Il faut aller jusqu'au bout dans le jeu de la transparence. Etrange pays que le Maroc : fascinant pour le tourisme à la recherche du dépaysement et de l'exotisme, intéressant pour l'anthropologue à la recherche de réalités vivantes, captivant pour les chercheurs en quête de spécificités locales ; il est rebelle à toute classification rationnelle et refuse de se laisser enfermer dans un modèle déjà connu. Comme système économique, dès qu'on s'y intéresse, on se trouve tout de suite confronté à une question fondamentale : pourquoi les instruments de la macroéconomie s'appliquent-ils aisément et pourquoi les fondements micro-économiques et institutionnels conduisent-ils très vite dans des zones où le jeu des règles et des incitations reflète des rationalités sociales fluctuantes, aux frontières peu aisées à tracer ? Logique d'un système Après plusieurs années de réformes, l'économie demeure caractérisée par des marchés peu concurrentiels, à tendance rentière et, les logiques des acteurs apparaissent comme discursives plutôt que comme rationnelles : calculs insérés dans les structures politiques, économiques et sociales qu'ils configurent eux-mêmes. Vue sous cet angle, la faiblesse de l'économie marocaine ne s'explique pas au niveau de la gestion macroéconomique qui semble donner d'assez bons résultats, mais elle a un fil directeur : la non-application des règles du jeu. Or, comme l'a si bien dit Douglas North (prix Nobel d'Economie) : «Pour réussir, des régimes politiques stables et consensuels doivent reposer sur une profonde assise des normes qui s'imposent aux acteurs». Aujourd'hui, un autre exemple confirme cet écart entre les intentions affichées et leur application sur le terrain. La publication du rapport de la Cour des comptes vient nous rappeler que l'essentiel reste encore faire, notamment en matière de gestion des deniers publics ou, en d'autres termes, la gestion de l'argent du contribuable. De ce rapport retenons d'abord l'aspect positif : le Maroc a enfin osé publier des informations considérées jusqu'à une date récente comme confidentielles. Il a enfin répudié le passé opaque et entaché de pratiques peu conformes à l'éthique. La Cour des Comptes a procédé à un travail méticuleux réalisé par des juges conscients de leur rôle. En mettant en avant le souci de faire leur travail de manière professionnelle et scrupuleuse, ils ont rempli leur tache. Reste maintenant à donner suite à ce travail fondamental pour l'amélioration de la gouvernance publique. Or, c'est là où le bas blesse. On hésite à passer à l'étape suivante. Pourtant, on ne peut pas prétendre édifier une économie moderne assurant une meilleure allocation des ressources sans qu'il y ait une gestion claire et rigoureuse des deniers publics. Ce sont les ressources que la collectivité met à la disposition de l'Etat pour qu'il puisse exister et fournir des prestations à l'ensemble des citoyens. On ne peut donc laisser les prédateurs et les rapaces en disposer librement. L'Etat est donc fortement interpellé. Après tout, c'est lui qui a déclenché le processus. Bien entendu, il faut l'en féliciter même s'il n'y a là rien que de très normal dans un pays qui veut sortir des sentiers tortueux de l'opacité et du sous-développement. Toutefois, il serait particulièrement préjudiciable pour l'autorité de l'Etat et sa crédibilité si celui-ci s'arrête à mi-chemin et ne donne pas suite aux constats faits par le rapport. Si on se met à assister aux scénarios désormais classiques où les rapports sont faits pour être publiés et oubliés, la transparence devient alors une idée abstraite, un principe dénudé de tout sens pratique. Un simple produit de propagande qui perd toute efficacité au fur et à mesure que le temps passe. Il ne faut donc pas que la publication de ce rapport devienne un rituel qui déclenche un défoulement médiatique, ou de simples indignations morales. On risque d'y voir la conséquence perverse de la manière dont la gouvernance est conçue, c'est-à-dire une suite de décisions non assumées par ceux qui les ont initiées, rendant possible le double langage de la classe politique. La gouvernance efficace suppose que les règles du jeu soient claires et respectées de manière uniforme par les décideurs et les responsables de la gestion des biens publics. Autrement, il serait vain de continuer de prétendre édifier une économie libérale et un Etat de droit quand on laisse les prédateurs sévir. Bref, pour l'heure, et sans même parler de la difficulté supplémentaire constituée par la mise en œuvre des réformes, le Maroc ne donne pas l'impression d'être tout à fait prêt à prendre les décisions que devrait imposer la construction d'une économie performante et l'édification d'une société démocratique. Driss Benali Economiste Consultant