Son président affirme n'avoir aucune visibilité pour 2010. Faut-il s'inquiéter pour l'ONA ? Donné partant, avant d'être reconfirmé par ses actionnaires, Moâtassim Belghazi, président directeur général de l'ONA, avait, en cet après-midi du 1er octobre, rendez-vous avec la communauté financière du pays. Objet de la rencontre : la présentation des résultats du premier semestre de l'exercice 2009. Des chiffres forcément très attendus, puisque censés indiquer la santé du plus grand groupe privé du royaume. L'événement intervient au cours d'une semaine pour le moins chargée au niveau de l'actualité économique et financière. Bank Al-Maghrib venait d'annoncer la baisse de 2 points du taux de la réserve obligatoire, assurant ainsi un nouveau matelas de liquidités pour les banques. Le signal est incontestabelement politique : il faut aller de l'avant et (ré)ouvrir les robinets du crédit, histoire de doper une activité encore hésitante. Le 30 septembre, la Bourse de Casablanca organisait à son tour un grand événement, sorte de grand-messe de la finance marocaine. Là encore, le message est similaire : il faut y croire et ne pas céder aux funestes sirènes de la crise. Le même jour à Agadir, le roi en personne inaugurait un méga-projet industriel, baptisé Haliapolis. La symbolique est forte : l'initiative économique doit continuer, car il y va de l'intérêt du pays, des emplois et de la croissance. C'est dire à quel point la prestation du PDG du méga-holding allait être scrutée, disséquée par le microcosme financier et économique. Les analystes, traders et autres journalistes financiers qui ont fait le déplacement pour la conférence n'ont pas eu à le regretter. Et pour cause. Une phrase lancée par le PDG de l'ONA a suffi pour leur donner du grain à moudre et, pour certains, des sueurs froides. Répondant à une question a priori anodine, Moâtassim Belghazi a déclaré, le plus officiellement du monde, qu'il ne disposait d'aucune visibilité pour 2010 ! Stupeur dans l'assistance. Si l'ONA, le premier groupe du royaume, est en train de douter, que devrait alors faire le tissu des PME, que peuvent répliquer les entrepreneurs de tout bord ? Stupeur et tremblements Dans un contexte économique difficile, le président de l'ONA a donné la nette impression de battre en retraite, d'adopter une attitude défensive, plutôt que de mener une posture offensive. Curieux ? Plutôt inquiétant. Le paradoxe est que les déclarations du patron du holding cadrent assez mal avec celles des directeurs généraux des filiales. Ainsi, le patron d'Attijariwafa bank, Mohamed Kettani, bizarrement absent de l'estrade durant la présentation, a confirmé sa stratégie de conquête en Afrique. Celui de Cosumar a confirmé la poursuite du rythme d'investissement, notamment dans une nouvelle unité de raffinage. Quant au président de la filiale de grande distribution, Marjane/Acima, il a annoncé l'ouverture de quatre magasins par an… Résultat, le discours à double fréquence qui a marqué la présentation de l'ONA a inévitablement créé un malaise. Le patron d'un groupe de la taille (et de l'importance politique) de l'ONA est censé incarner une vision positive, tournée vers l'avenir, sans pour autant vendre au marché un optimisme naïf. Au lieu de cela, et abstraction faite de cette déclaration malheureuse sur le manque de visibilité, le président de l'ONA s'est contenté de jouer aux modérateurs durant la rencontre, distribuant tour à tour la parole aux différents dirigeants de filiales. Même le passage en revue des réalisations du groupe a incombé au directeur général adjoint, Hassan Ouriaghli. Celui-là même que la rumeur qualifiait de successeur idéal de Belghazi à la tête du holding royal. Des locomotives et des boulets Grosso modo, le bilan de l'ONA au terme des six premiers mois de l'année fait ressortir des réalisations en demi-teinte. Le chiffre d'affaires consolidé du groupe a réalisé une petite évolution de 2,6%, à 18,2 milliards de dirhams. Une progression modeste, surtout comparée aux taux de croissance à deux chiffres qu'enchaînait le groupe sous la présidence de Bendidi. Hassan Ouriaghli ne dira pas le contraire. «Le volume d'affaires ressort en net ralentissement par rapport aux réalisations que connaît habituellement le groupe», commente-t-il entre deux projections Powerpoint. La situation aurait pu être pire, n'eût été l'amélioration (enfin) des revenus de Wana, et la bonne tenue de ceux de Centrale Laitière, de Bimo, sans oublier la forte progression du produit net bancaire d'Attijariwafa bank, plus que jamais locomotive de l'ONA. Car tous les autres pans d'activité du groupe battent sérieusement de l'aile. À commencer par la grande distribution (Marjane/Acima), les mines (Managem), l'immobilier (Onapar) et l'automobile (Sopriam et Optorg). Tour de passe-passe comptable Les