La politique d'immigration au Canada, exigeant des profils qualifiés, était considérée comme une opportunité à ne pas rater. Mais cela sans compter avec les obstacles bureaucratiques. La politique d'immigration au Canada, exigeant des profils qualifiés, était considérée comme une opportunité à ne pas rater. Mais cela sans compter avec les obstacles bureaucratiques. Souvent partis en quête d'un avenir meilleur, les immigrés marocains, de plus en plus nombreux au Québec, se retrouvent à faire des petits métiers pour survivre. Etude. L'immigration en provenance du Maroc vers le Québec a crû de façon considérable au cours des dernières années. Le Maroc est passé du onzième principal pays de naissance des immigrants admis au Québec entre 1993-1997 à la deuxième position, derrière la Chine, entre 2001-2005 (MRCI 2003; ICCQ 2006) et les migrants marocains font partie des catégories de nouveaux arrivants qui rencontrent le plus de problèmes d'insertion dans l'emploi. En effet, lorsque des recherches s'attardent aux populations d'origine marocaine au Québec, celles-là sont souvent incorporées à des catégories générales telles que «Maghrébins», «Africains du Nord» ou «Musulmans». Ces amalgames permettent difficilement d'identifier les effets des déterminants historiques, politiques, économiques et sociaux des contextes de départ sur les processus de migration et les modalités d'insertion économique. Sachant que le Gouvernement québécois adopte en 1996 une nouvelle grille de sélection des Marocains, visant en priorité les «jeunes personnes actives» et les «jeunes familles», les travailleurs qui s'inscrivent dans des professions en demande, les personnes hautement scolarisées ainsi que les francophones. Autrement dit, le Maroc constitue la région cible. Les offensives canadienne et québécoise en matière de recrutement sont d'ailleurs fort visibles au Maroc, où un véritable marché de l'émigration vers le Canada s'est déployé : présence de panneaux publicitaires, multiplication d'annonces dans les journaux et magazines, prolifération de bureaux de consultants et d'avocats en immigration et tenue de séances d'information dans les hôtels. Pour l'ensemble des migrants marocains, le départ constitue une stratégie d'ascension sociale, pour eux et pour leurs enfants, dans l'illusion d'améliorer leur qualité de vie. Afin d'approfondir la motivation de départ des Marocains résidant au Québec, les obstacles qui entravent leur insertion économique et sociale dans la société d'accueil, une étude de terrain qualitative a été effectuée à Montréal en Janvier 2013, par la récolte des récits de vie auprès de certains immigrés marocains au Québec. Lorsqu'ils ont été interrogés sur les raisons de leur migration à Montréal, certains ont répondu qu'ils avaient perdu l'espoir que les réformes marocaines apportent dans un futur proche des changements économiques et sociaux significatifs. Il n'y a pas de programmes de développement (Driss). L'«incivilité» et l'«insécurité» sont également mentionnées comme causes de la décision de migrer dans un pays développé. Aussi, Jamila et son mari étaient inquiets de l'ampleur du chômage et contestaient la «nécessité» qui est faite, au Maroc, de recourir à des enseignements privés très coûteux financièrement pour la réussite scolaire de leurs enfants. Ils ont choisi de migrer à Montréal afin d'offrir à leurs trois enfants une éducation de qualité et à moindre coût ainsi qu'une insertion professionnelle qu'ils anticipent moins ardue dans leur nouveau pays d'accueil. Jamila fait allusion aux préjugés et aux faibles possibilités d'avancement professionnel qui règnent encore au Maroc pour les femmes : «J'étais ligotée en tant que femme, j'avais pas d'avenir, je commençais à stagner». Désir de changement Pour les personnes interrogées, homme ou femme, c'est le manque de reconnaissance professionnelle fondée sur le mérite et le fait qu'ils occupaient un emploi qui n'était ni suffisamment rémunéré ni en adéquation avec leur niveau de diplôme qui les a poussées à la migration. Cela dit, d'autres personnes provenant de familles issues des couches les plus favorisées de la société marocaine voient la migration à Montréal comme une stratégie afin de contourner certains obstacles locaux, de favoriser une insertion professionnelle ultérieure au Maroc et de vivre une expérience enrichissante tant sur le plan personnel que professionnel. Elias, 27 ans, issu d'une famille qui compte dans l'échiquier politique marocain, explique qu'il «déteste la routine» et qu'il a «décidé de partir au Canada comme [il aurait] pu aller en Australie ou ailleurs». Dans son cas, l'immigration s'inscrivait dans un désir de changement. Malheureusement, Québec est loin de constituer un eldorado. Les principales raisons, qui constituent en quelque sorte les points négatifs du Québec, ne visent pas à décourager les candidats potentiels à l'immigration, mais plutôt à les amener à choisir, en connaissance de cause. Comme tous les nouveaux immigrants au Québec, les Marocains sont souvent confrontés à la dure réalité du marché du travail québécois : exigence d'une expérience locale, non-reconnaissance des diplômes. Mais aussi à plusieurs obstacles d'ordre bureaucratique et administratif. Le témoignage de Mounir est éloquent. Cet originaire de