Depuis 1982 et l'élimination au premier tour du Cameroun et de l'Algérie, à une époque où le contingent africain, limité à une équipe en 1970, 1974 et 1978 venait de doubler, le continent avait toujours réussi à placer au moins une équipe au second tour. Trois d'entre elles – le Cameroun en 1990, le Sénégal en 2002 et le Ghana en 2010 – avaient même atteint les quarts de finale, alors que le Maroc ( 1986) Nigeria (1994, 1998, 2014), le Ghana (2006) et l'Algérie (2014) s'étaient hissés en huitièmes de finale.Cette année, l'Afrique présente un bilan désastreux d'un point de vue sportif, puisque tous ses représentants ont déjà quitté la Russie la queue basse, le sort des trois sélections nord-africaines étant même scellé dès la deuxième journée. Sur les quinze matches qui les concernaient, elles n'en ont remporté que trois, pour deux nuls et huit défaites, inscrivant seize buts contre vingt-cinq encaissés. Bien sûr, chaque cas est différent. Le Sénégal et le Nigeria ont échoué de peu lors de leur « finale » respective, face à la Colombie (0-1) et à l'Argentine (1-2). Le Maroc a montré dans le jeu qu'il était capable de rivaliser avec le Portugal et l'Espagne et la Tunisie a souvent évolué sans calculer, ce qui lui a permis de remporter son premier succès en phase finale face au Panama (2-1) mais aussi d'être balayée par la Belgique. Pour l'Egypte, orpheline de Salah à l'occasion du premier match, elle a également payé au prix fort la stratégie ultra défensive de l'Argentine Hector Cuper, dont le sort a été scellé à peine le pied posé au Caire. J'AI EU L'IMPRESSION QUE LES EQUIPES AFRICAINES ETAIENT GAGNEES PAR L'EMOTION D'ÊTRE PRESENTE AU MONDIAL », AVANCE LAMINE N'DIAYE Un manque d'ambition Pendant quelques semaines, et jusqu'à ce que la vie des clubs finisse par occuper le quotidien, les débats autour de cet échec global animeront les conversations. Mais certaines explications sont déjà avancées. « C'est un fiasco, qui s'analyse de différentes façon. Je pense qu'on peut parler d'un certain manque d'ambition. On se qualifie pour la Coupe du monde, c'est bien, mais une fois sur place, il faut se mettre au niveau. Hormis le Sénégal, les quatre autres équipes ont perdu leur premier match. Et elles se sont mises en difficulté pour la suite. J'ai eu l'impression qu'elles étaient gagnées par l'émotion d'être là. La Coupe du monde, c'est le très haut niveau », rappelle Lamine N'Diaye, l'ancien international sénégalais puis sélectionneur des Lions de la Teranga, aujourd'hui entraîneur d'Al-Hilal (Soudan). CE DONT NOUS AVONS BESOIN, C'EST D'UNE VRAIE CULTURE DE LA GAGNE. ON NE PEUT PLUS SE CONTENTER D'Y ALLER JUSTE POUR PARTICIPER », AFFIRME FRANÇOIS ZAHOUI François Zahoui, le sélectionneur ivoirien du Niger, se veut même plus incisif. « Ce dont nous avons besoin, c'est d'une vraie culture de la gagne. On ne peut plus se contenter d'y aller juste pour participer. Quand je vois les Iraniens, les Japonais, les Sud-Coréens, qui se battent comme des guerriers… Je ne parle même pas des Européens et des Latino-Américains. Il faut progresser dans l'approche des grands rendez-vous, être prêts dès le premier match. » LE PLAISIR, C'EST BIEN, MAIS À CE NIVEAU, LE RESULTAT EST IMPORTANT », LANCE ABDELKHALEK LOUZANI Une culture tactique parfois aléatoire Il n'a échappé à personne que les sélections africaines ont encaissé beaucoup de buts sur les coups de pied arrêtés, et régulièrement en fin de match. « Trop de points ont été perdus dans ces circonstances. Ce n'est pas normal. C'est une question de rigueur, de concentration, de culture