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La Marche verte ou l'heure de vérité de la Realpolitik | Le Soir-echos
Publié dans Le Soir Echos le 05 - 11 - 2012

En célébrant ce mardi 6 novembre le 37ème anniversaire de la Marche verte, le Maroc célèbre également l'une des plus mémorables épopées de son histoire.
Le 6 novembre 1975 au matin, à partir du PC opérationnel d'Agadir, feu Hassan II donna le lancement de la marche en ces mots : «Osman en avant !».
L'histoire et la mémoire se confondent ici avec cette particularité que chaque année, à la même date, chaque fois aussi l'événement nous rappelle avec intensité sa dimension multiforme. Politique, historique, sociale, humaine et internationale notamment par l'impact considérable qu'elle a créé et l'effet produit. On n'avait cessé de la comparer à la « longue marche » de Mao Tsé-toung en Chine, beaucoup d'autres pays s'en sont inspiré pour en faire aussi une tactique, voire une stratégie de libération.
« L'on ne négocie qu'en position de force »
La Marche verte échappait apparemment aux règles diplomatiques qu'elle bousculait, parce qu'elle était conçue et déclenchée de manière souveraine et unilatérale. Pacifique, structurée, réfléchie dans ses moindres détails, elle apportait la parade à un certain attentisme diplomatique que le roi Hassan II rejetait et dont il se lassait. Elle constituait également une forme de réponse à la politique velléitaire des dirigeants espagnols et, au-delà, des responsables de l'ONU, interpellés pourtant des décennies durant sur le règlement du problème du Sahara. Des années entières, d'une revendication officielle à des rencontres officieuses et des débats divers, la question du Sahara semblait traîner et se diluer dans les sables mouvants des tripotages et du cynisme. Et c'est conscient que la situation risquait de s'enliser et que nos voisins, notamment algériens, manipulaient les uns et les autres et bloquaient sa libération, que le roi Hassan II décida d'accélérer le processus à sa manière et de choisir le mode de négociation et d'action. Il a fait sienne la règle connue – inspirée de Metternich et Clausewitz – que « l'on ne négocie qu'en position de force », en tout cas en bonne maîtrise des lois qui régissent de telles situations. Il a pris les devants , pour prévenir toute velléité , elles étaient nombreuses, d'où qu'elles viennent pour empêcher le Maroc de récupérer son territoire et d'accomplir son intégrité territoriale. Plutôt que s'engluer dans les sempiternels discours usés jusqu'à la corde, face notamment à des adversaires de plus en plus résolus et qui commençaient à se dévoiler au fur et à mesure, plutôt que de se laisser séduire par leur langage et leur tactique berceuse, le Roi mesurait , comme à son habitude, les enjeux et saisissait mieux que personne la portée d'une histoire qui était en train de se faire en parallèle. Le régime de Franco vivait ses derniers jours en ce mois de novembre 1975, celui de Houari Boumedienne s'affirmait comme une puissance régionale et entendait, peut-être un peu trop vite, incarner le Tiers-Monde sur la scène des Nations unies.
