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Gerets : « Il y a une confiance mutuelle avec la fédération »
Publié dans Lions De l'Atlas le 06 - 05 - 2011

Une vingtaine de coups de fil, deux fois plus de textos et plusieurs semaines d'attente. De quoi désespérer le plus tenace des journalistes. Et puis un jour, c'est la délivrance. “Eric Gerets est d'accord pour vous recevoir, nous annonce notre interlocuteur à la Fédération royale marocaine de football. Mais ça sera pour demain. Sinon il va encore falloir reporter sine die”. Pas question donc de rater l'occasion. Le sélectionneur national se fait rare. Depuis son arrivée en novembre dernier, ses entretiens se comptent sur les doigts d'une main. Surtout, Eric Gerets a fait vœu de silence depuis la défaite de l'équipe nationale contre l'Algérie à Annaba, laissant supporters de l'équipe nationale et presse spécialisée avec leurs multiples interrogations.
Rendez-vous est alors donné dans sa résidence, sur la route des Zaers à Rabat. A la première sonnerie sur l'interphone de cette villa qui sent le neuf, Eric Gerets apparaît sur le seuil. Tenue chic et décontractée, un cigare Cohiba au bec, sa poignée de main est ferme et franche. Le sexagénaire est en pleine forme, avec une allure à rendre jaloux un trentenaire. Il nous installe dans son salon européen qui donne sur un jardin (avec piscine évidemment) qu'il aime bichonner de ses propres mains. Il nous sert lui-même le café. Pour lui, ça sera eau gazeuse. Il pose son verre sur la table, à côté de son Blackberry, dont le numéro est classé secret défense. Pas question de s'amuser à interpeller le nouveau sélectionneur des Lions entre deux matchs ou deux séances d'entraînement. Mais aujourd'hui, il prend son temps pour répondre à toutes nos questions. A aucun moment, il ne regardera sa montre pour nous signifier que l'interview a trop duré. De toute façon, avec lui, nul besoin de s'éterniser. Dans un français à l'accent mi-flamand mi-marseillais, Eric Gerets parle vrai. Sans détour, en une ou deux phrases, il dit le fond de sa pensée, va droit au but. L'amateur du tiquitaca barcelonais s'avère un grand champion du tac au tac des questions-réponses.
Si le match Algérie-Maroc du 27 mars était à rejouer, que changeriez-vous ?
Je demanderais à mes joueurs de ne pas paniquer. De construire le jeu à partir du milieu de terrain et de se rapprocher de l'avant-centre. Notre ligne d'attaque était trop éloignée et Chamakh se retrouvait souvent isolé. Je suis en train de revoir l'effectif pour placer le ou les bons joueurs qui serviraient de courroie de transmission et ramener du nombre dans le milieu de terrain.
Les joueurs ont-ils respecté à la lettre votre plan de jeu ?
Ils ont essayé, mais cela n'a pas été facile. J'ai dû revoir le match une bonne dizaine de fois et j'ai remarqué qu'il y a eu des séquences où l'on pouvait jouer à des passes courtes et rapides plutôt que de sauter le milieu par des passes longues. Cela n'a pas été fait et c'est parmi les choses qu'on devrait corriger.
Vous avez préféré un Chamakh qui ne joue presque plus en club à un El Arabi qui plante chaque week-end un but. Pouvez-vous nous expliquer votre choix ?
Vu la tournure qu'a prise le match et la distance entre nos lignes, je pense que la présence de quiconque en attaque n'aurait strictement rien changé. Mais peut-être que je me suis trompé, le foot n'est pas une science exacte.
N'aviez-vous pas un peu sous-estimé l'équipe algérienne ?
Pas du tout, on s'attendait à un match difficile, avec des duels très musclés en milieu de terrain. Et c'est bien ce qui s'est passé.
Vous avez préparé la rencontre à Marrakech, réputée pour ses soirées animées. Etait-ce le meilleur choix ? Les joueurs n'auraient-ils pas trop fait la fête, par hasard ?
