Aicha Belarbi est la fille d'un des plus grands savants et juristes que l'Histoire du Maroc contemporain ait connu. « Cheikh el Islam » a en effet occupé de nombreuses hautes fonctions sous le Maroc de Sidi Mohammed Ben Youssef, notamment celle de ministre de la Justice ou de Conseiller Royal. Mais il était avant tout un « aalem » de premier plan. « Le monde arabe connaissait à cette période l'obscurantisme le plus total. Un mouvement religieux est alors né en Egypte, inspiré des écrits de Rachid Rida ou Mohammed Abdou : le salafisme. Il ne faut pas comprendre ce terme au sens d'aujourd'hui, le salafisme de l'époque était tout sauf violent, celui d'aujourd'hui est déformé. Les savants qui prônaient le salafisme souhaitaient retourner aux sources de l'Islam pour débarrasser la religion de l'obscurantisme. L'Islam est, selon eux, la religion de l'émancipation, et porte en lui le sens de la réforme. Aussi, l'égalité des sexes est au cœur de notre religion. La naissance de l'émancipation de la femme marocaine émane du Palais. Le Palais avait compris que pour émanciper le pays, il fallait libérer les esprits. Il faut rendre à César ce qui appartient à César : tout mouvement d'émancipation connaît son apogée dans la lutte, et le Palais initia le mouvement féminin. L'émancipation de la femme était également au cœur des pensées et de l'œuvre du Fqih Belarbi. », nous dit-elle avec conviction. Les yeux pleins de souvenirs, elle se remémore la période du protectorat et la condition féminine de ce Maroc là : « la grande majorité des femmes était analphabète, les seules écoles existantes étaient celles des filles de notables, les filles du peuple n'avaient pas le droit à l'instruction. Le protectorat, pour rester et durer, voulait faire face à des femmes non instruites et non éduquées. Il encourageait les mouvements rétrogrades et les sectes afin de lutter contre l'émancipation des esprits. En effet, un esprit non éclairé ne peut se retourner contre le protectorat. Le sultan Sidi Mohammed Ben Youssef avait compris que l'indépendance était inéluctable et avait une conviction forte, celle que la femme devait être instruite. En plus du collège impérial pour les garçons qui existait au delà des murs du Palais, les princesses étaient instruites dans une école tenue secrète à l'intérieur du Palais. Les oulémas qui conseillaient le sultan lui avaient alors suggérer de le faire savoir au peuple : le sultan Mohammed Ben Youssef apparaissait alors aux yeux du peuple comme le Monarque émancipateur qu'il était. Il avait ensuite encouragé les partis politiques à créer des écoles libres de filles. ». L'amie intime de la princesse Lalla Aicha Aicha Belarbi fut la camarade de classe et l'amie intime de la princesse Lalla Aicha, fille aînée de Sidi Mohammed Ben Youssef. C'est avec émotion qu'elle met aujourd'hui en lumière le rôle prépondérant qu'a joué la princesse Lalla Aicha dans l'émancipation de la femme, puis dans l'indépendance du Maroc : « La princesse avait entamé une tournée dans les écoles libres de filles à travers le Royaume, elle fut accompagnée de sa gouvernante française mais surtout du Fqih Belarbi. Son premier discours fut celui prononcé à l'école Benabdellah de Fes. Elle y prônait un salafisme éclairé, citant Rida et Abdou, et le Fqih Belarbi avait alors fait l'éloge du discours de la jeune princesse. De 1943 à 1947, elle prononça de nombreux discours notamment à Salé et surtout à Casablanca, le fief du mouvement nationaliste. Lors des fêtes du trône, la princesse invitait des jeunes filles des écoles libres afin de réaffirmer la position de la dynastie Alaouite quant à l'émancipation de la femme». Le discours de Tanger Témoin privilégié des moments clés de l'Histoire coloniale marocaine, Aicha Belarbi souligne l'importance du discours de Tanger : « Par