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Ces banquiers voyous...
Publié dans Le temps le 29 - 11 - 2010

Pots-de-vin contre services, marketing, clientélisme, abus de délais… Comment certains banquiers vous pourrissent la vie.
Même à l'ère des champions nationaux, certaines banques (et leurs banquiers) entraînent avec elles des pratiques d'une autre époque. Pots-de-vin contre services, marketing, clientélisme, abus de délais. Entre usage déloyal de pratiques légales et autres aux antipodes de la légalité, quand nos banquiers vont-ils changer d'attitude ?
Abdellah. M est technicien dans une entreprise d'informatique. Il perçoit un salaire le plaçant dans le rang de la classe moyenne selon les critères du Haut commissariat au plan. Quand il venait d'intégrer son entreprise pour son premier job, il n'avait pas de compte bancaire, et n'avait jamais eu affaire à une banque. L'ouverture de son premier compte bancaire fut rapide, il a dû signer quelques papiers. Cela lui a suffi pour faire partie de la population bancarisée au Maroc. «Je faisais des opérations normales sur mon compte. Je donnais des chèques pour régler mes factures et je retirais l'argent sur les guichets automatiques, explique-t-il. Et comme de nombreux Marocains, je ne vérifiais jamais mes relevés bancaires, jusqu'au jour où en y jetant un coup d'œil de plus près, je découvre qu'on me retranche une cotisation d'assurance-auto. Sauf que moi, je ne suis pas motorisé. Je n'ai même pas le permis de conduire !». Hassan, employé dans une entreprise de fournitures de bureau, décide d'acquérir un logement. Il a trouvé un appartement qui convient à son budget. Après un long calcul mental et moult hésitations, Hassan décide de signer le compromis de vente, document notarié témoignant de l'accord de principe entre lui et le propriétaire du logement. Reste à boucler le financement de son investissement. En principe, il ne devrait pas y avoir de problème dans le traitement du dossier de financement auprès de son agence bancaire puisque Hassan travaille sous contrat à durée indéterminée (CDI) et n'a, à son passif, aucun autre crédit. Et effectivement, son banquier lui a confirmé la possibilité de financer par crédit son acquisition. Sauf que, selon le banquier, le traitement du dossier demandera un certain temps vu que l'agence tourne à plein régime devant traiter plusieurs dizaines d'autres dossiers. Explication somme toute logique. «Mais mon compromis de vente serait rompu dans deux mois si je ne conclue pas l'affaire.» Passée cette date, Hassan perdra non seulement l'avance qu'il a remise au propriétaire du logement, mais également la somme au noir qu'il a déboursée pour pouvoir signer le compromis, somme non déclarée dans aucun document. En tout, Hassan ne verra plus les 100 000 DH qu'il a difficilement ramassés et remis au proprio s'il n'obtient pas le prêt de sa banque. A l'approche de l'échéance du compris de vente, il s'inquiète de plus en plus de son dossier perdu dans le circuit bancaire. Il appelle quotidiennement son banquier pour se renseigner de l'état du traitement de son dossier, si celui-ci a été accepté. C'est en se rendant à son agence bancaire que l'agent commercial de celle-ci lui conseille de faire ce que font beaucoup de clients : littéralement en arabe «engraisser les papiers du dossier». Son banquier lui explique qu'avec «une petite enveloppe de 5 000 DH, le traitement du dossier aurait été fait plus rapidement, et sans entraves». Surpris, Hassan croyait pourtant que toutes les conditions étaient réunies pour qu'enfin, il dispose de son propre chez lui. «J'ai compris donc que le retard était volontaire de la part de ce commercial, juste pour qu'il en tire son propre bénéfice» s'exclame-t-il.