Au contraire, la préparation a été exemplaire. Nous avons résidé dans un hôtel réservé pour nous seuls et on a pu se préparer dans les meilleures conditions. Je vous rassure, aucun des joueurs n'a fait le mur pour sortir faire la nouba.
Ne trouvez-vous pas que l'attitude des joueurs vis-à-vis de l'arbitre a été exagérée, voire anti-sportive par moments ?
Presque tout a été sifflé contre nous. Parfois injustement. A chaque fois qu'on commençait à construire ou à amener du danger dans le camp adverse, le match a été entrecoupé par le sifflet de l'arbitre. Les joueurs ont été affectés par le manque de fluidité du jeu, et fatalement leurs nerfs ont lâché. C'est une attitude que je ne cautionne pas, mais que je peux comprendre en tant qu'ancien joueur.
C'était un peu votre baptême de l'arbitrage africain. C'est un facteur que vous ne soupçonniez pas ?
Même si on m'avait prévenu, c'est la première fois de ma carrière que je suis halluciné par l'arbitrage. Mais il faut dire que nous avons aussi manqué de précision. Maintenant ce match est derrière nous, il faut préparer notre revanche au match retour. Je l'attends avec beaucoup d'impatience.
Comment cela se passe, justement, avec la fédération ? Les dirigeants vous laissent-ils libre de vos choix ?
Cela se passe très bien. Il y a une confiance mutuelle avec la fédération. Personne ne s'immisce dans mon travail. Mais je connais mes obligations et mes devoirs.
Les dirigeants ne sont-ils pas agacés par vos nombreuses tournées en Europe ?
J'ai carte blanche. La fédération sait exactement ce que je fais. Et elle me fait confiance pour la préparation des prochains matchs.
Avez-vous repéré un nouveau talent marocain évoluant à l'étranger que l'on ne connaît pas encore ?
Je vais bientôt me déplacer en Allemagne pour voir évoluer un joueur d'origine marocaine. Après cela, j'espère que nous pourrons le convaincre de rejoindre l'équipe nationale, parce que je sais qu'il a d'autres propositions. Je ne peux pas vous en dire plus en ce moment.
Vous habitez en face du siège de l'ONEP, où se trouve un des nombreux bureaux du président de la fédé. Ça lui arrive de passer prendre le café ?
Non, le président est très occupé, il ne passe jamais chez moi.
Et le roi, l'avez-vous déjà rencontré ?
Non, je n'ai jamais été en sa présence.
Cela arrivera peut-être quand nous remporterons la Coupe d'Afrique. Vous y croyez toujours ?
Toute ma vie, j'ai pratiqué le sport pour gagner, c'est un aspect de ma personnalité. Malgré le doute, on va se qualifier à cette Coupe d'Afrique et, éventuellement, la remporter. Nous en avons la motivation et les moyens.
Et pour la Coupe du Monde ?
Je dirai que c'est mon deuxième challenge. Mais chaque chose en son temps.
Le choix de la sélection sénégalaise pour un match amical en août, c'est pour rester concentré sur la campagne africaine ?
Effectivement, je veux vivre les déplacements dans les pays africains pour mieux en connaître l'ambiance et la psychologie, histoire d'éviter toute surprise.
On sent que l'équipe nationale n'a pas d'âme. Combien de temps vous faudra-t-il pour lui insuffler un véritable esprit d'équipe ?
Je ne suis pas d'accord. Je pense que l'âme est déjà là. Mais il y a encore beaucoup de réglages à faire et des choses à améliorer dans cette équipe pour la pousser vers l'avant.
Le onze national manque de leadership. à votre avis, qui pourrait être le patron de cette équipe ?
Au fil des matchs, certains joueurs, par leur attitude sur le terrain, montrent des capacités à assurer ce rôle. Je pense à Benatia, qui a incontestablement une forte personnalité, mais aussi au capitaine de l'équipe, Houssine Kharja. Cela dit, les prochaines rencontres peuvent révéler d'autres leaders.