la suite, le discours de Sidi Mohammed Ben Youssef à Tanger, accompagné du prince Moulay Hassan et de Lalla Aicha, eut une portée significative. La jeune princesse prononça un discours dans trois langues différentes devant les femmes tangéroises, alors en zone internationale. Le Fqih Belarbi était encore une fois présent au côté de la princesse, et lui servait de caution et de protecteur. La princesse Lalla Aicha a été un pilier, elle fut précurseur de tout un mouvement, et elle parlait un langage qui plaisait aux femmes et suscitait l'adhésion. » Elle marque un temps de pause, et répète, les yeux au ciel : « la page de Lalla Aicha n'a pas encore été écrite, c'était un homme d'Etat... ». Combat pour le droit des femmes La fille du Fqih Belarbi a bien évidemment reprit le flambeau de son père et s'est engagée au sein de la société civile marocaine, elle en est une figure emblématique : « J'ai eu la chance d'avoir eu l'exemple de la princesse Lalla Aicha, une femme engagée et qui influençait. Je me suis sentie dépositaire en tant que membre d'une première vague de femmes citoyennes. Notre éducation nous a transmis l'amour de notre pays et cette volonté de tirer la société vers le haut. Mon engagement s'est poursuivi de l'instruction des femmes vers le combat des droits de la femme, notamment au sein de l'Union des Femmes, sous la direction de la princesse Lalla Fatim Zahra « l'Aazizia » (cousine de Mohammed V). Le combat pour le droit des femmes était plus difficile : la femme instruite ne pouvait évoluer dans un cadre institutionnel et familial où les hommes sont obscurantistes. Les questions de divorce, d'héritage, de travail, de polygamie sont centrales. La société civile a poussé le pouvoir à installer un cadre juridique en faveur des droits de la femme ». Aïcha Belarbi ne se définit pourtant pas comme une militante féministe : « le féminisme, c'est enlever aux femmes leurs responsabilités, et signifie être « contre, en opposition à », le mouvement féminin, lui, est dans le prolongement. Emanciper la femme, c'est émanciper les familles et donc la société. ». Au cœur de son engagement pour la condition féminine, la réforme de la Moudawana, dont elle a suivi toute l'évolution. C'est un combat que cette grande dame de la société civile a porté en elle, sous l'égide de Mohammed VI: « Le Roi Mohammed VI a mis en place une Monarchie citoyenne, et le mouvement féminin a connu un essor depuis son avènement au Trône. L'apparition publique de sa femme, la princesse Lalla Salma, et le rôle joué par les sœurs du Roi y ont contribué. Mohammed VI a indéniablement réussi à tirer la société marocaine vers le haut ». Au lendemain de la conférence hommage à son regretté père, Lalla Aicha Belarbi Alaoui revient sur la personnalité du fqih. « Cheikh El Islam était avant-gardiste, il était venu du Tafilalet. Dans les conditions climatiques du désert marocain, l'être humain devient grand. Ceci était particulièrement vrai avec le Fqih Belarbi. Il a étudié à Fes, à l'université Qaraouyine, et avait pour professeur cheikh Chouheib Doukkali, dont il était le fils spirituel. La logique était au cœur de sa pensée, et il plaçait la dignité humaine et les idées libres au centre de son action. Aux côtés d'autres savants de son époque, le Fqih Belarbi était un guide, une locomotive. Mon père était profondément nationaliste, en témoigne sa déportation lorsqu'il a refusé de procéder à la cérémonie d'allégeance de Benarafa. Sans jamais être partisan, il était profondément progressiste. l'Islam était selon lui la religion du renouveau, de la tolérance et de l'acceptation d'autrui. » Il ne fait aucun doute que cette conférence organisée par le centre Bensaid Ait Idder a su mettre en lumière l'apport historique de « Cheikh el Islam » dans la lutte pour l'indépendance du Maroc.