir un jour rendre des comptes En réalité, le chef de l'Etat semble avoir imposé sa révision constitutionnelle en jouant sur deux tableaux : faire valoir qu'il demeure le meilleur garant du système et... agiter le spectre des responsabilités des violences de la guerre civile et de celles qui continuent à frapper le pays. Une tactique imparable quand les «décideurs » militaires en poste pendant la sale guerre de la décennie 90 sont hantés par la perspective de devoir un jour rendre des comptes. La rumeur bien informée veut ainsi que le président algérien ait vu d'un bon oeil l'enquête diligentée par l'ONU après les attentats d'Alger de décembre 2007 qui ont fait 17 victimes parmi le personnel de l'ONU. Plus explicite encore dans ce pays qui s'est toujours farouchement opposé à toute enquête internationale: l'arrivée dans la capitale algérienne de la commission d'enquête de l'ONU a été largement couverte par les médias publics... Le chef de l'Etat semble avoir su aussi capitaliser les mandats d'arrêts délivrés en décembre dernier par un juge d'instruction français qui ont abouti à la relance de l'affaire Mécili, du nom du porte parole de l'opposition algérienne assassiné en avril 1987 à Paris sur ordre de la Sécurité militaire. Peu après l'émission de ces mandats d'arrêt, Farouk Ksentini, un proche de Abdelaziz Bouteflika, a en effet estimé «tout à fait normal que ses assassins soient poursuivis et que le juge français engage une procédure afin de les juger et de les condamner dès lors que le crime a eu lieu sur le sol français»... Ces «messages», reçus cinq sur cinq par les adversaires d'Abdelaziz Bouteflika au sein du sérail, n'auront pas peu contribué à faire entrer l'Algérie dans la logique des présidences à vie.