DEVANT LES TRIBUNAUX Chambre criminelle de Casablanca Couleur bleue métallisée, la Citroën s'arrête devant une agence bancaire BMCE d'un quartier périphérique de Casablanca, à Ain Sebâa. Le chauffeur descend en premier et ouvre la portière libérant ainsi le passage à Madame. Une petite beauté sur pied. Ghizlane, la trentaine, tirée à trente-six épingles, élégamment maquillée et fortement parfumée se dirige vers la porte d'entrée de l'agence. Les têtes baissées se relèvent, les regards déshabillent la silhouette de cette sirène qui avance avec insolence presque jusqu'au bureau du directeur. A Ain Sebâa, zone industrielle, ce sont plutôt les ferrailleurs, les mécaniciens et les coursiers en bleu de chauffe qui constituent la clientèle de ces agences bancaires. Ghizlane prend immédiatement place dans le bureau et étale son charme. Dans le courant de la discussion, elle déclare vouloir obtenir un crédit immobilier d'une valeur de 1.400.000,00 DH. Informée des documents à produire pour la constitution du dossier et l'obtention du crédit, elle quitte le bureau et ses employés avec le sourire et la promesse de revenir munie des papiers demandés. Madame rejoint sa voiture dans un ballet de mouvements séducteurs et la vie reprend son cours normal, avec les ferrailleurs et les coursiers. Une fois le dossier constitué, Ghizlane revient déposer photocopies légalisées et original de tous les documents demandés : CIN, attestation de travail, bulletins de paie, attestation de la conservation foncière, relevés de comptes… Enfin tout ! Et elle quitte l'agence sur une note agréable comme l'exige l'éducation bancaire. On l'accompagne même avec tous les honneurs jusqu'à la porte. Et au moment où elle parcourt le tronçon qui la sépare de la voiture et du chauffeur, Ghizlane croise un passant qui la bouscule un peu. Elle ne tombe pas et le chauffeur accourt. Tous croient que le passant allait arracher le sac de Madame. C'est juste un homme étourdi qui a raté un trottoir. Excuses suivent sourires. Plus de peur que de mal. Ghizlane s'en va. Dossier accepté Belle impression. Le dossier est constitué à la perfection. Mais le directeur et ses assistants, doutant d'une attitude enjôleuse de Ghizlane, passent à la loupe les documents remis. Tous étaient clean. N'empêche une petite consultation auprès de la police judiciaire pour avoir la certitude sur l'identité de la personne qui allait encaisser près de 1,5 million de DH. Pointé sur le terminal central de la DGSN, le nom de Ghizlane ne figure point sur l'écran. Curieusement, c'est un certain Mohktar qui ressort à chaque pointage. La sirène serait-elle un homme ou une ensorceleuse ? Ce serait peut-être un ou deux chiffres mal retranscrits sur la photocopie de la CIN, puisque les autres documents sont des originaux, particulièrement ceux de la conservation foncière et de la perception… Il a fallu temporiser et le directeur finit par appeler Ghizlane sur son portable lui demandant de se présenter à l'agence. Le dossier était “accepté”. Madame se présente et découvre que l'acceptation du dossier ne concernait pas la direction générale de la BMCE, mais celle de la PJ. D'abord, sur elle, dans son sac à main, la police découvre une carte magnétique et cinq chèques bancaires établis au nom d'une tierce personne. Ghizlane et Said le chauffeur sont immédiatement arrêtés. Une perquisition dans son appartement à Bourgogne permet la découverte de 60 autres chèques au nom d'autres personnes, du matériel informatique servant à scanner les documents, des cachets officiels d'administrations publiques… Ghizlane avouera que c'est son mari qui est l'auteur de toutes ces opérations qui ont déjà servi à tromper la vigilance de plusieurs employés de divers établissements bancaires. Ghizlane et Saïd le chauffeur ont été présentés devant le juge d'instruction à la Cour d'appel où un crédit d'un autre genre leur sera accordé mais le mari circule toujours sous plusieurs fausses identités.