Fouad Laraoui revisite le choc culturel entre deux mondes diamétralement. Un roman instructif avec une bonne dose d'humour. Mehdi Khatib, un élève prodige de Béni Mellal, débarque au Lycée Lyautey de Casablanca dans les années 70. Il se trouve alors au cœur de cette bastille du savoir réservé aux Français et aux enfants de grandes familles marocaines. Pourtant, rien ne le destinait à y accéder. Dès son premier jour au lycée, Mehdi est témoin d'un choc culturel patent. Sa rencontre avec le concierge et le proviseur de l'école lui fait comprendre tout de suite qu'il est entré dans un monde nouveau, voire fantastique. Le premier chapitre intitulé «L'énigme de l'arrivée» annonce la couleur. Arrivé avec deux dindons, Mehdi suscite la curiosité. En fait, les dindons sont destinés au proviseur et supposées lui attirer les faveurs de ce dernier. Avec un humour mordant, Fouad Laroui transforme certaines situations embarrassantes en situations burlesques. «L'homme et l'enfant s'observèrent, l'un étonné, l'autre proche de l'épouvante à en juger par son visage malingre dans lequel d'immenses yeux criaient à l'aide. Il y avait de quoi être effrayé : la trogne qui se tendait vers lui, l'œil torve, la bouche partiellement édentée, était celle de Pat Hibulaire, le gros chat noir à tête de brute qui terrorisait tout le monde dans Mickey. Qu'est-ce qu'il faisait au lycée Lyautey, Pat Hibulaire ?» Tout est bien… Les semaines passent et Mehdi commence à s'habituer à sa nouvelle vie. Chaque jour apporte son lot d'imprévus. Mehdi est fasciné par ces personnages qui, désormais, font partie de son quotidien. Il excelle dans ses études, forçant l'admiration des ses enseignants et des autres élèves. C'est à ce moment-là que Mehdi doit faire face à une nouvelle épreuve : les vacances de la Toussaint pointent à l'horizon et il n'est pas question de mobiliser tout l'internat pour lui. Alors le proviseur fait appel à une famille d'un élève qui accepte de l'accueillir chez elle. Il se retrouve immergé dans un autre monde. Ces Français qui mènent un mode de vie complètement différent de tout ce qu'il connaît : ils mangent des plats dégoûtants, vivent dans le luxe et parlent avec beaucoup de liberté de sujets tabous. «Pourquoi était-il en train de manger des choses aussi dégoûtantes ? Au moins chez lui, à Béni Mellal, on ne mange que de bonnes choses, même les jours maigres…Il recrache discrètement dans sa main la bouillie de charcuterie qui remplit sa bouche…Il se penche discrètement et enfouit la chose sous la moquette…» L'humour domine tous les chapitres du roman. Un humour bien propre à Laroui qui, utilisant la darija et certaines variantes du français (celui du concierge du lycée, l'oncle de Mehdi et de son cousin), joue sur le paradoxe entre deux mondes différents. Cependant l'histoire de Mehdi reste émouvante. Elle reflète les différences entre les composantes de la société marocaine. En mettant un élève de Béni Mellal au cœur de l'un des plus prestigieux lycées du Maroc, l'auteur dévoile certaines facettes de la société marocaine. Il fait notamment allusion à une catégorie de Marocains qui ont les yeux rivés vers l'Occident. Les descriptions exactes et très détaillées permettent au lecteur de s'immerger dans le monde de Khatib, de lycée Lyautey et dans celui des Français du Maroc. Le choc culturel made in Morocco. Saad Kadiri (Le Temps)