Les plasturgistes dénoncent la clause de sauvegarde demandée par la Snep. Et ils ne manquent pas d'arguments… Mercredi 11 novembre, journalistes et hommes des médias sont conviés à une conférence de presse assez spéciale. Objet de la rencontre : le conflit opposant l'Association marocaine de la plasturgie (AMP) à la Snep, filiale pétrochimique du groupe Chaabi. Un conflit qui a alimenté les discussions de salon tout au long de la semaine, attisé par une série d'articles parus dans un quotidien de la place. Mais si la polémique vient de faire surface, son origine remonte à des mois. Flashback. La crise, élement déclencheur Tout a commencé en septembre 2008, date de déclenchement de la crise financière internationale. Le prix du PVC, comme toutes les matières à base de pétrole, entame une dégringolade sans précédent sur les marchés internationaux. Les plasturgistes marocains y voient logiquement une excellente opportunité pour alléger leurs coûts de production, le PVC étant leur principale matière première. Ils se tournent alors vers les marchés internationaux, notamment celui des Etats-Unis, pour faire leurs emplettes… au détriment de l'unique producteur national de PVC, la Snep. «La Snep a refusé de s'aligner sur les conditions pratiqués à l'étranger, en maintenant un différentiel de prix supérieur à 40%. Le choix était facile à faire», explique Mamoun Marrakchi, président de l'AMP. Les importations de PVC affluent alors en masse et la Snep voit désespérement ses carnets de commande se vider : son chiffre d'affaires accuse une baisse dépassant les 25% sur les six premiers mois de l'année 2009. Idem pour ses indicateurs de rentabilité, qui piquent sérieusement du nez. Allo Maâzouz bobo ! La crise s'installe et la filiale du groupe Chaâbi a du mal à résister à la concurrence des produits d'outre-atlantique. Elle décide alors d'alerter les pouvoirs publics en demandant (auprès du ministère du Commerce extérieur) la mise en place d'une «clause de sauvegarde». Aussitôt déposée, début août 2009, la requête est jugée recevable par le ministre istiqlalien Abdellatif Maâzouz. Un avis qui irrite les transformateurs de PVC, déclenchant ainsi la bataille rangée entre les deux parties. «Si la requête de la Snep est acceptée, les droits de douane sur le PVC vont monter à 50% au lieu des 10% actuels. Ce qui risque de signer la mise à mort de toute l'industrie de transformation du PVC», lâche Mamoun Marrakchi, qui remet en cause jusqu'à l'avis préliminaire du département du commerce extérieur. Son argument est simplissime : «Pour élaborer son avis, le ministère s'est basé sur les chiffres du premier trimestre 2009. Une période qui a connu une envolée exceptionnelle des importations. Mais depuis juillet 2009, les prix à l'international sont revenus à leurs niveaux habituels et la Snep a retrouvé ses parts de marché». L'autre argument avancé par les plasturgistes est totalement déconnecté de la conjoncture : les capacités de production de la Snep sont insuffisantes pour satisfaire toute la demande du marché en PVC. La Snep ne produit en effet que 60.000 tonnes par an, pour une demande intérieure dépassant les 100.000 tonnes. Pis encore, fustigent les membres de l'AMP, plus de la moitié de la production de la Snep sert d'abord à alimenter ses cousines du groupe Chaabi (Dimatit à leur tête), les autres clients étant relégués au second plan. «Nous sommes frocés, de fait, à recourir à l'importation. Relever les droits de douane serait donc synonyme de disparition de l'industrie de transformation du plastique», tonne Yassine Benmlih, membre de l'association et directeur général de Plastima. Voilà qui nourrit la tension dans un secteur déjà mis à mal par les conditions actuelles du secteur. Car même avec des droits de douane de 10%, les plasturgistes disent souffrir. «Ce taux est déjà une aberration, puisque les produits finis sont censés être totalement exonérés. Comment peut-on exonérer les produits finis et imposer la matière première ?», s'interroge Mamoum Marrakchi, qui ose sa propre réponse : «L'Etat encourage l'importation du produit fini au détriment de l' industrie locale de transformation du plastique», explique-t-il. Le rapport qui fâche Les griefs de l'AMP à l'égard de la Snep ne se limitent pas à ses vélléités monopolistiques. Les plasturgistes pointent également du doigt des «pratiques anti-concurrentielles» pratiquées par la filiale de Ynna Holding. À ce propos, Yassine Benmlih évoque l'exemple de l'entreprise qu'il dirige. Plastima, producteur de tubes et de profilés en PVC s'était vu refuser en 2006 l'accès au PVC produit par la Snep. «Nous nous sommes retrouvés subitement en rupture de stock et pratiquement au chômage technique. Le fait que Plastima soit un concurrent direct de Dimatit