Adil Douiri, président de l'Alliance des économistes istiqlaliens, actionnaire dans les Brasseries du Maroc. Problématique pour l'Istiqlal ? Pas du tout. En décidant de soutenir officiellement son maire à Fès dans la guerre contre le débit des boissons alcoolisées, Abbas El Fassi a-t-il bien calculé son coup ? Sur le terrain des valeurs morales, le retour de manivelle est toujours à craindre. Et dans les salons d'affaires de Casablanca et Rabat, des voix s'élèvent pour pointer du doigt les contradictions de l'Istiqlal dans le polémique sur «l'alcool», déclenchée par Hamid Chabat, et relayée à grande échelle par le parti. Les milieux d'affaires estiment qu'avant de «donner des leçons aux Marocains, le parti gagnerait à balayer devant sa porte». Un opérateur économique ajoute : «J'espère qu'ils ne vont pas nous faire le coup de l'arabisation. Le parti a arabisé l'enseignement pour le peuple et a mis ses enfants à la mission française !». Un autre commente, pour sa part : «Au moins, les islamistes sont cohérents de bout en bout». Circulez, il n'y a rien à avoir ! Les regards des milieux d'affaires se tournent aujourd'hui vers un homme resté particulièrement silencieux durant cette polémique. Il ne s'agit pas d'un militant lamda mais du théoricien économique du parti, Adil Douiri him-self. Ex-ministre du Tourisme, Adil Douiri est, depuis 2008, président de l'Alliance des économistes istiqlaliens. Il est également actionnaire et gérant de la holding Mutandis, qui détient via Financière First et divers actionnaires quelques 9% du capital de… Brasseries du Maroc, principal fournisseur de boissons alcoolisées du royaume ! Financière First aspire même à un poste d'administrateur au sein des Brasseries du Maroc. Sous d'autres cieux, ce cas cocasse susciterait réunion de crise et grosse polémique. Au Maroc, pas du tout. Le mot d'ordre de l'Istiqlal : circulez, il n'y a rien à avoir ! «Les actions de Adil Douiri n'engagent que lui. La position de notre parti est cohérente, et on ne parle pas là de personnes», objecte Abdallah Bekkali, secrétaire général de la Jeunesse istiqlalienne. Bref, ce qui est «haram» au niveau du parti peut être «halal» au niveau des individus. Chez le PJD, on se veut indulgent. Un député islamiste commente, non sans ironie : «C'est un jeune qui fait des affaires, laissons-le tranquille». Un homme d'affaires tempère de son côté : «Adil Douiri n'a jamais été un vrai istiqlalien. C'est un technocrate estampillé Istiqlal». Joint à plusieurs reprises au téléphone, Adil Douiri n'a pas souhaité s'exprimer. Les Brasseries, une excellente valeur Le tour de table de Mutandis compte plusieurs actionnaires de poids (qui n'ont rien à avoir avec le parti de l'Istiqlal) comme Othman Benjelloun, Driss Jettou, Amyn Alami, Zouheir Bennani. Mais Adil Douiri a le plus gros apport dans la holding : 140 millions de dirhams. En plus, Mutandis est une société en commandite par action. La spécificité de cette forme juridique est que les actionnaires n'ont pas de droit de regard sur la gestion, mais uniquement sur le patrimoine. Le gérant, Adil Douiri, a donc les mains libres pour investir. Il faut lui reconnaître son sens des affaires et son habilité dans le choix de ses placements. Mutandis a acquis indirectement et conjointement avec Omar Kabbaj, 9% des Brasseries du Maroc, cédée en partie par la CIMR sur le marché de blocs à la Bourse de Casablanca. Le rachat de parts du capital de Brasseries du Maroc s'avère être très rentable, puisque le dividende de celle-ci est passé de 95 DH en 2007 à 272 DH en 2008. Politiquement, ce n'est pas la première fois qu'Adil Douiri diverge sensiblement avec son parti, bien qu'il soit président de l'Alliance des économistes istiqlaliens, censée élaborer les thèses et les visions économiques répondant aux attentes politiques du parti. Ainsi, si la commission économique de la formation politique a fait pression au parlement pour augmenter cette année la Taxe intérieure de consommation (TIC) sur les produits alcoolisés, inchangée depuis 1979, l'Alliance, elle, a gardé un silence de marbre sur la question, mais a abondamment commenté le reste des dispositions de la Loi de Finances 2010. Au-delà du cas Adil Douiri lui-même, c'est la ligne politique du parti de l'Istiqlal qui pose problème aujourd'hui. Là aussi, ce n'est pas la première fois que le parti a une attitude mouvante entre sa tactique politique (et idéologique) et la vie réelle de ses membres. Le parti d'Allal Fassi ne joue t-il pas une nouvelle partie démagogique aux Marocains ? Ironie de l'histoire, et au grand dam de Hamid Chabat et Abbas El Fassi, le marché marocain de l'alcool n'aura jamais été aussi bien portant qu'en 2009 et Brasseries du Maroc tire parfaitement son épingle du jeu. A l'image de tout le secteur agroalimentaire, la baisse d'activité en 2009 n'a eu que peu d'impact sur l'entreprise. Valeur de résistance et très peu volatile, elle fait le bonheur des investisseurs institutionnels et des fonds d'investissement à la Bourse de Casablanca. Son chiffre d'affaires est quasiment stable : 1,4 milliards de dirhams en 2008 contre 1,5 MrDH en 2007. L'entreprise a versé en plus à ses actionnaires un dividende de 272 DH par action l'année dernière. Pour 2009, les chiffres semblent être au beau fixe. Un expert explique : «Les intermédiaires ont réalisé des stocks importants, anticipant la hausse de la taxe sur les alcools». Par