En visite à l'une des écoles publiques de Marrakech où il a rencontré de jeunes élèves pour un long réquisitoire contre le racisme et le sexisme, le recordman de sélections en équipe de France (142 capes) et champion du monde 1998, Lilian Thuram, s'est joint à Noureddine Naybet lors de cette campagne qui invite les jeunes enfants à s'engager dans la course du Maroc vers l'organisation du Mondial 2026. Dans cet entretien, le titulaire de la distinction «Chevalier de la Légion d'honneur en 1998» et initiateur de la «Fondation Lilian Thuram-Education contre le racisme» nous parle de la candidature «Maroc 2026», de sa nouvelle passion, la sensibilisation contre le racisme sous toutes ses formes, mais aussi de la participation du Maroc et de la France au prochain Mondial 2018 en Russie. Le Matin : Pourquoi avoir tenu à faire le déplacement à Marrakech et rencontrer ces jeunes écoliers ? Lilian Thuram : C'est une chance de pouvoir discuter avec ces enfants et de leur parler du travail effectué par ma fondation, de les questionner sur cette question d'égalité, qui n'est parfois pas facile à mettre en place. Très souvent, on est conditionné à mépriser certaines personnes, à se penser mieux que ces personnes. Par exemple, qu'on soit au Maroc ou ailleurs, on a tendance à juger les gens à travers la couleur de leur peau. On doit donc aviser les enfants, pour qu'ils ne reproduisent pas ces schémas. Il faut dire aux enfants que pendant des siècles, on a vécu dans des sociétés qui estimaient l'homme supérieur à la femme. Il faut expliquer aux jeunes garçons qu'ils ne doivent pas reproduire le même schéma et aux jeunes filles qu'elles ne doivent pas se considérer comme inférieures. Il y aura aussi, peut-être, des gens qui vont les stigmatiser quant à leur taille, leur poids ou leur religion. Il faut leur dire qu'ils doivent rester fiers de ce qu'ils sont et de leur pays. Pour évoluer aussi, il faut qu'ils rencontrent les gens qui leur tendent la main pour les amener le plus haut possible. Cet événement s'inscrit également dans le cadre de la campagne de soutien à la candidature du Maroc pour l'organisation du Mondial 2026. Avez-vous une idée sur les arguments de cette candidature ?Le Maroc doit absolument défendre ses intérêts et chances pour organiser la Coupe du monde 2026. Je n'ai pas encore pu observer de près les infrastructures et les stades, mais je sais qu'il y a eu une commission de la FIFA qui a rendu visite à ces sites. Cependant, je crois que quand un pays se porte candidat à l'organisation d'une Coupe du monde, il doit bien avoir les moyens de le faire. Je ne fais pas partie de ces personnes qui doutent, parce que c'est le Maroc. Je pense que le pays a les compétences qu'il faut et ce serait magnifique de voir cette Coupe du monde au Maroc. À pratiquement un mois du Mondial, comment évaluez-vous les chances des sélections marocaine et française ? Les gens ne se rendent pas souvent compte que c'est les mêmes pays qui remportent la Coupe du monde. Cette année, les favoris seront le Brésil, l'Allemagne, l'Espagne, après éventuellement des équipes comme la France. Pour le Maroc, c'est extrêmement compliqué de dire qu'il pourrait remporter cette Coupe, mais il y a des premières aussi… j'espère que les choses se passeront très bien pour les deux sélections. Si on vous demandait de recenser les forces en présence dans le Onze marocain… ? Je ne connais pas vraiment toute l'équipe, mais je connais bien Mehdi Benatia qui évolue à la Juventus de Turin, un club où j'ai également joué. Ce que j'apprécie en lui, c'est que quand il faut dire les choses, il n'hésite pas à y aller. Ça veut dire que c'est quelqu'un d'honnête, et c'est un leader aussi. Après, je connais aussi Amine Harit, qui a joué avec l'un de mes fils en équipe de France. C'est un joueur bourré de talent, qui a une très grosse personnalité. L'entraîneur Hervé Renard est aussi très connu, il fait des choses fantastiques. J'espère qu'il mènera le Maroc vers une très bonne Coupe du monde. Parlons un peu cette Coupe du monde 1998 très spéciale pour vous, notamment la demi-finale face à la Croatie… J'y ai marqué mes deux seuls buts en sélection ! J'étais aussi surpris que les spectateurs et les téléspectateurs, car je n'avais pas l'habitude de marquer. La preuve, c'est que je ne l'ai plus jamais fait avec l'équipe nationale. Qu'en est-il de l'élimination du Maroc, qui a fait jaser au pays avec des suspicions autour du résultat du Brésil face à la Norvège ? Je dois avouer que ce n'est que dernièrement que j'ai appris ce qui était arrivé au Maroc lors de cette Coupe du monde. Vous devez imaginer que j'étais entièrement concentré sur la performance de la sélection française. Le Maroc avait gagné contre l'Ecosse et le Brésil s'était incliné face à la Norvège, mais je n'ai pas eu le temps d'en savoir plus, car j'étais extrêmement focalisé sur mon jeu. Toutefois, je dois dire que j'ai grandi avec des joueurs qui m'ont servi d'exemple, même si on est de la même génération, et parmi eux des Marocains de cette équipe. Par exemple Naybet, que j'admirais beaucoup pour son calme, sa technique et sa gentillesse. Lorsque vous jouez contre des joueurs qui ont du charisme, de la grandeur d'âme, cela vous apprend qu'il y a des choses plus importantes que le football. Dans ma jeunesse, il y avait aussi Bouderbala, un joueur qui faisait rêver.