Pour ceux qui n'ont pas encore eu vent du film « Wadjda », voici l'occasion d'apprendre plus sur le film, et encore mieux, de savourer cette pépite toute fraîche, qui sera projetée à la Cinémathèque de Tanger ce vendredi. Le premier film de la réalisatrice saoudienne Haifaa El Mansour, qui a été projeté en avant-première à la Mostra de Venise, est la première production cinématographique saoudienne. Le pays, ouvert à la production télévisée, reste hermétiquement fermé à toute production cinématographique, excepté pour cette jeune réalisatrice qui a réussi le coup de force de convaincre les autorités et de tourner en plein cœur de la capitale saoudienne. Pari réussi : Wadjda est un film émouvant qui a généré un engouement phénoménal comme peu de films arabes ont su le faire. Projeté dans les salles européennes et arabes, il a suscité une interminable vague d'intérêt. Wadjda est un film mordant sous des dehors légers. Une histoire bien ficelée, une réalisation fluide, des personnages attachants et un flot de situations quotidiennes qui tendent un miroir absolument captivant de la société saoudienne : voici les ingrédients de cet opus qui s'impose surtout par ses messages subliminaux. Al Mansour y expose la dure réalité des femmes avec délicatesse, sans choquer ou heurter. Le pitch : Wadjda, fillette de dix ans, interprétée par l'excellente Waad Mohammed, rêve d'acquérir un vélo, objet interdit pour les filles en Arabie Saoudite vu les dangers qu'il présente pour leur virginité. Troublée par la séparation imminente de ses parents, elle fera tout pour l'avoir, quitte à braver l'ordre établi, transgresser les sacro-saintes règles du royaume et contourner habilement la suprématie de la gente masculine, du haut de ses dix ans. Elle tient absolument à avoir son vélo pour défier son voisin Abdallah, et pour en amasser le prix, elle va jusqu'à participer à un concours de récitation de Coran. Celle qui lutte pour le droit élémentaire de s'adonner à ce plaisir basique, à l'instar des garçons de son âge, se révèle d'une détermination farouche. Scène révélatrice du film, qui en dit long sur la petite rebelle: celle de Wadjda parmi un groupe d'écolières vêtues de longues robes noires, la tête découverte, toutes chaussées de souliers vernis, sauf elle en baskets. Contestation tout en délicatesse Le premier film réalisé par une femme en Arabie Saoudite dénonce le déni des droits de la femme, et se fait le porte-voix du féminisme arabe. Tous les tabous révoltants et les discriminations contre la femme défilent: l'interdiction de conduire et de se mélanger aux hommes, de rire et parler en public, la contrainte d'accepter une deuxième épouse parce qu'une femme n'a pas pu donner un garçon à son mari (le cas de la maman de Wadjda) …. Derrière chaque scène, on décèle de la colère et de l'amertume que la réalisatrice déroule subtilement sans une seule pointe de provocation. D'où la force du film. En dépeignant avec brio le quotidien des Saoudiens et les aberrations que subissent les femmes, la réalisatrice évite de tomber dans le piège de la confrontation, même en pointant du doigt la soumission de ses personnages et leur conformisme aveugle. « Il ne faut pas être dans la confrontation, sinon nous n'arriverons jamais à changer les choses. Ce sont les petites choses qu'il faut changer », a t-elle déclaré avant la projection de son film, à Dubaï. Vers plus de tolérance Signalons que la réalisatrice, qui vit à Bahreïn avec son mari et ses deux enfants, a raflé le prix du meilleur film au festival international du film de Dubaï (DIFF), lors de l'avant-première du film au Moyen-Orient, en décembre. Financé par de prestigieux fonds tels que Sundance Institute, Dubaï Film Connection pour la production, le fonds Injaz pour la post-production, et le géant Rotana en collaboration avec la boîte de production allemande Razor, le film a connu un succès immédiat et a participé à de nombreux festivals dans le monde. Dans un pays où la production cinématographique est inexistante, et où les salles de cinéma manquent cruellement, voir une femme diriger une équipe de cinéma dans les rues de la capitale, Ryad, relève du miracle. « L'expérience a été gratifiante mais difficile vu que les Saoudiens ne produisent pas de films. Nous avons été virés de certains quartiers conservateurs, mais il n'en reste pas moins que le pays progresse, sur beaucoup de niveaux». Selon la réalisatrice, les choses semblent évoluer et le simple fait de tourner un film dans la capitale est de bonne augure. N'oublions pas l'avancée historique annoncée il y a quelques mois par le roi saoudien Abdallah lui-même: Les femmes ont désormais le droit de vote, à partir de 2015, lors des élections municipales, seule élection qui a lieu dans le pays. Oui, mais à quand le droit de conduire ? Et d'acheter des vélos ?