Par Dr Chagar Hassan / Expert en Organisation et Stratégie Nous vivons dans l'ère de la grogne sociale à l'échelle planétaire, plusieurs corps de métier s'interrogent des solutions possibles pour résoudre les inégalités et apprivoiser le capitalisme sauvage. Le prix Nobel de l'économie en 2001, Joseph Stiglitz, l'a bien corroboré dans son récent ouvrage « People, Power, and Profits : Progressive Capitalism for an Age of Discontent » en montrant que le capitalisme sans fin ne fonctionne pas et qu'il est temps de promouvoir à tous les niveaux des cadres où toutes les parties prenantes (Secteur public, Secteur privé, Associations...) collaborent pour partager des expériences de gouvernance, de management et de développement durable. Le souci commun des acteurs et des nations deviendra la valorisation des ressources disponibles et la gestion d'un environnement de plus en plus VICA (Volatile, Incertain, Complexe et Ambigüe) pour favoriser ce développement durable. La question centrale serait comment intégrer les attentes sociales des populations dans les équations économiques des projets et des affaires aussi bien au niveau du secteur privé qu'au niveau du secteur public, sans pour autant compromettre la viabilité de ces projets et de ces affaires. Le génie serait de faire des frustrations une source d'inspiration pour contester les hypothèses des modèles de développement en vigueur et imaginer des modèles disruptifs qui peuvent adresser les espaces de non service ou du mauvais service de manière frugale. En termes plus claires, le phénomène qui interpelle les décideurs face à ces frustrations dues aux inégalités et réclamations sociales s'appelle la pauvreté. Ce phénomène peut être appréhendé par le niveau de prospérité équitable des nations. Un de ces indicateurs est l'indice du pouvoir d'achat CCCI (Consumer Class Condition Index), proposé par Frontier Strategy Group (prestataire de services d'information et de conseil auprès de dirigeants dans les marchés émergents) qui évalue le taux de pénétration de la société des richesses créées. Cette évaluation est tributaire des conditions de travail, des aides et exclusion sociale, de la santé, de l'éducation, de la diversification économique, des conjonctures économiques et de la qualité gouvernance. Selon un article paru à la revue Harvard Business Review en Janvier 2019 intitulé « Afrique : aller au-delà du PIB », bien que l'évolution du pouvoir achat ait évolué de +136% de 470Mrd$(2000) à plus de 1 100Mrd$(2016), cette performance n'a pas profité à toutes les activités africaines de certaines entreprises et encore moins au pouvoir d'achat des habitants. En effet, la croissance économique n'a pas favorisé des emplois bien rémunérés mais plutôt des petites élites. Pour parer à ce dysfonctionnement, outre l'Etat et les ONG, le marché notamment via l'entreprise peut apporter des solutions grâce à la bonne compréhension de ce phénomène multidimensionnel et à la culture de l'innovation. Ces solutions deviennent idoines si les entreprises dépassent les rôles minimalistes à l'égard de la responsabilité sociétale : conformité aux exigences légales ou développement des initiatives philanthropiques isolées. La transformation des business models et la mise en place d'écosystèmes multidisciplinaires révèlent des inducteurs de productivité pour développer des solutions inclusives, intégrées, innovantes et bénéfiques. Pour tirer avantage de sa capacité stratégique, du jeu de la concurrence et de la dynamique écosystémique, la disruption des business models peut emprunter un processus qui incite à la mise en cohérence de l'intention stratégique et la mission socio-économique, de l'offre de produits et de service et leurs innovations, des ressources et compétences et leurs évolutions, des collaborations avec les partenaires et leurs rôle de facilitation, des segments de pauvreté ciblés et leurs besoins d'accompagnement. Une nouvelle approche managériale intégrant le « pauvre » comme un véritable partenaire permet de reconcevoir la proposition de valeur des entreprises en considérant la pauvreté comme un besoin de liberté pour accomplir l'ensemble des fonctionnements que valorise une population abstraction faite de sa capacité monétaire. La performance durable de cette approche est tributaire de l'évolution de l'effort de l'entreprise selon une stratégie qui cherche à rendre possible ce qui est nécessaire notamment via les 4 valeurs d'une stratégie marketing responsable et durable (Modèle ADAS): (Acceptabilité) en prouvant l'utilité et la valeur ajoutée des produits et services proposés, (Disponibilité) en assurant la disponibilité produits et services et leur distribution malgré l'insuffisance des infrastructures pour atteindre une cible dispersée et peu mobile, (Accessibilité des prix) en réduisant les prix et en adaptant les modes de paiement et (Sensibilisation) en maîtrisant le risque d'erreur de perception de la valeur proposée par une population ayant un déficit d'éducation. In fine, la pensée stratégique proposée par ces approches permet de réinventer les modèles de management de la durabilité dans un contexte d'autorité des risques systémiques, tel que Covid-19. Elle offre un cadre de valorisation de l'impact social et sociétal en tant qu'inducteur de résilience et de développement durable notamment pour dans les pays en voie de développement.