Parler à S. Fikri est un plaisir qui ne se refuse pas. Le temps d'un dialogue au bout du fil avec une artiste hors pair. L'auteure-compositrice-interprète ne fait pas défaut à sa réputation. Sa voix rassurante accueille et met en confiance. A cœur ouvert, elle nous raconte son parcours et nous confie ses inspirations. «Avant de commencer à composer, j'écoutais énormément les génies de mon époque. J'ai toujours été très portée sur la musique country, Nass El Ghiwan et Oum Kaltoum. Plus tard, ce sont ces mêmes mélodies qui ont conditionné mes chansons.» La chanteuse fait partie de cette génération d'artistes qui se sont approprié leur art. Elle sélectionne avec soin chaque parole et chaque rythme et ne cache pas une certaine appréhension à l'écriture de chacune de ses compositions. Parolière engagée, elle chante la paix, l'amour et le déni du racisme et de l'intolérance. Pourtant, Saïda Fikri n'avait pas vraiment d'idéal à défendre lorsqu'elle fait ses premiers pas dans l'émission Nadi Achabab en interprétant avec brio les succès de Dolly Parton. A quatorze ans, elle n'avait qu'une seule idée en tête à cette époque : montrer ce qu'elle savait faire avec une guitare et avec sa voix. Il faudra attendre 1994 pour voir la chanteuse clamer ses revendications. Elle sort un premier album et donne un concert en Belgique, à l'occasion d'une marche contre la discrimination, organisée sur la grande place de Bruxelles. Le résultat est sans appel, l'art de Fikri plaît et ses mélodies séduisent. Elle se produira plusieurs fois au Maghreb et en Europe et sera invitée en 1998 par le gouvernement belge pour représenter la femme maghrébine. Elle ne peut toutefois s'empêcher de tempérer : «Malgré tous les honneurs qui m'ont été accordés par la communauté internationale, je soutiens toujours que les valeurs de tolérance et de paix que je chante sont des convictions purement personnelles et marocaines. Mes seules inspirations sont issues de mon vécu et celui de mon entourage». Nul n'est prophète dans son pays Fait assez surprenant, la chanteuse est rarement sollicitée par la télé marocaine. En dehors de sa reprise de My coat of many colors, sa seule apparition depuis le lancement de sa carrière professionnelle se limitera à l'enregistrement d'une chanson avec Malek dans les studios de la première chaîne(TVM). Saïda Fikri ne cherche pas à s'expliquer la frilosité des producteurs marocains : «Je n'a jamais refusé une opportunité de me produire au Maroc. C'est pour moi un grand plaisir de pouvoir jouer dans mon pays, de retrouver mon public. Le problème ne vient pas de moi en tout cas. Peut-être est-ce dû à ma longue absence du pays ; mais une chose est sûre, je ne cherche pas la cause de ce manque de médiatisation. Je préfère consacrer mon temps et mon énergie à écrire des chansons qui me satisfont et font vibrer mon public, avant de penser à plaire aux médias». Nul n'est prophète dans son pays. Saîda Fikri réagit à cet adage en préférant positiver, assurant que l'on est surtout «prophète chez soi», car c'est aux siens que le message doit être transmis et non à des étrangers. Elle soutient que son parcours ne lui a jamais inspiré le moindre sentiment de rejet de la part des siens et continue à puiser la force de sa musique dans un terreau résolument national. Son style basé sur sa propre souffrance, celle qu'elle a vécue ou dont elle a été témoin, est bien celui d'une petite Marocaine native de Casablanca. Aujourd'hui installée aux Etats-Unis, elle poursuit son combat lyrique et le rêve d'être libre. Témoignage d'amour Saïda Fikri qui n'avait plus remis les pieds sur scène au Maroc depuis des années retrouvait pour la première fois un public qui ne connaissait d'elle que sa voix. «J'ai été agréablement surprise par l'accueil qui m'a été réservé à Mawazine. Il y avait des personnes âgées de 7 à 77 ans qui interprétaient mes chansons par cœur. Je n'avais qu'un envie : leur témoigner ma gratitude en leur chantant tous les morceaux qu'ils demandaient. Jusqu'à aujourd'hui je n'arrive toujours pas à croire que les Marocains se souviennent de moi et m'aiment autant.» Depuis sa terre d'adoption, l'artiste continue d'écrire des paroles pour le seul public qu'elle se reconnait, les Marocains. Autre marque de reconnaissance envers ses compatriotes, Saïda Fikri a décidé d'exporter la culture et l'art marocains à Stamford, le temps d'un festival, autour du folklore de «son Maroc natal». Yassine Ahrare