Vous avez récemment eu un long entretien téléphonique avec Mounir El Hamdaoui. Avez-vous pu tirer les choses au clair avec lui ?
Je me suis déplacé en Belgique pour le voir, mais je n'ai pas pu le rencontrer. De retour au Maroc, il m'a rappelé et nous avons eu une longue conversation téléphonique que je peux qualifier de positive. Nous avons pu clarifier certaines choses. Mais je vais devoir me déplacer prochainement en Hollande pour le rencontrer.
Avec son éventuel retour, se dirige-t-on vers un système de jeu à deux attaquants de pointe ?
C'est possible. Mais il faut surtout repenser l'entrejeu, car ce sera compliqué de jouer avec deux latéraux très offensifs. Il va falloir prendre une décision en conséquence.
Si, par malheur, vous perdez le prochain match Maroc-Algérie, examinerez-vous les nombreuses propositions que vous avez reçues récemment ?
Je ne peux même pas imaginer perdre ce match. Outre le fait que je suis quelqu'un d'optimiste. Objectivement, vu notre potentiel, je ne vois pas comment on pourrait perdre.
Vous étiez en Arabie Saoudite ces derniers jours, n'était-ce pas pour écouter la proposition de la fédération saoudienne ?
L'Arabie Saoudite est une grande découverte humaine pour moi. J'y ai appris à vivre différemment et à développer ma capacité à m'intégrer rapidement dans un nouvel environnement. Je me suis fais là-bas des amis pour la vie, auxquels je rendrai visite à chaque fois que ce sera possible. Maintenant, pour répondre à la rumeur qui a circulé dans la presse, j'y suis retourné uniquement pour expédier quelques affaires administratives. Et pas pour écouter une quelconque proposition.
Vos rapports avec la presse marocaine sont relativement tendus. C'était aussi le cas du temps de Galatassaray ou de Marseille ?
Ça ressemble étrangement à l'époque où j'entraînais le Galatassaray. Je lis parfois des interviews que je n'ai jamais données, sans oublier les fausses rumeurs et les analyses approximatives. A Marseille, c'était différent. On me critiquait quand l'équipe était mauvaise, parfois à tort, parfois à juste titre, mais il y avait une espèce de respect mutuel entre la presse et moi.
Vous parlez de fausses rumeurs, mais les propositions que vous recevez n'ont rien d'une rumeur…
Vous savez, même si j'ai dit à mon agent que je ne suis intéressé par aucune proposition, cela n'empêche pas que des équipes à la recherche d'un entraîneur pensent à moi. Soyons clairs, j'espère pouvoir aller jusqu'au bout de mon contrat avec la fédération marocaine. Et, pourquoi pas, le renouveler. Ma vie d'entraîneur me plaît ici.
Même l'Olympique Lyonnais ne vous tente pas ? La Ligue 1 ne vous manque donc pas ?
Il n'y a pas que l'OL qui pense à moi, il y a aussi d'autres équipes. C'est flatteur pour un entraîneur, mais, je vous le répète, je suis en contrat avec le Maroc, donc le sujet est clos. Quant à la Ligue 1, il faut dire que lorsqu'on a été entraîneur à Marseille, on ne s'en remet jamais. La ville et l'ambiance magique du stade Vélodrome me manquent énormément. Le respect et l'amitié des gens aussi.
Et au Maroc, comment le public vous accueille-t-il ?
Que ce soit dans les stades ou dans la rue, les gens affichent du respect à mon égard et se montrent très chaleureux. Chose que j'apprécie énormément et que tout entraîneur a besoin de ressentir.
Revenons à Marseille. Pensez-vous que l'OM a encore une chance de remporter la Ligue 1 cette saison ?
Je pense qu'il va la gagner, même si Lille a la meilleure équipe cette année. Mais, durant les dernières journées, les Lillois battent de l'aile, ce qui profitera à Marseille, qui sait mieux gérer une fin de saison.