tactique également », intervient Abdelkhalek Louzani, l'ancien sélectionneur du Maroc, en avançant un « exemple concret » : « Contre l'Angleterre, la Tunisie a passé son temps à défendre, alors que le style de l'adversaire lui permettait de développer son jeu. Et elle perd lors du temps additionnel, en fin de partie (1-2). Par contre, face à la Belgique, une équipe offensive, avec de grands joueurs, elle a voulu ouvrir le jeu et essayer de rivaliser, ce qui n'était pas possible. Résultat, elle s'incline lourdement (2-5). Parce que les Africains veulent pratiquer du beau jeu. Le plaisir, c'est bien, mais à ce niveau, le résultat est important. On voit régulièrement des sélections africaines essayer de compenser leur manque de culture tactique par de la générosité. Et quand arrivent les dernières minutes, quand l'oxygène n'arrive plus au cerveau, on craque par manque de fraîcheur. » IL Y A DES JOUEURS AFRICAINS QUI EVOLUENT DANS LES MEILLEURS CLUBS EUROPEENS. MAIS EN SELECTION, ILS NE SONT PAS TOUJOURS ENTOURES DE LA MÊME QUALITE », SOULIGNE LAMINE N'DIAYE Lamine N'Diaye aborde un autre point pouvant expliquer selon lui certaines défaillances lourdes de conséquences. « Il y a des joueurs africains qui évoluent dans les meilleurs clubs européens : Mané et Salah (Liverpool), Koulibaly (Naples) Benatia (Juventus Turin), Ziyech (Ajax Amsterdam), Moses (Chelsea), etc… Mais en sélection, ils ne sont pas toujours entourés de la même qualité. Il y a des questions d'automatisme. Un joueur qui dispute la Ligue des champions peut avoir à côté de lui un partenaire qui évolue dans le championnat égyptien ou tunisien. Et tout le monde sait qu'en Europe, le niveau y est supérieur. » Améliorer les championnats locaux L'Afrique traîne comme un boulet une organisation souvent aléatoire de ses compétitions domestiques, à l'exception de quelques pays. « Le football évolue très vite, et le fossé se creuse. Les Africains doivent comprendre que la formation des joueurs, des entraîneurs, l'amélioration des structures, la mise en place d'un vrai professionnalisme sont des éléments indispensables pour progresser. Le problème, c'est qu'il y a sur notre continent un manque de volonté politique et de vision à long terme. On se contente de la présence de la sélection en phase finale de la CAN ou de la Coupe du monde. Mais c'est tout un travail en profondeur qui est nécessaire. Heureusement que les sélections africaines peuvent s'appuyer sur ceux qui jouent en Europe ou qui y sont nés », s'agace Zahoui. Le Marocain Abdelkhalek Louzani regrette que « les championnats africains ne produisent plus grand-chose. Or, le football de haut niveau, c'est la création perpétuelle de la richesse. L'Afrique a le potentiel humain. Il a juste besoin de cerveaux et d'une bonne gouvernance, avec une vision pour l'avenir. » Zahoui dénonce la culture de l'urgence, trop présente dans la gestion du football continental. « Il faut que les autorités politiques et sportives comprennent que le football peut offrir une belle vitrine à un pays, à un continent. Et qu'il faut plus de professionnalisme. Le problème, c'est qu'au sein des sélections, les joueurs ne sont pas aussi cadrés qu'en club. Quand on voit des présidents qui passent leur temps à faire des selfies ou demander des autographes des stars de l'équipe, on est en droit de s'interroger », ironise François Zahoui. Ce qui est toujours moins grave que de profiter des subsides de la FIFA pour s'enrichir personnellement, comme l'ont fait des fait certains présidents, dont celui de la fédération ghanéenne récemment…