Entre ignorance et abus
Ces exemples, courants chez les habituels demandeurs de services bancaires, sont bien connus de tout le monde et loin d'être des cas isolés. Ils représent des dépassements et abus connus de nos banques. En effet, les actes déloyaux se déclinent en deux degrés. Le premier étant l'abus de l'ignorance du client en lui faisant subir des charges supplémentaires, en lui faisant approuver à son insu des services dont il se serait consciemment passé. Cette attitude des agents commerciaux des banques est la conséquence de la pression qu'ils subissent de la part de leur hiérarchie pour atteindre les objectifs fixés en matière de chiffres pour chaque agence. «Il y a une obligation de résultat à notre activité. Nous devons avoir de bonnes performances. Parfois, ce n'est pas vraiment le cas» explique l'agent commercial d'une agence bancaire. Le second degré réside tout simplement en la contrepartie du service rendu. En effet, les clients confrontés à des soucis de financement et qui recourent à leur banque pour les résoudre, vivent des situations où souvent il faut aller au-delà des dispositions légales pour céder à des négociations de gré à gré avec l'agent bancaire de front-office. Celui-ci, censé leur trouver une solution rapide et efficace, fait pencher le rapport de force en sa faveur. La plupart des agents rencontrés par Le Temps affirment qu'une bonne partie des clients ne sont pas au fait de la réglementation bancaire. Pire, ils ne s'adressent pas aux banques en tant que clients, mais plutôt des demandeurs de service. C'est à dire que le service bancaire qui leur est rendu exigerait la reconnaissance. «Ils ignorent que c'est leur droit le plus absolu de disposer d'un compte bancaire. Mais en outre, leur attitude va dans le sens de ne jamais évaluer le travail de leur banquier». C'est un problème à double tranchant. D'abord, l'ignorance du client fait de celui-ci la proie de son banquier. Et ce dernier est obligé de répondre aux obligations de résultat qui lui sont imposées par sa hiérarchie pour remplir ses obligations. «Les clients sont en train de payer le prix de leur ignorance, et certains banquiers en profitent» commente un commercial d'une banque de détails adressée aux clients particuliers. Mais on retrouve cette ignorance également du côté des banquiers. «Ces dernières années ont vu la multiplication d'offres, de packages et de produits bancaires à tous les niveaux. Assurances, crédits personnalisés, produits d'épargne. Parfois, la description et la présentation de ces produits échappent même aux commerciaux des banques. Et ça leur arrive de proposer des produits inappropriés à la situation de leurs clients». Circonstance aggravante, la course effrénée des banques à ouvrir des agences. A une moyenne de 300 ouvertures chaque année, le Maroc dispose désormais d'une banque pour chaque 9500 habitants. Si cette donne reste bénéfique pour la bancarisation au Maroc, elle pose un réel souci aux compagnies bancaires quand à leurs ressources humaines. Avec ces ouvertures d'agences, l'effort de formation dans ces banques est devenu insuffisant. «Il arrivait à un employé d'agence de rapidement devenir directeur d'une autre agence nouvellement ouverte, sans de réels préalables à sa nouvelle tâche» nous renseigne un employé bancaire.
Escroquerie corporate
Les banquiers corporate n'échappent pas non plus à la règle. Les clients des banques «entreprise» ont beau signer des contrats, il leur arrive de tomber dans le piège bancaire. C'est le cas des promoteurs immobiliers. Et là, il faut dire que le problème est doublement partagé. «Etant bien implanté dans un centre d'affaires, je reçois souvent des requêtes d'investisseurs. Ceux-ci ont besoin de financement et celui-ci doit être rapide. La plupart d'entre eux me proposent des enveloppes sous la table pour accélérer leur demande de prêt». Et là, l'enjeu est plus important car les commerciaux des banques «entreprise» touchent des commissions sur leurs exploits. «Sur un seul prêt accordé, j'ai touché 250 000 DH comme commission» se targue un commercial bancaire. Sur ce segment, et c'est un secret de polichinelle, toutes les transactions et opérations sont régies par des contrats signés par les entreprises ainsi que leurs banquiers. Donc, pas de coups de hasard prévus. Sauf que, dans ce cas, ce sont les entrepreneurs qui de graissent la patte leurs banquiers, souvent pressés par des délais de paiement. Ceux-ci n'hésitent pas à proposer d'eux-mêmes, des «gratifications» à leurs banquiers, histoire d'accélérer la procédure d'obtention du financement. Dans ce cas, certaines compagnies de financement répondent aux règles générales. Mais d'autres y échappent. Comme cette société de financement de prêts immobiliers qui a connu une évolution exponentielle depuis sa création. Connue de tous les professionnels, celle-ci n'hésite pas à reprendre les dossiers rejetés par les autres sociétés de financement, y compris les banques. «Notre agence a dû refuser quelque 3000 dossiers de logement à cause du risque que ça induisait, faute de documents satisfaisant nos critères. Cette société a repris tout le lot et a rapidement donné une suite positive à ces demandes de crédit» tâcle le commercial d'une agence bancaire.
