Quel est l'état des relations entre Rabat et Ankara ? Les relations entre nos deux pays ont connu une nouvelle impulsion à partir de la visite de notre Premier ministre Tayyip Erdogan à Rabat en mars 2005. L'abrogation des visas entre les deux pays, consécutive à cette visite, a créé une véritable dynamique, amenant les ressortissants turcs à découvrir plus facilement le Maroc et vice-versa. Géographiquement, la distance entre le Maroc au nord-ouest de l'Afrique et la Turquie au sud-est de l'Europe a été symboliquement abolie avec les liaisons aériennes de Turkish Airlines et de Royal Air Maroc. Il existe un grand nombre de similitudes entre nos pays, que ce soit sur le plan culturel ou géographique. Si l'on prend la région d'Al Hoceima par exemple, elle se rapproche de Antalya avec sa situation balnéaire à proximité de la montagne. De ce fait, notre expérience peut être utile pour le développement touristique de cette région. Depuis la signature de l'accord de libre-échange, quel bilan pouvez-vous en faire ? Les sociétés turques ont commencé à participer à des appels d'offres marocains et à investir localement. Des entreprises comme Tekfen qui travaillent avec l'OCP ou les autoroutes du nord du pays, STFA en partenariat avec Ahmed Kabbaj sur le port de Safi, Nurol, Makyol sur l'autoroute de Casablanca ou Yapi Merkezi sur le tram de Casablanca ont contribué au succès de grands projets d'infrastructures au Maroc. Ce que nous privilégions, ce sont les investissements et ce, dans tous les domaines : éducation, industrie, agriculture, finances, etc. Lors du prochain salon de l'Etudiant à Casablanca, une importante délégation turque sera présente, avec en principe, la présence du ministre turc de l'enseignement.Notre volonté est d'arriver à un meilleur équilibre par le biais d'investissements locaux, dans le domaine de l'industrie par exemple. Nous poussons à la création de joint-ventures que nous voyons comme un véhicule adapté à cela. Quels sont les outils dont vous disposez pour renforcer les relations entre nos deux pays ? L'ambassade bien entendu, les services commerciaux, un à Rabat et un autre à Casablanca qui accueillent régulièrement des délégations d'hommes d'affaires turcs et nos consuls honoraires. Nous avons également des écoles, à Tétouan, Casablanca, Fès, etc où l'essentiel du corps enseignant est marocain. Peut-on considérer que le films turcs participent au rayonnement de votre pays ? Indéniablement. Depuis 5 ou 6 ans, les séries turques ont conquis le monde arabe. Nous avons une histoire commune, une mentalité similaire et nos pays sont tout aussi beaux. La qualité de ces séries en a fait le succès que l'on connait. La télévision est importante. Chez nous, on considère qu'elle fait partie de la famille. Quel élément pourraient renforcer les relations entre les deux pays ? La dernière visite royale à Ankara remonte à la fin des années 60. Il est indéniable qu'une visite de Sa Majesté Mohammed VI donnerait un élan particulier à nos relations. L'invitation a été faite et nous attendons que le calendrier le permette. Les visites de haut niveau, marquent l'intention de resserrer les liens d'amitié et ouvrent la voie à beaucoup de choses dans tous les domaines. Il y a régulièrement des visites interministérielles, mais pas de visite au niveau de chefs d'Etats et de chefs de gouvernements. Quelle est la position du Maroc dans la politique étrangère turque ? Au-delà du Maroc et des opportunités qu'il représente, votre pays est un tremplin pour la Turquie à destination de l'Afrique de l'Ouest. Nous avons accéléré l'ouverture d'ambassades, passant de 11 à 36. Nous voulons travailler avec les pays africains sur une base équitable, pour apporter notre expérience. Au-delà du commerce, jusqu'à il y a quelques années, la politique de la Turquie était le « zéro problèmes avec les voisins », depuis peu vous êtes plus offensifs. Tout d'abord, il ne faut pas oublier l'Egypte, malgré la situation qui est la sienne actuellement. C'est un grand pays qui a une grande influence sur le monde arabe. Quant à la Turquie, nous avons toujours cette volonté de ne pas avoir de conflits avec nos voisins, ce qui ne nous empêche pas d'être plus présents en privilégiant la qualité de nos relations. La Turquie est un pont entre l'Asie et l'Europe. A ce titre, nous voulons être membres de l'Union européenne, même si aujourd'hui ce n'est plus une demande aussi importante qu'auparavant. Ceci dit, le changement de gouvernement en France devrait apporter des changements constructifs. Il y a cependant une zone d'influence qui se dessine pour la Turquie. En Afrique, il y a beaucoup de Nations qui veulent avoir de bonnes relations avec les pays africains pour en profiter. De notre côté, nous cherchons à établir des relations équilibrées, où chacun y trouve son compte. Nous cherchons, comme je l'ai dit plus tôt, à investir. De plus, n'ayant jamais été un pays colonisateur, la Turquie n'a pas de passif avec les pays africains. Jusqu'à il y a peu, nous avions un déficit de connaissance. Aujourd'hui, nous apprenons à mieux nous connaître et nous sommes perçus comme des partenaires positifs qui venons pour participer à l'effort économique et social, sans vision hégémonique. Nous sommes en compétition avec d'autres pays et c'est inévitable, mais notre proposition est digne d'être écoutée parce qu'elle est sincèrement basée sur la recherche d'équilibre. Quelle est la position de la Turquie sur la Syrie et l'Iran ? La période que nous traversons est très difficile. Il y a du sang qui coule et cela nous dérange. En Syrie, la situation est très complexe. L'opposition ne veut pas se mettre à la table de négociations tant que le régime actuel est en place, ce qui rend les choses encore plus difficiles. La position de la Russie et de la Chine est également incontournable, d'autant plus qu'elle se base sur le respect des résolutions de l'ONU. La question de l'armement des rebelles est délicate. Il y a des pays qui craignent la contagion régionale et d'autres qu'il y ait des connivences entre les anti-régime et des factions radicales qui luttent pour leur propre intérêt. La situation en plus d'être complexe est chaotique. Les Russes ont commencé à organiser des rencontres. Au lieu des rencontres simultanées, on est aujourd'hui à des visites consécutives à Moscou de représentants du régime puis de ceux de la coalition. Le plus important est d'avoir l'intention de résoudre le problème. Sinon la guerre durera. Il faut faire un choix. Et nous, nous voulons faire le choix de la paix. Quant à l'Iran, nous sommes voisins. Nous avons une frontière commune. Nous avons voulu être intermédiaire entre Téhéran et les autres pays qui ont peur qu'il ne se dote d'une arme nucléaire. Aujourd'hui, il semblerait que le projet soit plus ou moins à l'arrêt. Mais la Turquie ne sera jamais pour une intervention militaire en Iran. Ça serait mauvais pour toute la région et pour la Turquie. Si cela était le cas, ce serait à coup sûr la 3e guerre mondiale et la fin du monde. Il est important que tout le monde fasse attention. Chaque pays veut assurer sa sécurité et rayonner au-delà de ses frontières. Pour être un grand pays dans tous les domaines, ce n'est pas qu'une question d'argent, il faut investir dans son peuple. Un peuple bien éduqué, c'est une richesse pour le pays et pour le reste du monde. L'éducation est pour moi la chose la plus importante, pour faire la paix, pour être plus fort.