La seconde guerre mondiale laissa, comme chacun le sait, l'Italie exsangue. Le pays était libre mais considérablement ravagé. Dans ce contexte, le surgissement du cinéma néo-réaliste italien fut considéré comme la représentation la plus fidèle des maux du pays. De même que cette approche nouvelle pour l'époque devint le symbole de la modernité cinématographique, marquant de façon prodigieuse et durable le cinéma mondial, un mouvement à la puissance fascinante dont la portée et l'influence continuent de se mesurer aujourd'hui. Film phare du néo –réalisme italien, « Le voleur de bicyclette » de Vittorio De Sica, au même titre que « Rome, ville ouverte » de Roberto Rossellini, s'est construit au plus près du réel dans des lumières et décors naturels et avec des acteurs non professionnels. De Sica avait mené une carrière d'acteur dans un premier temps, interprétant souvent des playboys dans une filmographie éclectique où le pire côtoie le meilleur. Sa carrière de réalisateur fut heureusement plus rigoureuse et sera couronnée de succès sur un plan international (quatre oscars du meilleur film étranger, une palme d'or cannoise et un ours d'or à Berlin entre autres récompenses prestigieuses). Le voleur de bicyclette , classique parmi les classiques, mélodrame parmi les mélodrames, figurant régulièrement dans tous les classements sérieux des meilleurs films de tous les temps, film préféré de Woody Allen, film de chevet de Martin Scorsese, résiste-t-il vraiment aux altérations du temps ? Clairement oui, curieusement. Sur le papier, le fait divers banal ne laisse rien présager de l'ampleur et de l'intensité de ce qu'on voit se dérouler sur l'écran. Le réel et le mythe s'y frottent et nous emportent dans cette spirale de petits bouleversements qui nous frappent à tous les niveaux. Chômeur depuis deux ans, Antonio trouve enfin un emploi de colleur d'affiches, mais le premier jour, il se fait voler sa bicyclette, outil indispensable de son nouveau métier. Il va se lancer à sa recherche en compagnie de son jeune fils Bruno et arpenter les rues de Rome. D'échec en découragement, il tentera, à son tour, après avoir retrouvé le voleur sans pouvoir le confondre, de voler une bicyclette sous le regard réprobateur de son fils. Sa tentative échouera et il retournera chez lui humilié, sans travail, sans bicyclette, mais la main de son fils dans la sienne... Tragédie humaine portée à un très haut niveau émotionnel, film à la valeur documentaire essentielle, peinture sociale d'après-guerre, « Le voleur de bicyclette» témoigne d'une époque où le chômage et la misère touchaient une grande partie de la population. La ville est filmée dans ses moindres petites ruelles et on y découvre les vies miséreuses non seulement des protagonistes principaux mais aussi des personnages secondaires qu'ils rencontrent. Cependant, ce qui fascine principalement encore aujourd'hui dans ce film incontournable, ce sont les deux personnages centraux, le père au visage creusé par la faim, corps sec et tendu, et son fils, à la bouille expressive et prématurément vieillie. Ce sont eux qui provoquent encore aujourd'hui des émotions inattendues.