Le scénario du Frente polisario
Ces deux pays constituaient les principaux adversaires du retour du Sahara au Maroc. L'Espagne de Franco y était d'autant plus hostile que le Caudillo, comme on l'appelait, avait fait des promesses dans ce sens au roi Hassan II qu'il n'avait jamais tenues. Et qu'il n'entendait pas tenir, en tout état de cause, parce qu'il commençait à prendre en compte la suggestion d'un Etat indépendant dans le territoire que son pays et son armée occupaient depuis 1930 officiellement. Plusieurs rencontres entre le général Franco et Hassan II avaient eu lieu, dont notamment celle de Barajas, aérodrome de Madrid en 1963 et qui fut à la négociation directe ce que le credo de décolonisation est au principe des Nations unies : le dialogue encouragé entre la puissance occupante et l'ayant droit ! Sans succès toutefois ! Il s'était dégagé lors de cette rencontre au Sommet une ligne de conduite, que les commentateurs allaient appeler « l'esprit de Barajas » : les deux parties convenaient d'une négociation bilatérale globale sur les contentieux territoriaux entre les deux Etats. La Marche verte a été en quelque sorte la conséquence des années ultimes que sont 1973,1974 et 1975, marquées par une réflexion stratégique aiguë. Le roi du Maroc avait vite compris la nécessité de s'atteler à une politique de riposte efficace d'une part aux atermoiements feints de l'Espagne et, d'autre part, aux dangereuses prétentions de l'Algérie qui se faisaient de plus en plus jour. Rien n'aura été plus que convaincant que cette collusion, devenue par la suite conspiration, entre les « services » espagnols et ceux de l'Algérie, ardemment attelés à prendre en main les jeunes sahraouis, à récupérer les mouvements de protestation et des soulèvements qui se multipliaient sur le territoire occupé par l'Espagne. On rappellera que c'est un ministre espagnol, baron franquiste s'il en fut, le célèbre Lopez Bravo qui vouait une quasi haine au Maroc et le général Viguri, appartenant au corps du tercio qui avaient mis sur pied, avec la collaboration de quelques uns de leurs homologues algériens, le scénario du Frente polisario avec, à sa tête, Mohamed El Ouali, alors étudiant comme tant d'autres à l'Université de Rabat. La Marche verte survenait dans le cadre d'une vision nouvelle et déjà enracinée dans l'esprit de Hassan II. Les événements qui se suivaient depuis quelques années , les agissements des pouvoirs espagnol et algérien le confirmaient dans sa volonté d'accélérer le processus et d'anticiper. A coup sûr, il devenait clair à ses yeux que l'Espagne franquiste ne céderait jamais le Sahara au Maroc et que l'Algérie tenait un double langage, celui du soutien officiel au Maroc pour revendiquer son territoire , celui ensuite des coulisses pour imposer le polisario, créé en mai 1973 par ses soins comme on l'a dit, afin de revendiquer l'indépendance. Double langage, manichéisme même qu'un certain ministre des Affaires étrangères, tout à sa verve logomachique, appelé Abdelaziz Bouteflika, allait développer et colporter sur les podium divers, des Nations unies à l'OUA... Le roi Hassan II, éclairé sur les manœuvres des uns et des autres, averti aussi des intrigues et d'une volonté inavouée de blocage par les deux pays, décida de convoquer la presse internationale en septembre 1974 pour annoncer la décision du Maroc de faire de l'année 1975, « l'année de la libération du Sahara » ! Il informa le monde entier aussi de l'autre décision de saisir la Cour internationale de justice, à La Haye pour lui demander l'arbitrage. Toutes les voies diplomatiques étant épuisées, la Cour de La Haye avait donc pouvoir de donner son avis. Entre-temps, Hassan II avait dépêché plusieurs émissaires dans les capitales du monde entier pour informer la communauté internationale de l'initiative marocaine qui consistait à poser le problème au niveau de l'ONU de manière formelle et dans le respect des procédures , en même temps d'affirmer sa volonté de négocier directement avec la « puissance administrante » , l'Espagne si elle le souhaitait. Ces émissaires représentaient entre autres les partis politiques qui exprimaient leur soutien unanime au Roi. Et c'est sur l'avis de la CIJ , rendu au soir du 14 octobre 1975, que le roi s'appuiera pour décider l'organisation de la Marche verte. Le 15 octobre, dans un discours demeuré célèbre, prononcé dans une profonde émotion à Marrakech, le roi Hassan II informe son peuple et le monde entier du contenu de l'avis de la Cour internationale de justice et de sa décision d'organiser une marche, qui porterait le nom de « Marche verte, pacifique et regroupant 350 000 volontaires marocains, un Coran à la main » ! C'est peu dire que l'annonce eut un effet considérable , répercuté par la presse internationale, dont une partie était installée depuis des semaines à Marrakech. L'Espagne vivait l'agonie du général Franco et se sentit déstabilisée par l'annonce du Roi du Maroc qui, non content d'avoir été conforté par l'avis consultatif de la CIJ, entendait désormais prendre les choses en mains, directement, énergiquement et intimement convaincu du soutien populaire.
