La famine serait-elle une fatalité en Ethiopie ? Dans cet immense pays de 82 millions d'habitants, le deuxième le plus peuplé du continent et le troisième par ses dimensions, dix à douze millions d'Ethiopiens sont de nouveau au bord de la famine. Une malnutrition aigüe qui rappelle le drame des années 1983 et 1984 lorsque des centaines de personnes moururent de faim. Cette année, c'est dans le sud du pays que la situation est la plus dramatique. Dés mars, des congrégations religieuses ont commencé à tirer la sonnette d'alarme : les récoltes sont inexistantes, la population ne parvient plus à se nourrir, les gens sont squelettiques et le bétail décimé. Six mois plus tard, la situation a empiré et la famine s'étend à d'autres régions du pays, faute de pluies. Economie rudimentaire. Leur absence n'est pas la seule cause de la situation alimentaire catastrophique du pays. « L'Ethiopie produit suffisamment de céréales pour nourrir tous ses habitants », affirme une ingénieur agricole française en mission en Abyssinie. Paradoxe ? Pas vraiment dans ce pays où 80% de la population est rurale et vit, dans le centre et le nord, sur des hauts plateaux - plus de 2500 mètres d'altitude - aux sols moyennement riches. Parcourir les campagnes est édifiant. Sauf rare exception, elles ne connaissent pas la mécanisation : pas de tracteur, pas de pompes à eau, encore moins de cultures irriguées. Dans le meilleur des cas, un buf tire l'araire, souvent celle-ci est poussée par le paysan lui-même. Les moissons se font à la faucille, même pas à la faux. Démunis de tout, les paysans ne disposent d'aucun moyen de stockage pour conserver leurs récoltes et il est fréquent qu'une partie de celles-ci soit perdue. Si la récolte suivante est mauvaise, faute de pluies, c'est la disette, comme c'est le cas cette année 2008. Manque de moyens de stockage, absence de semences et de filières de commercialisation des céréales, inexistence et mauvais état des routes et pistes qui entraînent que la quasi totalité des échanges concernant les produits agricoles s'effectuent dans un rayon de 10 kilomètres. Résultat : l'Ethiopie qui produit assez de céréales pour se nourrir, selon un expert agricole européen installé à Addis Abeba, souffre de malnutrition chronique. Paupérisation croissante. A toutes ces raisons qui tiennent à l'absence d'une politique agricole volontariste s'ajoute des motivations d'ordre social. La pression démographique importante (le taux de croissance démographique est officiellement de 3,2%) favorise, aprés héritage, la division des terres et une grande fragilisation des sols. On estime qu'une famille de 6 personnes doit cultiver 2,5 hectares pour survivre or la moyenne des exploitations est inférieure à 1,5 hectares, entrainant année après année la paupérisation croissante d'une partie des paysans. Les moins bien lotis vendent leur lopin de terre, le louent contre une moitié de leur récolte et proposent leur force de travail pour survivre. Les autorités éthiopiennes semblent décider à changer la situation. Créer une classe de paysans aisés. L'aide alimentaire internationale (environ 2 milliards de dollars déversée chaque année par le PAM, les agences de l'ONU et les ONG) n'est pas la solution, réalisent-ils. « Apprenez-leur à pêcher ne leur donnez pas un poisson », disait en son temps Mao Tse Dong à propos des Chinois. Des progrès sont faits pour améliorer le réseau routier et mettre en place des micro crédits. Sans le crier urbi et orbi, car le pouvoir est tenu par d'anciens maoïstes tendance albanaise, les autorités cherchent à créer une classe de paysans aisés qui feraient évoluer les campagnes. Des coopératives et des banques de céréales sont peu à peu mises en place. Elles stockent les céréales pour les revendre à meilleur prix et permettre aux paysans d'acheter des intrans et des machines agricoles. Cette politique a son revers : elle fait monter les prix des céréales sur le marché intérieur, en particulier dans les villes où le plus grand nombre d'Ethiopiens vivent avec moins d'un dollar par jour et par personne. Un cercle vicieux.