Pour qui aime la peinture, rien de plus émouvant que le premier tableau devant lequel un peintre dit être resté en admiration. « Un tableau qui m'a énormément frappé, confiait Luc Tuymans à J.P. Jungo, aujourd'hui encore je le trouve très impressionnant, c'est le Portrait des époux Arnolfini de Jean van Eyck. (...) Avec lui, [...] La chronique de Salim JAY Pour qui aime la peinture, rien de plus émouvant que le premier tableau devant lequel un peintre dit être resté en admiration. « Un tableau qui m'a énormément frappé, confiait Luc Tuymans à J.P. Jungo, aujourd'hui encore je le trouve très impressionnant, c'est le Portrait des époux Arnolfini de Jean van Eyck. (...) Avec lui, on voit aussi poindre l'idée de l'artiste en tant qu'individu qui se positionne dans le monde qu'il peint. La notion d'universalité de la peinture s'est formée là ». Une rencontre à l'initiative d'Harry Jancovici entre le peintre flamand Luc Tuymans et la romancière et essayiste Hélène Cixous nous vaut une lecture illustrée des œuvres de l'artiste qui en offre une exploration intense. Hélène Cixous note ceci dans Luc Tuymans Relevé de la Mort (La Différence, 2012) : « C'est donc chez ce couple de riches marchands italiens, installés à Bruges pour faire des affaires avec les seigneurs, ducs et dauphins qu'est né Le Tableau des tableaux, l'ancêtre de Luc Tuymens. Dans leur chambre pour l'éternité se déroule la cérémonie qui livre au candidat à la peinture les énigmes et les questions qui se poseront chaque fois pour la première fois au futur officiant. » Fouad Bellamine auquel Pascale Le Thorel consacre un beau livre de la collection Images Affranchies (Skira, 2012) dirigée par Brahim Alaoui, au moment même où la galerie casablancaise Atelier 21 expose ses œuvres, raconte : « Mon premier livre d'art, je me le suis fabriqué à l'âge de dix ans. Dans le dictionnaire Larousse de mon père, j'ai déchiré les reproductions en noir et blanc, j'ai trouvé une couverture en carton, je les ai agrafées, je les apprenais par cœur. » Toute la carrière de Bellamine nous est minutieusement contée. Dès 1985, Gilles de Bure faisait remarquer que « Fouad Bellamnie a su éviter le double piège de la soumission au folklore et de l'adhésion aveugle à une des grandes tendances occidentales. » Après un diplôme sur le Concept de muralité dans la peinture contemporaine, Fouad quitte Paris où il avait donc repris ses études. Devenir thésard ? En 1989, il choisit de retourner au Maroc pour ne pas renoncer à la peinture et devient, parallèlement à la poursuite de son œuvre, professeur d'histoire de l'art et d'expression plastique au Centre Pédagogique Régional de Rabat. Aujourd'hui comme hier, il Luc Tuymans. revendique « pour l'artiste, l'intellectuel marocain, le droit à l'ouverture, à l'extraversion. » Chez Luc Tuymans, comme chez Bellamine, l'extraversion ne se prive pas d'introspection : « On ne devrait pas séparer dans la pensée, écrit Hélène Cixous, on devrait lire ensemble, dans la syntaxe qui multiplie la puissance explosive de chaque tableau par les tableaux voisins, Mwana Kitoko, Lumumba, Sculpture, Leopoldille, Leopard, Reconstruction, Chalk, Tschombe, The Mission. En dix scènes d'une économie de foudre, ce sont tous les Empires et tous les Congos qui sont condensés comme dans le Cauchemar de l'Histoire dont James Joyce voulait se réveiller ». Un poème de Tahar Ben Jelloun dans Lumière sur lumières, livre d'artiste paru aux Amis du livre contemporain en 2007, restitue remarquablement la quête de lumière qui absorbe le peintre Fouad Bellamine : « L'astre de la délivrance est tout blanc / Tellement blanc qu'il est invisible / Il faut deviner ses formes et son trajet / Car c'est lui qui montre le chemin/ Pour parvenir à une trouée de lumière / Aussi puissante que la vérité. » On aime mieux cela, décidément, que les foireuses vaticinations du Bonheur conjugal (Gallimard, 2012). Cette « trouée de lumière », Bellamine l'obtient de telle sorte que Gérard Durozoi a pu écrire : « L'événement consiste en ceci que c'est désormais la lumière qui travaille et agit le tableau ». Hélène Cixous interroge le long voyage de l'Image jusqu'à Dead Skull, 2010, mosaïque installée à Anvers par Luc Tuymans, hommage au peintre Quentin Metsys, « personnage légendaire et réel dont la vie est une allégorie de l'appel de la peinture : voilà un forgeron qui devint peintre par amour ». Dans les œuvres de plasticiens, le meilleur tient à la chanson des âmes qui en émane ou s'en enfuit, troublée. Ces deux livres d'art nous invitent à porter sur les aventures picturales de Luc Tuymans et Fouad Bellamine un regard offert, ouvert autant à ce qu'il y a sous nos yeux qu'à ce qu'il y a sans nos yeux. Les peintres, alors, nous apparaîtront comme les phares de l'effarement. * Tweet * *