La crise de l'immobilier a tiré vers le bas les cimentiers. Avec trois nouveaux acteurs sur le marché et l'augmentation d'activité amorcée par les anciens, le secteur se retrouve dans une situation de surproduction. Les deux prochaines années seront décisives pour le secteur du ciment. La prophétie a été annoncée par Dominique Drouet, président du directoire marocain du cimentier suisse Holcim, lors de la présentation des résultats de son groupe le 17 avril dernier. En affirmant que “le marché sera encore plus tendu”, il annonce une période de guerre concurrentielle durant laquelle tous les acteurs laisseront leurs plumes. Celle-ci sera le fruit direct d'une récession, dont les prémisses se sont fait sentir vers la fin 2008, combinée à une course à la productivité, déclenchée il y a deux ans déjà. Le dernier semestre de l'année dernière a, en effet, connu un taux de croissance de 4% après avoir enregistré une évolution de 16% six mois auparavant. La dégringolade s'est d'ailleurs poursuivie en 2009 avec un recul net de 2,4% des ventes pour le premier trimestre en comparaison à celui de l'an passé. Inhabituel pour un secteur qui entame traditionnellement ses exercices à la hausse. Principale raison : la crise qui a touché la pierre. “Les investissements en construction, particulièrement ceux destinés au haut et moyen standing, connaîtraient un certain relâchement, pour la première fois depuis 2006”, confirme le HCP dans sa dernière note de conjoncture. Une bien mauvaise nouvelle pour les cimentiers qui avaient programmé l'augmentation de leur capacité de production dans l'objectif de suivre la croissance d'un pan de l'économie qui ne semblait pas s'essouffler. Holcim a lancé l'extension de son usine à Fès pour augmenter sa capacité de production de 870 000 à 1,2 million de tonnes. Lafarge, à travers ses derniers investissements, s'offre une nouvelle fabrique qui lui permettra de fournir 3 millions de tonnes supplémentaires. Tandis que Ciments du Maroc a décidé de se payer une unité qui produira 2,2 millions de tonnes. Au total, les usines marocaines peuvent fabriquer jusqu'à 15 millions de tonnes de ciment par an. Avec ces nouvelles unités, les majors vont accroitre leur potentiel de 30%. Une capacité qui est appelée à s'enrichir d'avantage avec l'arrivée de trois nouveaux acteurs sur le marché. Et pas des moindres. Le cimentier espagnol Lubasa s'est associé avec l'ex-PDG de Wafanbank, Saâd Kettani, pour créer une nouvelle société et la doter d'une usine dans la région de Sidi Kacem. Capacité : 1,5 million de tonnes. Addoha est également de la partie. Le groupe plantera ses usines à Fqih Bensalah et Ben Ahmed dans le but de produire 4 millions de tonnes par an. Son concurrent, Ynna Holding, envisage, quant à lui, d'ériger une unité à Settat qui pourra fournir jusqu'à 3 millions de tonnes. Les deux constructeurs réaliseront ainsi une économie d'échelle en développant une partie du processus de construction au sein de leur groupe. Ce qui aura comme effet de réduire la demande puisque les Anas Sefrioui (PDG d'Addoha) et Miloud Chaâbi (PDG d'Ynna) sont parmi les meilleurs clients des cimentiers. Bruits de bottes Le potentiel du marché se réduira pour les cimentiers puisque Addoha et Ynna ne s'engagent pas dans le secteur juste pour pouvoir se ravitailler à bas prix à partir de leurs futures filiales. Ils comptent surtout s'imposer en tant que fournisseurs pour d'autres promoteurs. “Nous aspirons à être numéro un”, avait alors déclaré Omar Chaâbi, vice président d'Ynna Holding, lorsque le groupe avait annoncé ses intentions de se lancer dans le ciment. Les futures cimenteries d'Anas Sefrioui se présentent sous le même jour. “Nous avons l'intention d'absorber 45% à 50% de la production de nos usines, assure Belbachir. Le reste servira à d'autres clients”. Du coup, pour rentabiliser leurs investissements, les cimentiers historiques devront non seulement faire tourner leurs usines mais ils seront obligés de proposer les offres les plus alléchantes. Les nouveaux entrants proposeront d'emblée des tarifs réduits, alignés sur ceux des “anciens”. Une seule voie se dessine pour le secteur : la guerre des prix. Le début des hostilités est prévu pour 2010. “La force de frappe totale sera prête l'année prochaine, il y aura probablement un contexte concurrentiel très fort, avance Mohammed Chaïbi, PDG de Ciments du Maroc. L'intensité de la guerre des prix dépendra de l'agressivité que chaque opérateur aura développée”. En d'autres termes, les prix entameront une baisse qui ne pourra être limitée que par les capacités de production, à moins d'un accord improbable entre les opérateurs. “Il n'y a pas de compromis en vue, nous sommes dans un marché totalement libre, clarifie notre interlocuteur. Ce qui pourra amortir la chute des prix ce sera le bon sens de chacun des acteurs”. Plus les cimentiers pourront produire, plus les prix poursuivront leur régression. Les producteurs, qui verront leur marge fondre comme neige au soleil, n'auront d'autre choix que de se rabattre sur les volumes pour limiter les dégâts et éventuellement réaliser des bénéfices. La guerre s'annonce rude, à moins que le secteur de l'immobilier ne reprenne du poil de la bête et éponge tout le ciment qui sera déversé sur le marché. Ce qui ne se produira pas avant 2011, année annoncée par nombre d'experts comme celle de la reprise économique générale. D'ici là, tout le monde affute ses armes. Youssef Zeghari