Elu dans des circonstances rocambolesques, le patron des patrons n'arrive toujours pas à imprimer son style à la CGEM. Jeudi 21 mai 2009, à l'hôtel Sheraton. Ambiance petits fours et patrons «à volonté». C'est que le palace casablancais accueille ce jour-là les «présidentielles» de la Confédération générale des entreprises marocaines (CGEM). Après l'hyper-président Moulay Hafid Elalamy, le syndicat patronal choisit un nouveau commandant de bord, un quasi-inconnu : Mohamed Horani. La surprise n'en est pas vraiment une, puisque le nouveau patron des patrons a été élu au terme d'une assemblée élective sans suspense. Candidat unique, après le retrait inexpliqué de Mohamed Chaïbi, Horani est élu avec 1.830 voix contre 735 votes blancs et 35 abstentions. L'effectif des 2.611 votants est à rapporter aux… 8.634 voix que compte la CGEM. De là à contester la légitimité du nouveau président… En tout cas, le fondateur de Hightech Payment Systèmes (HPS) en 1995 et président depuis 2008 de l'Association des Professionnels de Technologies de l'Information (Apebi) démarre son mandat avec un sérieux handicap : celui de la représentativité. Six mois plus tard, l'homme semble toujours traîner comme un boulet les circonstances de son élection, et n'arrive toujours pas à imposer son style et son rythme à la communauté des affaires. Et sa discrétion, confinant à l'effacement, donne l'impression «qu'il ne se passe plus rien à la CGEM», pour paraphraser un adhérent de l'organisation patronale. Préjugé favorable Il faut dire que le nouveau président de la CGEM n'a pas non plus été aidé par un calendrier favorable. Entre vacances estivales, fêtes nationales, ponts, ramadan et… un pèlerinage à la Mecque, l'homme n'a pas vraiment eu le temps d'imprimer sa marque. Mais pour l'heure, il continue à bénéficier de la confiance des patrons, auréolé de son succès en tant qu'entrepreneur. Il est pour autant attendu au tournant, surtout que le mandat flamboyant de son prédécesseur est encore dans les mémoires. En fait, la communauté des affaires s'habitue doucement au style Horani. Si les péripéties de son élection (un prétendu soutien de l'ONA et le curieux retrait du candidat Chaïbi) ont défrayé la chronique, Horani fait aujourd'hui l'unanimité par sa probité et son professionnalisme et bénéficie d'un préjugé plutôt favorable auprès de ses pairs. «Horani est un enfant de la maison. Son efficacité et son honnêteté sont reconnus par ses pairs, et son passage à la tête de l'Apebi était pratiquement un sans faute», reconnaît Hammad Kassal, ancien vice-président de la confédération patronale sous Moulay Hafid El Alamy. Avis partagé par Lucien Leuwenkroon, patron de Top Class Espresso et membre de la Commission commerce et services au sein de la CGEM : «Horani est un homme d'affaires aguerri. S'il arrive à gérer la CGEM comme son entreprise, son mandat sera certainement excellent». Ce son de cloche résonne dans toutes les instances du syndicat patronal. Youssef Ibn Mansour, président de la puissante Fédération des promoteurs immobiliers défend même son nouveau président : «Il n'est là que depuis six mois. Il est encore tôt pour juger son action sur le terrain», dit-il. Le délai de grâce L'argument se tient. Les six premiers mois de Horani ont été juste suffisants pour installer la nouvelle organisation de la CGEM : la nomination des vice-présidents et leur affectation aux différents pôles, la constitution de Commissions centrales et régionales, la mise en place du plan triennal, l'instauration d'un nouveau mode d'emploi… Toutes des tâches laborieuses et chronophages. «Instaurer sa propre organisation en six mois sans la moindre anicroche, en faisant le consensus, c'est un véritable exploit», reconnaît ce proche collaborateur du président. Surtout que l'homme n'a pas eu assez de temps pour se préparer à ce poste, sa candidature ayant été décidé à la dernière minute. Tout le contraire de son prédécesseur, Moulay Hafid Elalamy, plus connu dans le milieu des affaires et dans les sphères du pouvoir, et qui avait enfilé le costume de patron des patrons bien avant son élection officielle. Mais s'il y a une critique que ses pairs adressent à Horani, c'est précisément sa gestion du dossier de la Loi des Finances 2010. C'est simple : parmi toutes les propositions faites par le patronat lors de la préparation du projet de Loi des finances, aucune n'a été retenue par le ministre des Finances, Salaheddine Mezouar. Un fait que ses collaborateurs tentent d'expliquer par «la volonté de Horani de ne pas trop faire pression sur le gouvernement en ces temps difficiles de crise économique». Un peu court comme justification, comme l'estime un membre de la Fédération du textile, déçu que la CGEM n'ait pu arracher la moindre concession à l'argentier du royaume : «Horani n'a pas su s'imposer pour faire passer les revendications du patronat. Sa capacité de lobbying est encore trop tendre». Avis que partage Lucien Leuwenkroon, qui estime que «c'est plutôt en ces temps durs que l'Etat doit consentir des efforts supplémentaires pour soutenir les entreprises». Autre reproche : l'amendement relatif au crédit d'impôt sur la recherche et développement, également rejeté par le gouvernement. Ce point précis était pourtant le cheval de bataille du président et figurait même dans son programme visant à «intégrer l'entreprise marocaine dans l'économie du savoir». «C'est à croire que l'éxecutif ne prend au sérieux le nouveau patron de la CGEM», souffle perfidement le textilien. Les plus indulgents metteraient plutôt cet «échec» sur le compte de l'inexpérience de l'homme plus habitué à la gestion d'une entreprise qu'aux négociations politiques. Mais jusqu'à quand durera le délai de grâce accordé à Horani ? «C'est généralement au bout d'une année de mandat que l'on peut juger du travail d'un président, estime un président de Fédération. Il a encore six mois pour faire ses preuves». Monsieur le président est prévenu : le compte à rebours a commencé… Mehdi Michbal Profil L'enfant de Derb Fokara Porté à la tête de la CGEM au terme d'une élection mouvementée, Mohamed Horani s'est retrouvé sous les feux de la rampe. Des soirées cigares aux fauteuils des bars branchés, en passant par les rédactions des journaux, son intronisation était sur toutes les langues. Soutenu dans son projet électoral par l'ONA, l'homme est présenté aujourd'hui comme le nouveau poulain du Palais, lui qui a depuis toujours fait dans l'anonymat. Ingénieur Informaticien, lauréat de l'INSEA de Rabat, ce natif de Derb Fokara, quartier populaire de Casablanca, est un pur produit de l'école publique. Sa carrière débute en 1974, lorsqu'il intègre le défunt ministère du Plan en tant que statisticien. Un «confort» qu'il abandone deux ans plus tard pour rejoindre Sacotec, société de service et d'ingénierie, filiale de… l'ONA. Il y occupe le poste de directeur technique jusqu'en 1982, avant de rejoindre les équipes de Bull Maroc, puis celles de S2M, où il occupe le poste de directeur général de 1984 à 1994. Mais Horani a d'autres ambitions. En 1995, il s'établit à son compte et fonde HPS, une strat-up spécialisée dans le paiement électronique, qui devient rapidement leader mondial dans son secteur et s'introduit quelques années plus tard en Bourse. Son produit-phare «Power Card» est utilisé dans plus de 52 pays et n'a, à la date d'aujourd'hui, aucun concurrent. Une prouesse qui lui a valu bien des prix, dont celui du meilleur investisseur arabe dans la région Mena pour l'année 2006.