Entre le Maroc et Alstom, les relations commerciales ont atteint le seuil de partenariat industriel stratégique. Le point. Il était évident, voire légitime pour le Maroc, ayant concédé des marchés de plusieurs milliards de dirhams au groupe français, de s'attendre à un renvoi d'ascenseur sous forme de transfert de technologies et de création d'emplois notamment. Alstom est adjudicataire des marchés des tramways de Rabat-Salé et de Casablanca (rames, signalisation et alimentation électrique), sans oublier le marché de la ligne grande vitesse devant relier Tanger à Marrakech. Au vu de ces mégaprojets, le groupe Alstom s'est engagé à intégrer le Maroc dans son dispositif industriel. La convention signée jeudi 6 décembre à Agadir sous la présidence du roi fera date dans les annales de l'histoire maroco-française. S'agit-il dès lors d'une mise en pratique de la politique de compensation industrielle (communément appelée offset) chère à Ahmed Reda Chami, ministre du Commerce, de l'Industrie et des Nouvelles technologies? Pas si sûr, puisque ce dernier se défend dans une déclaration à la presse, que le partenariat Maroc-Alstom n'est en aucun cas le résultat d'une exigence du Maroc. Il s'agit plutôt de «l'aboutissement naturel d'une relation économique porteuse de progrès», dit-il avant d'ajouter que «cette convention est la meilleure démonstration que les investissements publics d'envergure peuvent contribuer à faire émerger au Maroc des pans entiers d'activités, économiquement viables, durables, et créatrices d'emplois et de richesses». Quoi qu'il en soit, le deal conclu entre les deux parties serait un signe avant-coureur d'une nouvelle démarche dans la négociation et la conclusion des grands projets d'investissement public. Et ce, pour le plus grand bonheur de notre tissu de PME-PMI, pourvu que ces dernières puissent développer le savoir-faire et l'expertise nécessaires. Du pain béni pour les PME En vertu de ce nouveau partenariat qualifié de gagnant-gagnant, Alstom s'engage à acheter auprès d'entreprises marocaines pour un montant de 6 milliards de dirahms sur une durée de 10 ans ses équipements destinés aux sites européens d'assemblage de matériels roulants et d'équipement ferroviaire. Encore faudrait-il que l'offre marocaine puisse répondre à cette future demande émanant d'Alstom. Se voulant rassurant, le ministre du Commerce et de l'Industrie estime que certaines PME sont déjà bien implantées et que d'autres suivront grâce notamment aux programmes Mousanada et Imtiaz. Il faut dire aussi qu'Alstom Maroc a réussi au fil des ans à créer un réseau de fournisseurs et de sous-traitants marocains. En tout cas, le groupe français ne compte pas uniquement sur ces derniers pour assurer son approvisionnement en composantes électriques ou électroniques, puisqu'il prévoit, comme le souligne Thierry de Margerie, Pdg d'Alstom Maroc «d'inviter aussi un certain nombre d'entreprises européennes à venir s'implanter au Maroc pour leur confier du travail». Mieux encore, Alstom envisage de créer au Maroc une société de fabrication de composants électriques et électroniques pour le matériel roulant, la signalisation, les infrastructures et la maintenance. Il faut préciser cependant que cette future société, qui sera créée avec des partenaires marocains et dont le site devant l'accueillir n'a pas encore été identifié, n'a aucun rapport, direct du moins, avec les marchés remportés par Alstom Transport au Maroc (rames de tramway et de TGV). Cette entité, devant générer 250 postes d'emploi d'ici à 2015, sera presque entièrement tournée à l'export et aura des clients autres que Alstom. Selon les calculs des responsables de Alstom, la future société devra dégager un chiffre d'affaires à l'export de l'ordre de 3,5 milliar de dirhams au cours des dix prochaines années. Best Cost Les signataires de la convention semblent conscients que sans ressources humaines qualifiées, toutes ces bonnes intentions resteront lettre morte. D'où l'idée d'investir dans la formation du capital humain, le talon d'Achille de la politique marocaine en matière d'IDE. Ainsi, Alstom prévoit, en vertu de la convention signée à Agadir, la création et l'animation d'un Institut de formation aux métiers du ferroviaire. Un projet qu'il compte piloter en s'appuyant sur des partenariats avec des universités, des écoles d'ingénieurs et des instituts de formation. L'objectif ultime étant d'accompagner l'émergence de la filière ferroviaire. Une filière, qui loin d'être prévue par le plan Emergence industrielle, vient de s'y greffer et envisage à terme la création de 5000 postes d'emplois, soit autant que dans le secteur des centres d'appels. Alstom compte d'ailleurs mettre en place une activité de support informatique à distance. Dans cette perspective, l'entreprise passera incessamment un contrat avec une société d'offshoring présente au Maroc pour près de 65 emplois à valeur ajoutée technique. S'ils sont menés à bon port, l'ensemble de ces projets fera à coup sûr du Maroc un hub régional en matière de transport ferroviaire. «Les engagements du groupe français Alstom pour accompagner l'émergence de la filière ferroviaire au Maroc contribueront à faire du royaume une plateforme d'approvisionnement stratégique «Best Cost» alliant des prix compétitifs à la proximité des principaux sites d'assemblage européens», se félicite à M. Chami. La convention permettra, en effet, au groupe Alstom «de bénéficier d'une plateforme d'activités ferroviaires dans la production, mais aussi dans la maintenance dont le rayonnement s'étendra au-delà de nos frontières, vers les pays d'Afrique et du Moyen Orient». Attendons de voir ! Said El Hadini «Associer le Maroc au dispositif Alstom » Après la signature de la convention qui vous lie au gouvernement marocain, quelle sera l'étape suivante ? 2011 sera l'année de la mise en œuvre effective des engagements pris devant SM le roi. Cette année, nous allons multiplier les contacts avec les fournisseurs marocains mais aussi étrangers qui seraient intéressés par les projets de développement au Maroc. L'objectif est de voir comment on peut les insérer dans le programme d'achat d'Alstom. Aussi, nous allons compléter le dispositif industriel par le volet formation afin de préparer les futurs cadres aux métiers de l'exploitation industrielle et la maintenance des tramways et des TGV. Avec combien d'entreprises marocaines travaillez-vous et quel est le volume d'activité qu'elles génèrent pour Alstom Maroc ? Nous travaillons depuis cinq ans déjà avec quatre ou cinq entreprises marocaines avec lesquelles nous réalisons un chiffre d'affaires de l'ordre de 40 millions de dirhams pour l'exercice 2009. Ceci étant, nous allons multiplier ce nombre afin d'augmenter le volume d'affaires et aider ces entreprises à renforcer leur compétitivité et ce, dans des programmes industriels complexes, exigeant de fortes compétences et des connaissances pointues. Il faut noter que la convention signée constitue un point de départ d'un engagement à long terme, sur dix ans, et non l'aboutissement. A travers cette convention, Alstom cherche à associer le Maroc à son dispositif industriel. Qu'en est-il de la société que vous allez mettre en place et pourquoi sera-t-elle tournée vers l'export plutôt que vers le marché local où vous avez emporté des contrats conséquents ? Il faut dire que c'est un investissement industriel dont nous sommes en train de préparer le lancement et qui sera destiné à la fabrication du matériel roulant et autre équipement ferroviaire. C'est un projet qui en est encore au stade de l'étude et nous sommes en discussion avec des partenaires marocains. Concernant la nature du marché, le volume de la production destinée au Maroc sera limité, puisque les trames ne peuvent être assemblées qu'en phase finale.