Les preuves des liens historiques
Le jugement de la Cour de la Haye précisait bel et bien qu'il « existait des liens juridiques et d'allégeance entre le Roi du Maroc et les populations du Sahara». Cela suffisait pour justifier, en effet, toute revendication du Maroc et balayer toutes autres prétentions. Le Maroc, dans sa quête dé vérité, a épuisé toutes les sources – historiques et juridiques – afin de convaincre la communauté internationale du bien-fondé de sa revendication. Il n'est pas jusqu'au dictionnaire Larousse de la première moitié du siècle dernier qui ne témoignât de cette vérité, ne fût-ce que parce qu'en présentant la carte du Royaume chérifien du Maroc, il incluait de facto les provinces du Sahara… La délégation du Maroc, envoyée à La Haye entre juillet et octobre 1975, pour défendre le dossier marocain avait présenté tous les arguments. Elle s'était trouvée, curieux hasard, opposée à un certain Mohamed Bedjaoui, juriste algérien mobilisé pour la cause et qui deviendra plus tard ministre des Affaires étrangères de Abdelaziz Bouteflika. Faut-il rappeler que la monnaie de l'époque, depuis des siècles, était frappée à l'effigie du Sultan du Maroc, que les prières dans les mosquées de Smara, Lâayoune et Dakhla et jusqu'à Tombouctou étaient faites au nom du sultan du Maroc ? Fort de l'avis de la Cour de La Haye, de l'adhésion populaire qui fut un élément , sinon l'élément central de cette opération inédite, convaincu lui-même dans son irréductible volonté de défendre la légalité, l'histoire et la mémoire de son pays, le roi Hassan II fixait ainsi la date et le lieu du départ de la Marche verte : le 6 novembre et l'ordre sera donné à partir d'Agadir. Et son Premier ministre de l'époque, Ahmed Osman sera à la tête de cette marche inoubliable. Ainsi, 350 000 volontaires, comprenant des femmes et même des enfants, sont-ils partis fouler le sol d'un territoire devenu sacré. Le 9 novembre, le roi donna l'ordre aux marcheurs, forts engagés et qui avaient franchi les barbelés et se trouvaient déjà face aux soldats espagnols, de s'arrêter. Le Maroc avait donc récupéré de facto ses terres, tandis que commençait à Madrid une dure et intense négociation qui aboutira à l'accord du 14 novembre, scellant le retour du Sahara au Royaume du Maroc. Les Nations unies, dirigées alors par l'autrichien Kurt Waldheim, n'avaient d‘autre choix qu'entériner une décolonisation menée et réglée sans effusion de sang. Voici ce qu'écrivait un témoin direct, André Lewin qui fut l'adjoint du et porte-parole du Secrétaire général des Nations Unies (1972-1975) à cette époque, et qui illustre l'ambiance à la fois tendue et la conviction d'un roi qui le reçut dans la foulée : « A mon intention, (Hassan II) fit un rappel historique très complet de la situation et affirma qu'il était sur le point de parvenir à un accord direct avec l'Espagne. Si les Nations Unies essayaient d'interférer avec cette solution, elles entraveraient la marche de l'Histoire et en supporteraient les conséquences; au pire, le Maroc était prêt à quitter l'organisation. La Marche Verte ne présentait aucun risque pour la paix; ce n'est que si des troupes espagnoles ou d'autres éléments soutenus de l'extérieur s'opposaient à ce triomphal retour du peuple marocain sur cette portion de son territoire historique, que le sang risquait effectivement de couler; la responsabilité en retomberait sur ceux qui emploieraient les armes en premier; l'armée espagnole venait de poser des mines sur toutes les voies qui devaient être empruntées par les volontaires de la Marche Verte. Le «Plan Waldheim», dont il avait entendu parler, était d'ores et déjà dépassé et par conséquent, inutile. Sa fermeté et sa détermination étaient impressionnantes, le ton de sa voix s'était fait plus dur et il martelait ses mots. » Et d'ajouter l'éclairage suivant : « Je tentai de me faire l'avocat du projet onusien, lui faisant valoir que si le Maroc était sûr de son droit et des souhaits de la population sahraouie, il ne courrait aucun risque à accepter l'entremise des Nations Unies. Mais le roi n'avait visiblement qu'une confiance limitée dans les intentions de ses voisins algériens et de ceux qui, au sein de la communauté internationale, cherchaient à semer des ferments de trouble en favorisant la création de micro-Etats révolutionnaires à leur dévotion. Il n'y avait pas de place pour le désordre dans cette partie de l'Afrique. »
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