difficultés que connaissent ces activités sont d'ailleurs parfaitement retranscrites dans les indicateurs opérationnels du holding. En témoigne la dégradation du résultat d'exploitation consolidé, qui fléchit de 8,8% à 1,1 milliard de dirhams, ramenant de facto la marge opérationnelle à 6,3%, contre 7,1% à fin juin 2008. Une contre-performance que le management de la holding justifie par le poids des amortissements occasionnés par la modernisation des installations industrielles de Cosumar, ainsi que par la montée en force des provisions sur créances douteuses, devant couvrir la défaillance de la clientèle africaine d'Optorg (distributeur de véhicules et d'engins BTP opérant dans 23 pays du Continent noir). Au final, le résultat net part du groupe affiche une progression de 97,1%, à plus de 1,7 milliard de dirhams. Une prouesse miraculeuse ? Plutôt un tour de passe-passe comptable, rendu possible par l'entrée de l'opérateur koweïtien Zain et le fonds Al Ajial dans le capital de Wana. Une opération qui a permis au groupe ONA de constater dans ses comptes une plus-value (artificielle) de 976,5 MDH, du fait de la dilution de ses parts dans l'opérateur télécom. Et Ouriaghli, transparent, de préciser : «Si l'on excluait cet élément exceptionnel, le résultat net du groupe aurait enregistré une baisse de 10,4% par rapport à la même période de l'année dernière». Cette plus-value (non cash) améliore aussi le levier financier de l'ONA, qui passe à 69,4% à fin juin 2009, contre 81,9% une année plus tôt, matérialisant l'allègement de l'endettement de la holding à quelque 4,5 milliards de dirhams (contre près de 7 milliards il y un an). Un niveau que le DGA du groupe qualifie de «raisonnable pour un holding qui détient de jolis actifs». Des actifs qui valaient, au 30 juin 2009 (selon la méthode de l'actif net réévalué), quelque 34 milliards de dirhams, soit 1.967 DH par action. Mais il s'agit d'une valorisation purement comptable qui, non seulement n'a pas évolué depuis fin juin 2008, mais demeure en outre bien éloignée de la réalité du marché boursier, qui évaluait le titre ONA (toujours à fin juin) à 1.489 DH. Un niveau de cours qui, d'ailleurs, ne cesse de dégringoler, s'établissant au moment de l'écriture de ces lignes (jeudi 1er octobtre), à 1.302 DH. Si certains analystes peuvent y déceler une belle opportunité de placement, du fait de l'importante décote que présente le titre par rapport à sa valeur comptable, d'autres y voient surtout une cinglante sanction anticipée infligée par les investisseurs. Bientôt la sanction boursière ? Comment réagira donc le marché aux inquiétantes déclarations de Belghazi ? «Ce sera tout simplement le coup de blues pour le titre. Affimer n'avoir aucune visibilité, c'est condamner le titre à une descente aux enfers. Une descente qui pourrait contaminer toute la cote», analyse ce professionnel du marché. D'autant que le groupe ne semble disposer d'aucune parade pour contrecarrer les effets de la crise (sinon, pourquoi le PDG l'aurait-il tue ?). C'est à croire que l'ONA continue à rouler comme Bendidi l'a laissée, donnant l'impression d'une immense paquebot sans capitaine. Où est donc la nouvelle stratégie promise par Belghazi le jour de sa nomination ? Où est donc ce toilettage du portefeuille des participations qu'il avait promis à l'occasion de sa première sortie médiatique, en septembre 2008 ? Sur ce point, l'homme est encore une fois tout sauf rassurant. «Le moment n'est pas opportun pour envisager des opérations stratégiques en vue de rectifier le portefeuille actuel», répondait-il en substance. Mais si au niveau du holding royal, rien ne semble évoluer, les filiales, elles, essayent tant bien que mal de s'adapter à la conjoncture économique. C'est ainsi qu'Onapar, filiale immobilière du groupe, a décidé de diversifier ses activités, en s'orientant davantage vers le segment résidentiel, après plusieurs années de spécialisation dans l'immobilier touristique (aujourd'hui fortement exposé aux effets de la crise internationale). Idem pour Managem qui, après avoir souffert de la chute des cours internationaux des matières premières, s'est enfin décidé à abandonné certaines activités pour recentrer son activité sur trois principales filières : l'or, l'argent et le cobalt, rares matériaux à conserver une bonne tenue. Mais l'exemple le plus édifiant reste celui d'Attijariwafa bank. Assumant son statut de champion national des métiers de la banque et de la finance, le groupe a maintenu, sinon accéléré, son cap stratégique malgré les effets de la crise. Acquisitions de nouvelles banques en Afrique, lancement de la «banque économique», participation au financement de grands projets, etc. Rien ne semble arrêter la machine Attijari, menée par un Mohammed Kettani… paradoxalement boudé par son président ! Mehdi Michbal