Oujda, âgé de 30 ans, est arrivé au Québec en 1999 en tant qu'ingénieur électronicien. Ce titre professionnel qu'il avait au Maroc ne pourra pas lui permettre de se joindre à la confrérie du génie québécois. Pourtant, il est titulaire d'un diplôme d'études supérieures techniques. Mais, son dossier a été carrément rejeté par l'OIQ, sans possibilité d'appel. L'Ordre a jugé qu'il devait suivre une formation plus importante pour pouvoir prétendre au titre. «Comme je n'ai pas le diplôme d'ingénieur, il aurait été normal qu'on me demande de passer des examens, raconte-t-il. Mais je ne m'attendais pas à un refus pur et simple». Le même problème est vécu par Aïcha, une architecte marocaine qui a pratiqué huit ans dans son pays mais qui vit au Québec de l'aide sociale. D'autres préfèrent se débrouiller et accumuler les petits métiers pour survivre. «J'ai commencé mon premier "emploi" à la rue Chabanel que je qualifierai plutôt de ma première exploitation. A l'instar de beaucoup d'immigrants ayant un itinéraire scientifique et professionnel de haut niveau, j'ai été canalisé à effectuer un "job" nécessitant des efforts très épuisants que les Canadiens et Québécois de souche répugnent à faire», témoigne Saïd, 33 ans. Pour ceux qui l'ignorent, la rue Chabanel se situe au nord de Montréal. Elle est connue pour les nombreuses manufactures de vêtements qui s'y trouvent, celles-ci font "travailler" de nombreux immigrants maghrébins. Yasmine, 25 ans, qui, bien qu'on l'eût informée qu'elle aurait trois compléments de formation à faire pour exercer en tant qu'infirmière au Québec, ne savait, avant son arrivée, ni qu'il y avait un examen de sélection pour l'accès à cette formation ni qu'il y avait une longue liste d'attente pour s'inscrire à cet examen. Jamila, arrivée du Maroc, il y a 20 ans, avec son mari et trois enfants, n'aura finalement jamais pu pratiquer sa profession d'architecte. Après avoir pris quelques cours, dont un de français, elle s'est plutôt lancée dans les affaires et son mari aussi, même s'il était… chirurgien. «On n'a jamais senti une quelconque ouverture. Ni de la part du Gouvernement ni des corporations», déplore-t-elle. «On pressentait déjà une pénurie de main-d'œuvre. Le problème aurait pu être réglé en engageant des médecins venus d'ailleurs». Le témoignage des femmes médecins concernées est encore plus édifiant. Une spécialiste des maladies infectieuses, arrivée au Québec en 2005, s'est retrouvée sans emploi malgré ses trente ans d'expériences. Elle s'est convertie en femme au foyer et apprend l'anglais pour partir ailleurs. En effet, elle envisage de quitter Montréal pour aller tenter sa chance à Ottawa. Ce sentiment d'échec n'est pas sans conséquence. Elle souffre, aujourd'hui, d'une profonde dépression et a du mal à se refaire. Aussi le cas de Fatima, cardiologue, arrivée au Canada en janvier 2008 et qui a déclaré que tout est fait par le collège des médecins et par le Gouvernement pour empêcher les médecins de travailler : «Il n'était pas question que je reprenne mes études de médecine. Je n'ai plus l'âge de revenir à l'école et je n'ai aucune envie de perdre mes deux années professionnelles. Maintenant, mon mari quitte un poste qu'il adore à Casablanca. Tout cela est extrêmement difficile pour nous et pour moi, car j'ai souvent l'impression d'être traitée comme un pion, pas comme une personne». Le constat est que les médecins étrangers sont incapables de pratiquer au Québec et se retrouvent en chômage. Le collège de médecine reconnaît le problème mais refuse d'en porter la responsabilité. Le président du collège a même affirmé que son organisme était très ouvert aux médecins étrangers et accuse les obstacles bureaucratiques. Retour sur le cas de Fatiha et son mari, de leur côté, ils ont décidé de migrer avec leurs trois enfants en âge scolaire bien que leur fille aînée de 22 ans, tout juste mariée à un médecin, soit restée au Maroc : «J'aimerais mieux avoir ma fille avec moi, mais je ne les encourage pas à émigrer. J'ai entendu cette histoire d'un pharmacien à qui on a dit qu'il devait refaire toute sa formation et d'un cardiologue égyptien qui en est aujourd'hui à faire une formation de préposé aux bénéficiaires». Ces témoignages de migrants marocains montrent que les politiques québécoises en matière d'immigration apparaissent au Maroc comme des opportunités structurelles dans un contexte de contraintes à l'immigration traditionnelle vers l'Europe. Leur processus sélectif, en mettant en scène une migration de compétences et des travailleurs qualifiés, concourt à une valorisation différenciée des foyers d'immigration constitutifs de l'espace migratoire marocain où le Canada acquiert une valeur distinctive. Néanmoins, les obstacles discriminatoires sont si imposants sur la route professionnelle des immigrants, qui subissent des taux de chômage de deux à trois plus élevés que les natifs. Ils se heurtent à la réalité de portes closes et d'un avenir bouché sur le marché du travail, y compris dans le secteur professionnel. Cela engendre ou peut engendrer la marginalisation sur le plan social-affectif. Et pour l'éviter, il faut leur ouvrir davantage le marché professionnel, il faut créer de nouveaux outils, notamment un centre d'expertise en équivalences et reconnaissance des acquis au Québec.