n'y est certainement pas étranger». L'affaire, loin d'être anecdotique, avait alors fait l'objet d'une enquête du Conseil de la concurrence, dont un rapport aurait, selon les déclarations du DG de Plastima, épinglé la Snep. «Abus de position dominante et pratiques anti-concurrentielles ont été les principales conclusions du rapport d'enquête», précise ce dernier. Le réquisitoire s'enrichit aussi des conditions jugées contraignantes imposées par la Snep à ses clients. «Alors que nous pouvons obtenir des délais de paiement allant jusqu'à 120 jours auprès des fournisseurs étrangers, la Snep nous impose un délai limité à 45 jours, déplore cet autre membre de l'AMP. Vous imaginez les effets qu'un tel délai a sur notre trésorerie…». Ce tir groupé sur la Snep apparaît comme un signal clair envoyé au département d'Abdellatif Maâzouz, à la veille de l'adoption de la Loi de Finances 2010. En attendant l'avis final du ministre du Commerce extérieur, l'AMP compte poursuivre son action de lobbying pour obtenir gain de cause. «Dans le cas contraire, nous allons crier encore plus fort. C'est le seul moyen que nous avons», conclut le plasturgiste en chef, Mamoun Marrakchi. Mehdi Michbal Le vice-président exécutif de Ynna Holding, Omar Chaabi, répond aux accusations des plasturgistes. «Le dumping a déstabilisé la Snep» Pourquoi la Snep cherche-t-elle à instaurer une clause de sauvegarde. Et quel a été au juste le contenu de la requête déposée début août auprès du ministre du Commerce extérieur ? La requête est venue en réponse à une conjoncture de crise internationale qui a entraîné des comportements de dumping extrêmement dommageables pour des industries locales comme la nôtre. Le premier et second trimestre 2009 ont vu un déversement de produits PVC étrangers, notamment américains, sur le territoire marocain, déstabilisant la croissance et l'équilibre de la SNEP. Comme toute entreprise industrielle qui se sent menacée par des comportements de dumping abusif, la SNEP a usé légitimement de son droit de demander une «clause de sauvegarde». Le ministère du Commerce extérieur a pris en considération cette demande et nous attendons, sans polémique, sa réponse. Nous demandons simplement le maintien des 10% de droits de douane dans un esprit équitable de compétitivité et dans un sens favorable au développement d'une industrie nationale produisant des produits complexes. Mais les transformateurs mettent le doigt sur une aberration du système : le produit fini est totalement exonéré de droits de douanes, alors que la matière première est taxée à 10% ! Cette question révèle une confusion qui a toute son importance : le PVC n'est pas une matière première, mais une matière intermédiaire, et plus précisément un produit de synthèse. On ne peut pas du coup l'assujettir aux règles douanières appliquées aux matières premières importées au Maroc. Le PVC est un produit élaboré, avec une valeur ajoutée, qui nécessite d'autres éléments pour sa fabrication. Cela suggère des coûts assez élevés par rapport à ceux pratiqués à l'étranger (électricité, polyéthylène, etc). Autre problème : la Snep n'arrive pas à répondre à la demande du marché. Les transformateurs sont donc obligés d'importer le différentiel. Où en êtes vous dans le projet de doublement de vos capacités de production ? Ce plan est en cours d'application. Mais j'insiste que cette décision n'est pertinente qu'à la lumière du contexte économique actuel, lié entre autres au boom de l'immobilier de ces cinq dernières années. Il y a quelques années, nous étions même exportateurs de PVC vers des marchés en Europe, en Asie et au Moyen-Orient, vu que la demande intérieure n'était pas suffisante. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation différente. La SNEP compte déployer un nouveau plan d'investissement, qui assurera une plus grande capacité de production, associée à l'utilisation de technologies de pointe en matière de procédés de production. Concernant les liens entre Dimatit et la SNEP, l'association vous accuse de pratiques anti-concurrentielles, prenant pour preuve un rapport du Conseil de la concurrence… Nous n'avons jusqu'à aujourd'hui reçu aucun rapport faisant état de ces observations. Et nous n'avons reçu aucun reproche des autorités concernant le respect des règles concurrentielles. Concernant Dimatit, puisqu'il en est question, pourquoi reproche-t-on à une entreprise marocaine de faire ce qui se pratique partout ailleurs dans le monde ? La plupart des producteurs de PVC au monde suivent le même modèle d'un parc industriel intégré avec des filiales elles-mêmes clientes. L'exemple du groupe français Arkema illustre bien mes propos et je n'ai jamais entendu des acteurs du secteur en France lui porter ce reproche. Propos recueillis par M.M.