Die Stimmen von Marrakech, Aufreichnungen nach einer Reise», tel est le titre original des «Voix de Marrakech, journal d'un voyage» (Albin Michel, 1980), Cet ouvrage d'Elias Canetti, lauréat du prix Nobel de littérature en 1981 parut en 1967. Ecrivain, romancier, mais surtout mémorialiste et essayiste, Canetti constitue un cas peu banal dans la littérature contemporaine. : Il naît en 1905 à Rustschuk, en Bulgarie. Sa famille s'est établie en Angleterre en 1911, puis à Vienne en 1913. Et c'est à Vienne que Canetti obtint en 1929 son doctorat en philosophie. Fuyant le nazisme en 1938, l'auteur des «Voix de Marrakech» quitte Vienne pour Londres. Ce bulgare d'origine judéo-espagnole devenu britannique écrit en allemand ! Et c'est un écrivain tout à fait remarquable, dont tous les livres sont animés par une exceptionnelle probité. Elias Canetti rencontre-t-il des chameaux lors de ce séjour à Marrakech, en 1954 ? «On dirait vraiment ma tante, dit mon ami anglais auquel j'avais, avec tact, fait remarquer l'analogie avec ses compatriotes et nous retrouvâmes bientôt beaucoup d'autres connaissances». Promeneur passionné, Canetti savoure la séduction des souks: «On croirait que les sacs eux-mêmes savent qu'ils sont la richesse et qu'ils s'offrent aux regards des passants dans tout leur éclat». Et cette magie, Canetti en révèle judicieusement la source : «Une des calamités de notre vie moderne réside en ceci que nous recevons tout objet complet et terminé, livré à domicile et prêt à l'emploi comme si cela sortait de quelque vilain appareil magique. Ici, au contraire, on peut voir le cordier s'activer à son travail…» Voir, entendre, humer, rêver, telles sont les activités marrakchies de Canetti. De cette observation inlassable naît une compréhension pratique des mœurs et des attitudes. Ainsi, le marchandage, par exemple, n'est pas évoqué par l'auteur des «Voix de Marrakech» avec ce mépris habituel aux maniaques du prix marqué. Le commerçant en charge des marchandises «ne se soucie pas de connaître exactement leur valeur, car il la garde secrète et on ne la connaîtra jamais (…) lui seul peut savoir à quel point on s'approche de son secret et il s'entend à parer vivement tous les coups, de façon que la distance protectrice de la valeur ne soit jamais entamée» A propos de marchandage, on lira aussi «Marrakech : secret affichés» par Saâd Sarhan et Yassin Adnan paru chez Marsam en 2008 avec une préface de Juan Goytisolo. Les auteurs écrivent ceci : «Et puisque le vacarme des rues et le radotage des femmes font le charme discret de la cité, tes pas ne manqueront pas de succomber à l'attrait d'Arset Elmellak. Ici, assiégé des charrettes-étals du marché à ciel ouvert, tu écouteras papoter bien des ménagères». «Propos de commères ayant besoin de plus d'une heure de marchandage pour l'achat d'à peine une once de pommes de terre !» «L'occasion de la tournée matinale dans le souk est ainsi saisie par les intéressées pour livrer leurs petites guerres quotidiennes. Exquises occasions, où, fortes de leur éternel scepticisme quant au rapport qualité-prix, ces bonnes femmes exhibent leurs talents de négociatrices et de gestionnaires chevronnées». Mais pourquoi Sarhan et Adnan tiennent-ils à appeler ces clientes des «bonnes femmes» ? Canetti, lui, n'est pas un reporter ; c'est un conteur et le plus subtil des sociologues. C'est enfin un méditatif qui, de retour de Marrakech, s'imagine, avec envie, passer sa vie à répéter les noms d'Allah et se souvient de la chaleur amicale reçue du marabout. Visitant le Mellah de Marrakech, Elias Canetti en rapporte la description de la «famille Dahan» observée à travers trois générations et il dit, très simplement, l'émotion qu'il éprouve face au père vénérable, émotion si douce qu'elle lui fait soudain apprécier le fils imbécile ! La générosité est le mouvement le plus immédiat de Canetti parti à la rencontre d'autrui. Curiosité et bienveillance fournissent à ce livre son scintillement.