Le livre de Jean-François Faü passionnera sûrement des historiens marocains et parmi eux, Mohammed Kenbib, l'auteur de «Juifs et Musulmans au Maroc 1859-1948. Contribution à l'histoire des relations inter-communautaires en terre d'Islam», une publication de l'Université Mohammed V en 1994 qui ne doit pas intimider les lecteurs de bonne volonté, malgré ses 700 pages car c'est une étude absolument remarquable. Le Yémen, voici que Jean-François Faü nous offre l'occasion d'en pénétrer l'histoire ancienne par une fenêtre qu'il ouvre largement avec une étude aussi érudite que passionnante. «Les Juifs de la Péninsule arabique Ve-XVIe siècles» (Geuthner, 2009) qui fait suite à ses travaux sur les Caraïtes (en 2000) et Les Samaritains (en 2002). Faü étudie passionnément l'histoire juive médiévale dans le monde arabe, de l'Hégire à la fin de la première colonisation ottomane du Yémen en 1636. Il rapporte que «les marges du judaïsme intriguaient les auteurs musulmans : qui étaient ces descendants d'Al-Samiri, cet homme qui institua le culte de Veau d'Or, ou qui furent les fidèles d'Abu Issa Al-Isfahani qui, selon Muqqadasi, aurait prétendu être monté au ciel pour y rencontrer le prophète Mohamed ?» Pour replacer la communauté juive yéménite dans son contexte religieux et culturel, cet historien et diplomate, actuellement en charge du consulat de France à Alexandrie a consulté les écrits, entreposés dans le fonds des manuscrits des Archives nationales du Yémen, d'un chroniqueur arabe de la fin du XVe siècle, Yahyah Ibn Al-Hossein. Mais ses références bibliographiques se comptent par dizaines et apparaissent à bon escient, incroyablement variées, témoignant d'un travail de bénédictin. On suit avidement sa description des vestiges archéologiques, son évocation des sources vernaculaires et des chroniques, son explication des rapports avec le pouvoir des tribus juives du Hejaz, comme aussi bien l'écho qu'il se fait des travaux d'Oleg Volkoff. D'où vint la reine de Saba ou de Charles Munier La Reine de Saba dans la littérature juive et chrétienne des premiers siècles. . Qu'il étudie la posture du «grand rival chrétien» ou «le temps de la dhimmitude», qu'il évoque la prière et le rite, le mariage, les fêtes ou les dissidences, l'art juif de la Djazirah dans les synagogues, les conversions forcées ou reniées, le profil économique des communautés yéménites et la taxe de protection fixée au même niveau que la zakat imposée aux musulmans, ou bien rappelle que la mosquée Al-Sawama'ah se trouvait située à l'ouest du quartier juif bayut ahl dhimma de Dar Al Tawasti, c'est toujours avec un souci de clarté. Le profane lit «Les Juifs de la Péninsule arabique Ve-XVIe siècles» comme il s'enfoncerait dans les plis d'un roman historique alors même que l'ouvrage se veut ce qu'il est : une étude scientifique rigoureuse, prodigieusement informée et d'une remarquable pédagogie. On dénonce à bon droit le recul des publications, des grands travaux d'histoire des faits religieux lorsqu'ils sont l'œuvre de spécialistes légitimement pointilleux, souvent menacés de ne pouvoir publier leurs travaux que… sur internet. Alors, saluons ce beau volume, enrichi de cartes, de reproductions de pages de manuscrits et d'une photographie de l'oasis de Najran, ou d'une autre du quartier juif d'al-Hajara. On terminera en citant l'auteur, à propos des conversions forcées, ou reniées : «Madmun Ben David demanda audience au sultan Sayf al-Din Sunqur, régent d'al-Malik al-Nasir Ayub, successeur d'al-Mu'izz Ismail, pour demander l'annulation du décret de conversion qui devait permettre à la communauté juive du Yémen de pouvoir retourner au judaïsme sans risquer d'être condamnée collectivement pour apostasie. Le jugement du tribunal religieux fut favorable à la requête de Ben David et autorisa officiellement l'ensemble de la communauté juive du Yémen à retourner au judaïsme». Il est toujours frappant pour un lecteur de romans de constater que l'érudition historique n'est jamais exempte de romanesque.