Un système bancaire bien loti
Et pourtant, notre système bancaire affiche une excellente forme malgré les crises de liquidités qui le frappent depuis la fin de l'année 2008. En théorie, celui-ci, à travers ses institutions bancaires et de crédit, devrait soutenir le développement économique national. Un soutien qui devrait accompagner la demande des ménages, ce qui se fait d'ailleurs mais pas à la hauteur du soutien de ces ménages au système bancaire lui-même. En effet, le volume des dépôts des particuliers représente 57% des ressources bancaires, alors que celui-ci ne finance ceux-ci qu'à hauteur de 21% de l'ensemble des crédits octroyés qui d'ailleurs sont sur une tendance croissante à deux chiffres. Les banques marocaines devraient également soutenir l'investissement et la petite entreprise qui, pour se faire, bénéficient de l'engagement et des garanties de l'Etat comme le programme Moukawalati. Mais la réalité ne va pas forcément dans le sens de la volonté affichée d'aider les entrepreneurs. En effet, les pratiques bancaires d'antan survivent. «Plus on est proche des milieux d'affaires et de la politique, mieux les banques vous traiteront» explique amèrement un banquier. Bien évidemment, ces pratiques décrites ne sont pas l'apanage de nos compagnies bancaires. Les pots-de-vin et l'abus de pouvoir existent dans toutes les administrations, publiques ou privées, ayant un contact direct avec le citoyen. Bank al Maghrib, institution de tutelle des compagnies bancaires, a entamé depuis ces dernières années plusieurs chantiers pour permettre plus de transparence au niveau des agences, notamment en matière de tarification. Mais le réel problème réside dans l'ignorance de certains citoyens de leurs droits et devoirs. Et c'est là qu'un vrai travail de pédagogie devrait intervenir.
Saad Kadiri
Juillet 1993 La réforme
Comme tout le secteur financier, les banques ont eu leur réforme. Mot d'ordre, décloisonnement, plus de spécialités pour les banques. Elles peuvent toutes offrir les mêmes services aux mêmes catégories de clients.
2010 La banque postale arrive !
Poste Maroc devient une banque à part entière. Le nombre de clients des banques au Maroc est donc passé de 4 à 6 millions. Le taux de bancarisation a atteint 40%. Un grand opérateur du low income banking est né.
2009 Les banquiers s'étendent
Le low income banking fait son apparition au Maroc. Les banques proposent désormais des packages à destination des personnes à revenu instables ou frileux d'ouvrir un compte bancaire.
Juillet 2010 Rappel à l'ordre
Abdellatif Jouahri a, une nouvelle fois, rappelé qu'un ensemble d'opérations sont gratuites et ne doivent pas être facturées aux clients des banques. Celles-ci font la sourde oreille.
Créant de plus en plus de prestations, nombre de banques se rémunèrent sur des services superflus à coups de prélèvements.
Trucs et astuces
Techniquement, de nombreuses pratiques ne sont pas illégales, mais leur accumulation grève sérieusement le portefeuille de l'usager. Dans le rayon «petit oubli anodin», les banques jouent souvent sur les dates de valeurs, un client effectue un dépôt à terme en date du 19/01, son compte sera crédité le 23/01. Résultat : trois jours de placement au profit de l'établissement financier. Nos banques ont le débit facile. Pour une opération aussi banale qu'une remise de chèque, on ponctionne une commission forfaitaire de 20 dirhams. Une demande d'extrait de compte ? Rien de plus aisé, on clique sur une touche et on imprime un bout de papier, un petit geste coûtant entre 15 et 20DH au demandeur. Ces frais infondés constituent un gros poste de recettes, les requêtes d'extraits de compte étant adossées à un bon nombre de démarches administratives (carte nationale, passeport, visa…). Consciente de ces dérives, la BAM exige des banques l'affichage de leurs tarifs. L'entourloupe est vite trouvée, on s'arrange pour que les prix soient publiés dans des tailles microscopiques, presque invisibles à l'œil nu. Autre point sombre, les polices d'assurances. Ces produits sont greffés à tout dossier de crédit validé. On fait accompagner d'office les contrats de crédits immobiliers par une «multirisque habitation» particulièrement coûteuse. Pourtant, la loi ne rend pas cette police obligatoire.
Services et commissions
On tire donc avantage de l'ignorance du client pour le charger d'une prime supplémentaire. Si vous possédez un compte, faites en sorte de souvent le mouvementer les banques déduiront davantage de frais de tenue de compte si votre argent est dormant.
Par ailleurs, que dire des commissions de retraits interbancaires ? Lorsque vous retirez de l'argent dans une banque autre que la vôtre, vous en avez pour 6,40 DH, sauf si vous possédez une Mastercard ou une Visa Gold. Pis, certaines banques débitent des frais de retrait pour… leurs propres clients. Que dire encore de celles qui se rémunèrent sur des envois de courriers, ou encore, celles qui vous glissent une option de consultation de compte via Internet, prestation avoisinant les 20DH ? Cette liste n'est en aucun cas exhaustive. De fait, il est quasiment impossible de faire l'inventaire total de ces commissions. Les appellations sont nombreuses, les contextes différent. Il n'existe aucun standard en la matière. Chaque banque s'arroge le droit de créer puis de tarifer un service. Plus subtil encore, ce consensus qui veut que l'on féminise le personnel commercial. Les conseillers commerciaux, vitrine des agences et premier lien avec le client, sont souvent de jeunes femmes. Leur atout : une force de persuasion très élevée…
R.D.


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