Après L'oeuvre au noir, l'artiste Fatiha Zemmouri récidive avec Blanche est la nuit, poursuivant sa réflexion sur l'alchimie. Après avoir pétri et touché le bois calciné, le charbon et la céramique dans sa précédente exposition à la galerie 38 L'oeuvre au noir, l'artiste s'applique à déconstruire la porcelaine, matière à laquelle elle ne s'était jamais frottée auparavant. D'un esthétisme organique et d'une délicatesse presque féminine, l'exposition est un continuum où s'enchevêtrent la luminosité de l'accomplissement et la souffrance du cheminement. Dans Blanche est la nuit, pourquoi avez-vous opté pour la porcelaine, comme matière de base? J'ai choisi la porcelaine pour sa couleur, sa pureté, et son côté translucide. L'œuvre au blanc est l'étape dominée par la lumière après les ténèbres, et l'introduction du blanc équivaut à un stade plus avancé de la purification de la matière, vers la transformation de la matière en alchimie, avant d'aboutir finalement à l'œuvre au rouge qui sera l'étape ultime et royale. Les trois étapes – l'oeuvre au noir, au blanc, et au rouge – constituent les stades décisifs de la transmutation en alchimie. Au-delà de la délicatesse du travail et de la couleur apaisante du blanc, il se dégage une sensation d'oppression due aux multiples lacérations et aux contorsions de la matière. Pourquoi ? Ceci est sans doute en liaison avec mon expérience personnelle. Je n'aime pas trop m'attarder sur le volet personnel, mais l'exposition est essentiellement une réflexion sur l'évolution continue de l'homme. Toute transformation s'accompagne de douleur et toute envie de renaissance et d'ouverture a son lot de souffrance. Rien ne se fait dans la facilité. En parallèle, je trouve fascinant de me retrouver moi-même actrice de l'évolution et de la transformation de la matière que j'ai entre les mains. Il est intéressant de partir d'un état brut pour aboutir à une forme façonnée et recomposée. C'est un vrai bonheur de réagir avec la matière. Vous pratiquiez la peinture auparavant. Comment votre travail a-t-il évolué vers ce travail plastique ? Le travail sur la mémoire que j'ai effectué auparavant était sans doute un préambule, qui m'a permis de me délester de tous ces partis pris culturels et éducatifs, et de développer un regard neuf sur ce qui m'entoure. Mon premier contact avec l'argile et la céramique a fait basculer mon travail vers un ouvrage qui relève plus de la sculpture que de la peinture. Il y a sans doute le côté masculin du rituel qui me plaît également qui implique une certaine vigueur, une symbiose physique et des gestes tels que soulever ou couper. Comptez-vous vous convertir à la sculpture ? J'ai toujours la sensation que les galeries ne sont pas aménagées pour accueillir des sculptures monumentales. Voilà pourquoi mon travail est une hybridation entre la peinture et le travail manuel. Les œuvres sont toujours accrochées et en aplat, parce qu'en travaillant j'ai toujours en tête l'idée d'accrocher. J'ai rarement travaillé des structures qu'on peut poser sur le sol. J'en ai réalisé cinq ou six, uniquement, mais je crois que la démarche ne tardera pas à venir. Qu'en est-il de la prochaine et dernière étape : L'oeuvre au rouge ? Elle constitue l'étape ultime, celle qu'on atteint rarement. Cette étape ne sera jamais complète, artistiquement, parce qu'elle reste un objectif que l'être humain se fixe, et peu de gens réussissent à y accéder. Mais je trouve plaisant de garder un fil avec ce stade de purification spirituelle. Après l'alchimie, je passerai certainement à autre chose. Quels matériaux comptez-vous utiliser dans cette prochaine exposition? Je ne sais pas, mais sans doute la céramique, entre autres, dont je compte exploiter les émaux rouges. Le blanc fera sans doute partie intégrante de la prochaine exposition, parce que je ne l'ai pas encore exploré complètement. La porcelaine est une matière que je viens de découvrir depuis quelques mois et je ressens encore l'envie de repousser ses limites. Il faut se donner du temps pour connaître et maîtriser sa matière. A titre d'exemple, si je brûle le bois aujourd'hui, demain je peux le sculpter ou le façonner autrement. On peut travailler une matière pendant toute une vie, tout dépend de la manière dont on l'aborde.