Il y a d'un côté les têtes chercheuses, celles qui sont persuadées que le terrain de l'invention est infinie et que l'art et le cinéma en particulier offrent des possibilités inexplorées. Et de l'autre côté, ceux qui pensent que tout a déjà été inventé et qu'il faut absolument revisiter et rénover du mieux possible. James Gray se situe définitivement parmi ces derniers. Cinéaste peu prolifique (4 films en 18 ans, le 5ème est en cours de montage), assez conservateur et fièrement en marge du système hollywoodien actuel, il cultive une nostalgie pour le cinéma américain des années 70, celui que le Nouvel Hollywood réinventa et dont il se révèle l'un des fans les plus vivaces. Figure de proue du néo-classicisme, James Gray cultive cette image de réalisateur né en dehors d'une époque cinéphilique qu'il vénère jusqu'à en reproduire la texture visuelle et l'amplitude dramatique. Très perfectionniste, James Gray a peu tourné jusque-là mais chacun de ses films livrés est un diamant noir. Y compris « La nuit nous appartient », dont il est question dans cette chronique et qui explore là encore le thème central de la famille, cher au cinéaste et qu'on retrouve dans tous ses films. Dans ce drame aux accents shakespeariene, il s'agit d'un fils face à son père et à son frère. New York, fin des années 80. Bobby (Joaquin Phoenix) est le jeune patron d'une boite de nuit branchée appartenant aux Russes. Avec l'explosion du trafic de drogue, la mafia russe étend son influence sur le monde de la nuit. Pour continuer son ascension, Bobby doit cacher ses liens avec sa famille. Seule sa petite amie, Amada (Eva Mendes) est au courant : son frère, Joseph (Mark Wahlberg), et son père, Burt (Robert Duvall), sont des membres éminents de la police new-yorkaise… Chaque jour, l'affrontement entre la mafia russe et la police est de plus en plus violent, et face aux menaces qui pèsent contre sa famille Bobby va devoir choisir son camp… Le titre « la nuit nous appartient », en anglais « we own the night » ouvre tout de suite des possibles imaginaires palpitants. Ce n'est pas une invention de l'auteur mais la devise de la police new yorkaise, ici omniprésente. Le titre donc, aux confins ténébreux, donne le ton de ce que sera le film : un polar sombre et intense. James Gray revisite des thématiques bibliques, plonge dans la mythologie ancienne, fait référence à Shakespeare et aux grands films des années 70, qui constituent une grande partie de son influence, « Le parrain » de Francis Ford Coppola en tête. Et le résultat est très fort. « La nuit nous appartient » est un bloc de tension qui ne vous lâche pas au fur et à mesure qu'il se déroule et s'amplifie. Le scénario est extrêmement bien écrit et chaque personnage atteint une envergure précise et percutante. Le trio familial est magnifiquement interprété par trois stars hollywoodiennes au meilleur de leur forme. On retiendra cependant davantage la présence fiévreuse de Joaquin Phoenix, superbe acteur qui s'est dernièrement fait rare mais dont la carrière devrait redécoller sous peu. Devenu le comédien fétiche de James Gray au fil des ans, il forme avec ce dernier un tandem qui n'est pas sans rappeler certaines collaborations mythiques, Fellini et Mastroianni, Scorsese et De Niro en tête.