ailleurs, le repli que connait le secteur touristique et le mois du ramadan qui coïncident désormais avec la saison estivale -pic de la consommation- sont autant d'épreuves auxquelles Brasseries du Maroc promet de faire face sans grands dégâts. Tout cela prouve que le marché marocain est demandeur. L'Etat lui-même vient d'admettre «le fait social» que représente l'alcool au Maroc. Désormais, il fait partie des 500 produits constituant le panier de la ménagère pour le calcul de l'indice du coût de la vie. L'alcool, un thème porteur Politiquement, et depuis quelques temps, l'alcool est devenu une carte politique majeure dans le jeu des partis conservateurs. Principale cible : les quartiers populaires. Le PJD utilise cette carte durant les campagnes électorales et, de temps à autre, pour attiser la colère des populations contre la distribution moderne qui intègre souvent dans son offre un rayon «Alcool». Les supermarchés de la chaîne Acima du groupe ONA ont subi le plus grand nombre de sit-in contre l'ouverture d'un rayon alcool. Label Vie n'y échappe pas non plus. A Kénitra, l'enseigne a fait face à de nombreuses manifestations de protestation alors que la vente clandestine fait un carton dans la ville (le phénomène des Guerrabas). Dernier épisode en date, l'ouverture du nouvel hypermarché français Carrefour à Salé a suscité des tensions dans la «ville sans bars». Un grand sit-in a été organisé par le PJD, soutenu par l'Istiqlal et le PPS. Un refus qui se traduit par un passage à l'action frontale, mené par la formation islamiste, n'est pas souvent suivi par le parti de Si Abbas. «Nous faisons notre travail de rappeler les dispositions de la loi marocaine, et nous appelons les institutions à faire ce qu'elles ont à faire», explique Abdallah Bekkali. Pour l'Istiqlal, la référence à l'islam est brandie très haut. Il appelle à l'application de la loi qui régit la vente et la consommation de produits alcoolisés. Pour l'un des membres du parti, la polémique suscitée à Fès a été gonflée par les conseillers locaux du PAM. Selon lui, Hamid Chabat souhaitait simplement voir appliquer la loi interdisant de servir de l'alcool à proximité de lieux de culte ou à forte symbolique religieuse, ce que le maire appelle, pour Fès, le «triangle sacré de la médina» délimité par le mausolée Moulay Driss, la mosquée Qaraouiyine et le mausolée Sidi Ahmed Tijani. Le parti de l'Istiqlal use de sa popularité à Fès pour conforter la position du maire. Un communiqué du bureau régional du parti indique : «Nous dénonçons les agissements et la terreur que sèment quelques membres de partis de récente naissance, contre la volonté des habitants de la ville de Fès qui, pour leur majorité écrasante, ont choisi l'Istiqlal pour gérer la chose locale». La loi interdit effectivement la proximité entre les lieux de culte (musulman, bien évidemment) et les débits de boissons. Mais indique également qu' «il est interdit à tout exploitant d'un établissement soumis à licence de vendre ou d'offrir gratuitement des boissons alcooliques ou alcoolisées à des marocains musulmans». Une loi d'une clarté limpide dans l'arsenal juridique marocain. Celle-ci prévoit des peines d'emprisonnement d'un à six mois et d'une amende de 300 à 1500 DH, avec doublement de peine en cas de récidive. Dans la réalité, cette loi n'est appliquée qu'en cas d'ivresse sur la voie publique. Les autorités essayent de gérer avec beaucoup de doigté les contradictions de la société marocaine à travers le système des licences, des heures d'ouverture et de fermeture des bars, restaurants et autres night-clubs. Le mérite de l'Istiqlal aura été finalement de mettre à nouveau cette hypocrisie sur les devants de la scène. A ses risques et périls… Omar Radi 1919 Aux origines… Première entreprise en son genre au Maroc. Brasseries du Maroc produit la première boisson gazeuse marocaine, La Cigogne. La bière également est commercialisée, mais n'est destinée qu'aux colons français. 1974 La SNI dans le capital Marocanisation oblige, Brasseries du Maroc change d'actionnaire principal. La SNI, alors holding publique, entre dans le tour de table. 1983 Les années Coca Brasseries du Maroc et Coca Cola s'allient. La société marocaine rachète deux embouteilleurs et commercialise les produits de la compagnie d'Atlanta. C'est le début de la fin, pour les marques marocaines Judor, la Cigogne, Youki… 2003 Et Castel arriva ! Changement de l'actionnariat. La SNI se défait de l'activité production de boissons gazeuses et alcoolisées, mais garde la main sur les minérales et les sociétés de transformation plastique. Et c'est le groupe Castel qui reprend le flambeau. Parcours. Ingénieur civil des Ponts & Chaussées, Adil Douiri a été fait l'essentiel de son parcours dans le monde de l'investissement. Il est aussi le promoteur et le co-fondateur avec Amyn Alami du projet de création de la première banque d'affaires au Maroc, Casablanca Finance Group, devenue aujourd'hui CFG Group, une institution financière dont la majorité du capital est entre les mains de ses salariés. Il est ,depuis 2000, le président du conseil de surveillance de CFG Groupe. Entre 2002 et 2007, il était ministre istiqlalien du Tourisme sous le gouvernement de Driss Jettou. Depuis le 15 juillet 2008, il est le président de l'Alliance des économistes istiqlaliens et intervient à ce titre assez régulièrement dans le débat public sur la Loi de finances.