S'il occupe maintenant une place de tout premier choix dans le panthéon cinéphile, John Cassavetes, à l'époque où il était encore en vie, n'intéressait pas beaucoup ses compatriotes qui reconnaissaient davantage sa carrière d'acteur (plus de 80 films) que celle de réalisateur (12 films). Souvent considéré comme le père du cinéma indépendant américain, il a construit, totalement en marge du système hollywoodien, l'une des œuvres les plus stupéfiantes de l'histoire du cinéma, avec pour centre d'appui, l'interprétation. L'acteur étant roi chez Cassavetes. Il met au point une technique bien à lui pour conduire ses acteurs à être plus vrais que nature. Longues répétitions, improvisations,... amènent ceux-ci progressivement vers des états extrêmes où il peut en tirer les performances les plus abouties. Et c'est ce qui est souvent le plus bluffant, encore aujourd'hui dans ses films, tellement ils « débordent » de vitalité, des présences de cette famille d'acteurs prodigieux, son épouse Gena Rowlands en tête, Peter Falk, Ben Gazzara, Seymour Cassel,...etc. Faisant suite aux réussites majeures de « Faces » et « Husbands », « Une femme sous influence», tourné en 1974, voit le jour dans des conditions très difficiles. Le couple doit hypothéquer sa maison pour financer le tournage. Celle-ci sert d'ailleurs de décor au film et des disputes orageuses éclatent souvent entre le réalisateur et son actrice / épouse tout au long. Le film sera une tranche de vie, un film – portrait d'une mère de famille, Mabel, qui sombre dans la folie, magnifiquement interprétée par Gena Rowlands, qui arrive à éblouir malgré parfois la profusion de mimiques. Mabel se projette sans retenue dans toutes sortes d'émotions, au point qu'elle perd le fil d'elle – même, au grand désarroi de ses proches. Contremaître sur les chantiers, Nick (Peter Falk) est submergé de travail et ne peut rentrer chez lui pour la nuit. De son côté, Mabel, son épouse est déprimée. Après avoir laissé ses enfants à sa mère, elle se saoûle et, à moitié inconsciente, ramène un homme à la maison. Le lendemain, Nick débarque avec son équipe d'ouvriers, et une scène de ménage éclate. Le film est divisé en deux parties distinctes. La première, qui correspond aux deux tiers de l'histoire, se déroule en quelques jours à peine, où Mabel va glisser dans un état de folie tel que ses proches vont prendre la décision de lui faire intégrer un établissement psychiatrique. La deuxième partie, suite à une longue ellipse, nous permet de retrouver celle-ci à son retour, au bout de six mois. Centré autour de la figure de Mabel, « Une femme sous influence » se révèle davantage qu'une seule description de la folie contemporaine ordinaire, une radiographie des difficultés traversées par un couple américain moyen, un constat implacable sur l'incommunicabilité. Cassavetes dira qu'avec ce film, il a voulu montrer «le combat d'une femme qui cherche un autre langage pour atteindre les gens qui l'entourent et qu'elle aime ». Le résultat est une exploration ontologique rare, bouleversante et parfois même terrifiante. Sans doute l'une des pièces maîtresses de la filmographie de son auteur.