Studio 2M, Lalla Laâroussa, Al Kadam Addahabi... Les émissions de télé-réalité reviennent en force cet été sur nos petits écrans, avec un succès populaire garanti. Comment expliquer l'engouement des Marocains pour ces émissions ? Que se passe-t-il dans la tête des candidats et des spectateurs ? Enquête. Nizar se prépare aux présélections de l'émission Studio 2M. Il est fébrile à l'idée de participer pour la seconde fois consécutive à ces éliminatoires. Sur son trente et un, une bonne dose de gel sur les cheveux et un beau sourire sur les lèvres, il affronte le jury de l'émission phare de téléréalité de 2M. Quelques minutes après, le verdict tombe : pour la seconde fois consécutive, il ne fait pas partie des candidats sélectionnés. “Je savais d'avance que je ne serai jamais une star, sourit-il, mais je l'ai fait pour le fun. Je trouvais l'aventure plutôt originale”. Chaque année, ils sont, comme Nizar, des milliers de Marocains et de Marocaines à tenter leur chance dans ce type de castings. Et les émissions ne manquent pas : Studio 2M, Comédia, Lalla Laâroussa, Challengers, Mawahib fi Tajwid Al-Qor'an ou Al Qaddam Addahabi. Sans compter les émissions sociétales empruntant les techniques scénaristiques de la télé-réalité, comme Al Khayt Labied ou Moukhtafoune. Et cet été, saison de la «Reality TV» par excellence, ils seront sûrement encore nombreux à faire le déplacement. “1700 candidats se sont présentés au casting de Comédia en 2009. Autant dire que l'intérêt est certain», détaille Yassine Zizi, coproducteur de Comédia et de Lalla Laâroussa, deux émissions de télé-réalité diffusées sur Al Aoula. Côté audience, le succès est également au rendez-vous. “Toutes chaînes nationales confondues, cela fait près de 60% d'audience”, ajoute Zizi. À la télé, c'est plus vrai Question : quelle est la raison d'un tel engouement ? “Studio 2M vend du rêve aux candidats, le divertissement au grand public, et mobilise une nouvelle technique d'événementiel. C'est même une fierté nationale quand certains la comparent aux autres émissions similaires, la Star Academy par exemple”, estime le musicologue Ahmed Aydoun, ancien membre du jury de Studio 2M. Surtout, la réalité parle davantage au téléspectateur que la fiction pure. “Il y a une immédiateté et de proximité qui fait que les gens s'identifient à ce type d'émissions”, analyse ce psychologue, résumant la démarche en un principe : “Parle-moi de moi-même, c'est tout ce qui m'intéresse”. Mais la télé-réalité séduit aussi parce qu'elle romance la “réalité tout court”. “La télévision finit par nous dire que la réalité, c'est ce qu'elle nous présente, pas ce que nous vivons au quotidien”, explique le sociologue Abdelbaki Belafkih. Vous voulez chanter, vous marier, décorer votre logement ? Et bien, la télé vous montrera comment le faire ! De plus, les protagonistes de ces émissions ressemblent à Monsieur (ou Madame) tout le monde, qui se retrouvent du jour au lendemain propulsés dans la célébrité par tube cathodique interposé. L'intimité est exhibée, la réalité enjolivée par la grâce des montages : on coupe, on recolle les images, on retravaille les tranches de vie. Résultat : le spectateur se prend à suivre en continu les péripéties de ces “héros comme les autres”. “Tout ce qui importe dans ces programmes, c'est le spectacle bien sûr. Mais dans ce genre d'émissions, le téléspectateur a l'impression de participer. Surtout qu'à l'écran, tout est fait pour que les gens craquent en direct, fassent étalage de leurs sentiments”, argumente Abdelouahab Errami, professeur et expert en communication audiovisuelle. Et pour boucler la boucle, les pleins pouvoirs sont accordés au téléspectateur, intronisé juge, la durée d'une émission. “On élimine, on tue. Il y a là une violence symbolique, mais jouissive, qui pousse les gens à continuer de suivre l'émission, explique Belafkih. Et pour les participants, l'objectif est d'abord de plaire”. Plaire à tout prix Et pour passer (et durer) à l'écran, certains sont prêts à tous les sacrifices. C'est notamment le cas de ce jeune habitant d'Errachidia… qui a dû vendre sa veste pour payer le déplacement à Casablanca. Ou encore de ce sexagénaire meknassi, qui a passé la nuit sur un bout de carton en attendant le casting de Comédia. “L'histoire la plus cocasse reste celle d'un jeune paysan à qui sa mère a donné 200 DH pour participer à l'émission. Malheur ! Son bouc avale le billet, obligeant l'homme à vendre la bête pour payer son ticket de car !”, se souvient Yassine Zizi. Du côté de Studio 2M, les candidats montrent également une ferme volonté de pousser la chansonnette… même quand le talent n'y est pas. “Certains refusent la décision du jury par orgueil, d'autres pensent que c'est juste un jeu et ont une attitude désinvolte. Au final, la personnalité du candidat est déterminante pour la suite de son parcours dans l'émission, explique Christine Caro, membre du jury depuis le début de l'aventure. Sont éliminés d'office les candidats trop timides, ayant des difficultés d'élocution… en un mot, ceux qui “passent” mal à la télé. Eh oui, à l'image du showbiz, l'univers de la télé-réalité est impitoyable. Et souvent, la célébrité éphémère tant désirée s'avère difficile à gérer. Du jour au lendemain, un illustre inconnu peut se retrouver sous les feux de la rampe, mener un train de vie princier, être l'objet de toutes les attentions… avant de retomber dans l'anonymat. “Certains arrivent à redescendre sur terre, d'autres ont plus de mal”, explique un producteur d'émissions de télé-réalité, qui assure émettre des mises en garde quotidiennes pour éviter, ou au moins amortir, les désillusions. “C'est le blues post-télé-réalité. Mais cela fait partie du jeu. Au final, c'est comme dans la vraie vie : ces expériences nous renforcent ou nous dissuadent d'emprunter cette voie”, conclut Christine Caro. Zakaria Choukrallah