Sauf qu'en 2009, Marseille avait raté avec vous le titre de champion durant les dernières journées, au profit de l'exceptionnel Bordeaux de Chamakh, à l'époque. Vous lui en voulez toujours ?
Chaque fois que je le vois, il me rappelle ce mauvais souvenir, c'est atroce (rire) ! Il m'a privé d'un titre, vous vous rendez compte ! On se chambre chaque fois qu'on en parle.
A l'OM, vous avez révélé Valbuena, que vous appeliez affectueusement “le petit”. C'est qui votre petit chouchou dans la sélection nationale ?
C'est différent. En tant qu'entraîneur d'équipe, il y a beaucoup de complicité qui se développe avec les joueurs que l'on voit tous les jours. Certains viennent vous voir pour des histoires personnelles. Alors qu'en tant que sélectionneur, je ne retrouve mes joueurs que quelques jours à l'occasion d'un match, le reste se fait par téléphone ou lors de mes déplacements au Maroc et à l'étranger.
Passer d'entraîneur de club à sélectionneur national, ça n'a pas été brutal ?
Après avoir entraîné plusieurs équipes et cumulé beaucoup d'expérience, on se dit qu'il est temps de passer à autre chose.
ça vous laisse néanmoins plus de temps libre…
En tant que sélectionneur, on a l'impression qu'on dispose de plus de temps libre que dans la vie en club, mais c'est faux. Je dois visionner beaucoup de matchs, sillonner le Maroc et l'Europe pour suivre mes joueurs, en plus de la préparation des plannings d'entraînement. C'est un full time job.
Quel est le match qui vous a le plus marqué dans votre carrière ?
Je n'ai jamais su quoi répondre à cette question. Il y a eu tellement de matchs que je ne suis pas près d'oublier, que ce soit en tant qu'entraîneur ou en tant que joueur.
Vous avez affronté Maradona à deux reprises. Quel souvenir gardez-vous de lui ?
C'est certainement le meilleur joueur contre lequel j'ai joué. En 1986, il a gagné une Coupe du Monde à lui tout seul. Et de quelle manière !
A part Diego, quels sont les autres attaquants qui ont le plus donné de mal au Lion de Rekem ?
Johan Cruyff était aussi un joueur exceptionnel. Il était difficile à tenir.
La sélection belge n'a plus brillé depuis votre époque. Pourquoi à votre avis ? A-t-elle du mal à se renouveler ?
Je pense que l'équipe est en train de se reconstruire avec des joueurs de talent comme Vincent Kompany, qui est à Manchester City, ou Eden Hazard, qui joue à Lille. C'est une génération très talentueuse qui laisse augurer d'un grand retour de la Belgique. Elle serait capable de faire mieux que notre génération.
Vous êtes plutôt Barça ou Real ?
Quand on aime le bon football, on est fatalement supporter du Barça. Cependant, j'ai une grande sympathie pour José Mourinho, que j'ai rencontré quelques fois. C'est un grand monsieur.
Et plutôt thé marocain ou thé saoudien ?
J'en bois plus au Maroc qu'en Arabie Saoudite.
Vous êtes grand amateur de Bordeaux. Comment trouvez-vous les vins marocains ?
J'en ai découvert deux ou trois qui m'ont plu. J'aime bien en boire un ou deux verres, quand je suis au restaurant.
Georges, votre célèbre chien danois, n'est pas avec vous au Maroc ?
Comme je n'ai pas pu l'emmener en Arabie Saoudite, je l'ai laissé à ma sœur. Maintenant il est devenu membre à part entière de la famille et je ne peux plus le leur arracher. Et c'est tant mieux pour lui, car avec mes fréquents déplacements, il aurait passé beaucoup de temps seul.
Votre famille vous rend-elle visite au Maroc ?
Ils ne sont encore jamais venus ici. Mais un de mes fils sera là pour assister au prochain match.
Un match que nous allons gagner ?
Encore une fois, je ne peux pas envisager un autre scénario…


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