Le démenti du ministère de l'intérieur n'aura en rien apaisé la polémique. L'article 5 de la loi sur les partis continue de partager la scène politique, tandis que certaines villes commencent à l'appliquer. L'initiative eu l'effet d'une bombe dans les quartiers généraux de bien de partis politiques. D'autres ont poussé un ouf de soulagement. Les faits : mercredi 13 mai, en marge du Conseil de gouvernement, le ministre de l'Intérieur propose un projet de circulaire pour donner corps à l'article 5 de la Loi sur les partis politiques. En gros, Chakib Benmoussa propose d'interdire aux députés et conseillers de se présenter aux élections du 12 juin sous les couleurs d'un autre parti que celui avec lequel ils ont été élus au Parlement. Le gouvernement n'y a manifestement pas trouvé à redire. Le ministre Benmoussa a pris soin de faire transiter son projet pas le Secrétariat général du gouvernement. Conséquence immédiate : le PAM, qui s'est senti visé en premier lieu par le texte, monte au créneau. Son bureau national se fend d'un communiqué, relayé par la MAP, dans lequel il fustige l'initiative du ministère de l'Intérieur. Le texte qualifie la décision d'anticonstitutionnelle et exige des explications du Premier ministre et des ministres de l'Intérieur et de la justice. S'en est suivi un autre communiqué des députés et conseillers du parti. Les élus affiliés au PAM ont clairement menacé de quitter les deux Chambres du Parlement si ladite circulaire venait à voir le jour. La situation s'envenime et c'est la stabilité même du gouvernement qui risque d'en souffrir. Dans ce bras de fer sans précédent, c'est finalement le ministère de l'Intérieur qui finit par faire marche arrière. Un communiqué diffusé le vendredi 15 mai par le département de Benmoussa dément l'existence d'une circulaire qui limiterait la liberté des députés de se présenter sous les couleurs du parti de leur choix. Pendant tout ce temps, le chef de l'exécutif a préféré se murer dans le silence. Fin du premier round. Réactions en chaîne “Ce n'est que partie remise, soutient un membre du bureau politique du MP et l'un des initiateurs du projet de circulaire. Les commissions locales concernées ont 48 heures pour statuer sur les demandes de candidatures. Si l'article 5 de la Loi sur les partis n'a pas été appliqué, nous passerons au plan B”, ajoute notre interlocuteur. Un plan B destiné à contrer le phénomène de la transhumance des députés. Une pratique usuelle chez nos élus, quelque soient la nature de leurs mandats. Mais cette fois, l'enjeu est autre. Le PAM, qui n'a pas encore soufflé sa première bougie, a réussi à recruter à tour de bras des parlementaires qui ont gagné leurs sièges sous la bannière d'autres formations. Le premier à en avoir souffert est le MP, qui a perdu plus d'une vingtaine de députés et de conseillers. C'est donc non sans surprise que les amis de Mohamed Laenser ont décidé, les premiers, de réagir pour mettre fin à l'hémorragie. Selon une source de la Haraka, ce dernier aurait soumis une lettre au roi, le sollicitant de “mettre fin à ces pratiques qui portent gravement atteinte à la crédibilité des partis et l'action politique en général”. Le parti a saisi, dans le même sens, le département de l'Intérieur. Mais le MP n'est pas le seul à se déclarer contre la transhumance des parlementaires. Le PJD a également décidé de réagir, mais à sa manière. En pleine polémique sur la question, les islamistes ont présenté une proposition d'amendement du fameux article 5 en question. La proposition vise à sanctionner les députés et conseilleurs “coupables de ce délit”. D'autres partis ont manifesté, à des degrés divers, leur désapprobation de cette pratique. Et le front contestataire ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. Les partis sont déjà en train de mobiliser organisations de jeunes pour le second acte. Les jeunesses du MP, PJD, USFP, PPS et UC, pour ne citer qu'eux, ont planché, au début de la semaine, sur un projet de communiqué commun (une première !), dans lequel ils manifestent leur indignation. Les dirigeants des partis, eux, ne baissent pas non plus les bras. “Si l'Intérieur finit par accepter les candidatures des députés en question, nous comptons revenir à la charge après les élections. Nous allons introduire des recours pour annulation de leur mandat auprès des tribunaux compétents”, affirme ce membre du bureau politique du MP. Vide juridique Toutefois, il ne faut pas s'y méprendre. “Constitutionnellement, il n'y a rien qui interdise aux élus de passer d'une formation politique à une autre”, tranche Abderrahim Manar Sellimi, professeur de sciences politiques. La loi sur les partis a été adoptée dans l'enthousiasme, et son adoption s'est faite selon une procédure simplifiée, sans passer la Conseil constitutionnel. “Or, l'article 5, tel qu'il a été formulé, est anticonstitutionnel, soutient notre interlocuteur. Certains partis politiques considèrent qu'il limite tout simplement la liberté d'appartenance politique”. Pour confirmer cette thèse, le politologue évoque un précédent. “Le Conseil constitutionnel a déjà rejeté une décision du Parlement visant à interdire, par voie réglementaire, la transhumance des députés”. Plus récemment, le Tribunal administratif de Rabat s'est déclaré incompétent dans un cas similaire. Le FFD avait, alors introduit un recours contre deux de ses anciens députés, qui ont décidé de le quitter. Une décision motivée, vraisemblablement par des considérations politiques. “Il faut s'y résoudre : nous sommes devant un vide juridique”, s'étonne Abderrahim Manar Sellimi. La solution ? “Il faut agir en amont, au niveau des accréditations en les soumettant à une procédure stricte et rigoureuse, en imposant une sorte de contrat entre le parti et son candidat. Ce serait une première étape pour mettre fin au phénomène de la transhumance”, propose-t-il. Les partis peuvent également ester en justice les députés qui leur font faux bond. “Il suffit de changer le chef de poursuite pour que le recours soit recevable devant le tribunal. Le recours devrait être personnel et les députés pourraient être poursuivis pour dommages causés à leur parti. Il s'agit, entre autres, de dommages occasionnés par la perte d'un siège au Parlement, aussi bien sur le plan moral que matériel”. Au-delà de ces considérations, la transhumance suppose également un sérieux problème dans les relations entre l'Etat et les partis. Ces derniers ont reçu des aides en fonction du nombre de sièges remportés. Du coup, comment justifier leur comptabilité lors de l'examen de leurs finances par la Cour des comptes. Mais, cela, c'est une autre paire de manches. Tahar Abou El Farah