Tatouages et piercings ont envahi notre pays, trônant sur les épidermes comme une expression intemporelle. Le corps humain est la plus belle expression artistique connue, disait l'artiste. Des propos qui, semble-t-il, ne sont pas tombés dans l'oreille d'un sourd. Car non content de jouer le modèle pour les belles toiles, sculptures, bustes et autres bas reliefs, notre corps est devenu la toile de choix de toute autre forme d'expression d'art et d'individualisme. Le tatouage et le piercing ont la cote et se portent de plus en plus fièrement au Maroc. Les encres éternelles se nichent de plus en plus facilement sur les bras de Marocains et Marocaines, sur leurs épaules, au ras de la nuque ou au creux des reins. Les piercings trouvent également de plus en plus d'adeptes et nous ne sommes pas en train de parler d'un timide petit bouton dans le lobe de l'oreille. La mouvance est certainement venue d'ailleurs, mais elle s'installe et perdure. «Je me suis décidée à percer mon nombril quand je suis partie poursuivre mes études en France, nous explique Mouna. C'était une façon pour moi d'oser un tabou, loin du regard réprobateur des parents. Après mon retour au pays, j'ai été tentée par l'idée d'un tatouage, je me disais qu'il faudrait que j'attende ma prochaine visite à Paris pour le faire. Apparemment non, vu que finalement j'ai trouvé un magasin spécialisé à Casablanca.» Elle ne sera pas la seule surprise et réjouie, car des magasins de tatouage et piercing au Maroc, il en pousse comme des champignons. La jeunesse marocaine a envie de transgresser, d'exhiber son individualité et réclame les armes pour le faire. Une «révolution» personnelle que l'adulte réactionnaire voit souvent comme un emprunt occidentalisé. Sauf que le tatouage en question était bien présent dans nos mœurs et nos us depuis belle lurette. Des racines et des emprunts Le tatouage est un mode d'expression du corps connu dans les civilisations les plus anciennes. Il porte la trace d'une culture qui s'imprègne sur le corps et rend la peau médiatrice entre l'intérieur et l'extérieur de la personne tatouée. Lorsque des objets d'art sont décorés par les mêmes dessins que ceux des tatouages, il s'établit entre le corps et l'objet une symbiose exceptionnelle, comme c'est le cas dans l'art marocain. Les motifs du tatouage peuvent donc être considérés comme un élément plastique original mais exclusif de cet art. Ils sont nettement différents de ceux pratiqués dans les autres pays musulmans où, comme au Maroc, près de la moitié de la population rurale se tatouait jusqu'à ces dernières années. Nombreuses sont les femmes, et parfois des hommes, qui sont tatoués ; nombreuses aussi, sont les preuves de la projection de ces dessins corporels sur les objets d'art. Cette femme d'un certain âge nous raconte : «Le tatouage se fait au cours d'une cérémonie familiale pour marquer certains moments privilégiés de la vie d'une femme, puberté, mariage, naissance du premier enfant… Il est réalisé par une femme, plus rarement par un homme, qui ne sont pas forcément des professionnels et qui sont sollicités pour leur compétence et leurs connaissances de la signification des signes. La localisation du tatouage est très variable selon qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme. Chez l'homme, sa place peut être le nez, la main ou le bras droit. Dans ce dernier cas, il est censé donner à l'homme la force dans des situations périlleuses et protège des dangers. Chez la femme, plusieurs parties du corps peuvent être tatouées: le front, le menton, les joues, la poitrine, le cou, les bras, les pieds, et parfois le pubis.». Aujourd'hui, il en est autrement. Le tatouage est devenu un véritable phénomène de mode. Il n'est pas étonnant de constater qu'il gagne en popularité auprès des jeunes et adolescents en premier lieu. A la plage, dans les salles de jeux, les salles de sport ou dans tous ces lieux à la fois publics et soustraits aux regards inquisiteurs, l'on étale des formes géométriques, des plantes ou encore des créatures de différentes formes et origines, des images indélébiles sur des corps à la fleur de l'âge. Outils de séduction pour les unes, preuves d'audaces et de témérité pour les autres, le tatouage devient un message fort envoyé à ceux qui auront posé dessus un regard ébahi, incrédule ou outré. Panique épidermique «Depuis que j'ai décidé de me tatouer, il m'a fallu prendre quelques précautions avec mon entourage, raconte Mariem, chargée de projet en événementiel. Hors de question d'aller au hammam avec ma famille, de les accompagner à la plage ou tout endroit où je devrais mettre mon dos à nu. Je redoute la réaction de ma mère le jour où elle verra les motifs que j'ai gravé sur mon corps. Ça serait comme se faire prendre en train de fumer en cachette.» Une déclaration qui en dit long sur la difficulté que nous avons encore à assumer un choix aussi irréversible que le tatouage. Les choses passent plus facilement pour un piercing, vu qu'il suffit de l'enlever et de laisser cautériser la plaie. Il existe bien quelques rares exceptions avec des cercles familiaux plus «compréhensifs», mais la plupart restent souvent obtus. «Le jour où j'ai découvert que mon fils s'était fait tatouer, j'en ai perdu mes moyens, c'est aller des cris à la punition jusqu'à l'obligation de le lui faire enlever d'une manière ou d'une autre», nous confie ce père de famille. Il aurait peut-être fallu lui expliquer que le retour en arrière était une opération fastidieuse, chère et au résultat incertain, ou alors rappeler au rejeton en question qu'il aurait été plus malin de recourir à un tatouage temporaire, le temps que l'encre indélébile soit communément admis sous nos cieux. Yassine Ahrar Une décision réfléchie La pose, comme la suppression d'un tatouage, doivent être faites par un dermographe professionnel. Il s'agit d'une opération risquée, car elle nécessite l'incision de la peau et l'insertion d'une substance étrangère (l'encre) dans notre corps, ce qui peut causer des réactions allergiques ou inflammatoires graves. Avant de vous lancer, assurez-vous de la réputation de votre tatoueur, du fait qu'il utilise des aiguilles à usage unique et, surtout, prenez le temps de réfléchir. Un tatouage n'est pas une décision à prendre à la légère.