Comme tous ses concitoyens, Miloudi est confronté par vagues à un phénomène tout à fait national. A chaque renouvellement de papiers ou à chaque fois qu'il a besoin de communiquer un document à une tierce personne, le passage par la mouqataa s'impose afin de « légaliser » le moindre paraphe. En effet sans le fameux tampon rouge baveux, complété d'une écriture illisible et sans le fameux timbre dont le prix oscille selon l'humeur du préposé entre 2 et 20dh, le document n'a, semble-t-il aucune valeur. Comme en plus, le processus intègre l'attente obligatoire dans des locaux souvent vétustes, le temps imposé autorise notre Miloudi à quelques considérations philosophiques en attendant d'être à son tour timbré. Selon sa dernière théorie, la parole d'un Marocain n'a donc aucune valeur si elle n'est pas validée par ce sceau magique qui lui permet d'accéder au rang de parole tout simplement. Révélant une infantilisation excessive, cette pratique dénote aussi de la valeur accordée à l'initiative individuelle qui ne peut s'affranchir de la tutelle de l'Etat. Etat paternaliste qui doit valider mais aussi être tenu au courant du moindre échange épistolaire entre deux ou plus de ses citoyens. Ce serait drôle se disait le Miloudi si les chèques devaient également être légalisés pour être valides. Au moment où l'incongruité de la scène lui dessinait un léger sourire, il se rappela les fameux chèques de banque certifiés qui accompagnent les transactions « importantes » et il ravala tout de go son sourire bête. Cette pratique, pour anecdotique qu'elle soit, est loin d'être une survivance isolée de temps moyen-ageux. Elle façonne le comportement de chacun et se substitue à la responsabilisation de chaque individu par un transfert de son autorité à celle d'une entité abstraite et omniprésente. Elle est donc à ranger parmi les multiples réflexes qui minent l'initiative individuelle et le vivier de développement qui l'accompagne.