Dans le cadre du cycle de conférences-débats qu'elle organise à l'attention de son personnel, Ram a invité Hervé Juvin, consultant, président d'un think-tank, Eurogroup, journaliste et écrivain, à la présentation du dernier ouvrage écrit avec le sociologue Gilles Lipovetsky : L'Occident mondialisé : Controverse sur la culture planétaire (Grasset, mars 2010). Hervé Juvin, familier des pays arabes et du Maroc, a rappelé les grandes lignes de sa théorie du monde qui se construit sous nos yeux, exposée dans «L'Occident mondialisé», d'où le titre de la conférence, sur le mode théâtral : L'acte II de la mondialisation. C'est à Bangalore, que la voilure des A380 a été calculée. «Trois convictions non banales» constituent le point de départ de la réflexion du président d'Eurogroup : au plan des valeurs et du mode de vie, la mondialisation pensée depuis «les années 70» comme une occidentalisation du monde a fait long feu ; au plan géostratégique, au début du XXIe siècle, la mondialisation échappe au contrôle de l'OCDE et l'ordre économique mondial construit, par les vainqueurs, à Bretton Woods, au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, est à l'agonie. Enfin, au plan scientifique, beaucoup de certitudes s'avèrent inopérantes : la loi du marché donc la loi de l'offre et de la demande, la notion de prix, la concurrence, la «soi-disant» bombe démographique, etc. Pire : on ne comprend même plus ce qu'il se passe. Jeudi 6 mai 2010, à New York, le Dow Jones a fait une chute vertigineuse en très peu de temps, si bien que la presse spécialisée a parlé d'un mini-krach boursier, or jusqu'à maintenant personne n'a pu expliquer, d'une manière convaincante ce qu'il s'est passé… Nourrissant sa démonstration par quelques chiffres, des témoignages, des choses vues, des anecdotes, l'orateur s'est efforcé de montrer que la mondialisation a produit le contraire des effets espérés par les mondialisateurs : crise, violence économique, repli identitaire et résurgence du protectionnisme étant donné que les pays qui ont réussi à éviter la crise -le Maroc- ou à s'en sortir avec succès -la Chine et l'Inde- sont des Etats protectionnistes. «Il y a, en Chine, des villes qui ont des autoroutes à 6 voies et dont personne n'a jamais entendu parler». Quant aux Etats-Unis c'est «un pays sous-développé du point de vue des infrastructures» et «l'Europe n'est plus capable de produire de croissance» et «la crise grecque est une véritable chute du Mur de Berlin monétaire». Ce sont les principaux signes de rupture avec l'ère de la mondialisation-occidentalisation et la transition à un monde nouveau dont les contours sont encore flous, l'acte II de la mondialisation. Accompagnant ses remarques par des «Je vais être violent, très violent même» ou sa variante «je vais être choquant très choquant même», l'orateur a tenté de dessiner la silhouette du monde et de la mondialisation à venir à travers ce qu'il appelle «les zones d'intérêt pertinent» : le Golfe et la côte occidentale de l'Inde ou les pays en «stan» qui vont jusqu'aux portes de Pékin en faisant symbiose avec la Turquie ou la formation «naturelle» d'une zone yuan autour de la Chine qui est présente dans tous les pays du monde qui possèdent des matières premières. Ou l'Afrique, un marché potentiel de 1 milliard de consommateurs. Et citant des signes avant-coureurs de transition mais de moindre envergure, l'orateur rappelle : «C'est à Bangalore (Inde) que la voilure des A380 a été calculée» ou encore : «Il y a, en Chine, des villes qui ont des autoroutes à 6 voies et dont personne n'a jamais entendu parler». Cependant le passage de la mondialisation-occidentalisation à l'acte II de la mondialisation se fera dans une violence d'une forme nouvelle avec la fin des guerres conventionnelles «bellum» et le début des conflits inégaux ou «guerra»… Souhaitant plus débattre qu'exposer, l'orateur n'est pas allé jusqu'au bout de ses projections par défaut de démonstration structurée. Mais son alarmisme laisse penser que la pièce dont nous sommes les spectateurs est une tragédie ou un drame. Mais drame ou tragédie pour l'Europe ou les Etats-Unis et peut-être comédie ou farce pour les pays du Tiers Monde qui réussiront à modifier en leur faveur la relation dominé-dominant, citons Hervé Juvin: «J'ai subi l'une des pires humiliations de ma vie à Dubaï, j'étais avec des Emiratis et pendant nos entretiens j'ai cru comprendre qu'ils avaient besoin de capitaux, ayant des contacts à Londres, j'ai proposé mes services… mais moins d'une minute plus tard, j'ai compris que si les Emiratis voulaient des investisseurs, il leur suffisait de claquer des doigts pour que le lendemain, vingt investisseurs fassent antichambre devant leur bureau», raconte-t-il. Bref l'acte II de la mondialisation c'est la fin de l'hégémonie, qui a commencé au XVIe siècle, de l'homme blanc, chrétien et européen.