Les librairies parisiennes ont été inondées ces derniers mois d'ouvrages souvent passionnants qui témoignent abondamment de l'intérêt supposé d'un large public pour l'histoire et le présent de l'Algérie. Il faudrait un livre entier pour rendre compte de chacun des volumes publiés ainsi à la faveur du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie et ce livre réclamerait, pour exister, des centaines d'heures de lecture ! Choisissons deux titres qui méritent une attention particulière car ils sont dépourvus de passion partisane mais expriment avec sincérité une passion loyale pour le pays que les auteurs nous font mieux connaître et mieux comprendre. D'abord, le Dictionnaire amoureux de l'Algérie (Plon, 2012) que signe Malek Chebel. Il faudra bientôt toute une vie pour compter les ouvrages que publie depuis 1984 (La Corps en Islam, P.U.F) ce polygraphe qui est anthropologue des religions et spécialiste de la vulgarisation à tout crin des savoirs et des enjeux concernant le monde arabe. L'arc de ses compétences se déploie de la traduction du Coran qu'il publia chez Fayard en 2009 au Coran pour les nuls (avec S.Sultan) paru la même année aux éditions First non sans qu'il y ait ajouté, toujours chez Fayard, un Dictionnaire amoureux des Mille et une nuits en 2010, précédé, en 2009 d'un Dictionnaire encyclopédique du Coran (Fayard) qui succédait à un Dictionnaire amoureux de l'islam (Plon, 2004). Le vertige nous menace ! Le Dictionnaire amoureux de l'Algérie est donc son trentième livre, en excluant les ouvrages écrits en collaboration. Une fois de plus, lecteur constatera que notre polygraphe n'est pas un styliste. Il raconte et explique avec la gouaille d'un intellectuel se mettant à la portée du public curieux et ne manque jamais une occasion de nous ramener à son propre vécu, posant ainsi son expérience personnelle comme une base de données incontournable, sans oublier la kyrielle de références érudites. En bien des points son Dictionnaire amoureux de l'Algérie ressemble à un Dictionnaire du dépit amoureux du fait de l'espérance démocratique constamment déçue, mais ce n'est pas l'angle le plus utile de son livre puisque telle opinion est abondamment partagée et n'enseigne rien. Son livre est le fruit des savoirs accumulés obstinément par un émigré qui affirme en préface, peut être avec trop d'assurance : « Ce dictionnaire ressemble à tous les Algériens, quels qu'ils soient ». Allons ! il ne ressemble nullement à l'assassin du romancier et journaliste Tahar Djaout ni à l'homme qui tua Mohamed Boudiaf ! Malek Chebel précise que son Dictionnaire amoureux de l'Algérie « est résolument anticolonialiste ». Imagine-t-il donc de la part d'un Algérien une alternative à cette conviction ?!! Il ajoute que l'ouvrage n'est à aucun moment « antifrançais » et prévient que « l'autoritaritarisme du système algérien est largement brocardé mais j'ai conscience que beaucoup d'Algériens sont victimes de ce système bien plus qu'ils ne le cautionnent ». Il y a plus d'un point commun entre ce Dictionnaire de Chebel et le beau livre inspiré et inspirant du poète et écrivain Eric Sarner Un voyage en Algéries (Plon, 2012). La parenté apparaît d'emblée. Sarner écrit : « Il arrive un instant dans le port où on n'entend plus rien. Déjà sorti, pas encore entré, on est en partance. C'est l'entre-deux, la lisière la plus intime. » là où Chebel avoue, dans l'entrée liminaire A ... comme Algérie : « Le retour au pays a toujours été un problème, la joie indicible se mêlant presque instinctivement à la crainte de ne plus se sentir chez soi, d'être devenu un étranger ». Sarner qui a des souvenirs d'enfance en Algérie défie cette crainte avec les armes de l'amitié. Son oncle vivait en face du siège du quotidien Alger Républicain, proche des milieux socialistes et qu'avait dirigé Henri Alleg, victime de la torture avant l'indépendance pour avoir voulu cette indépendance et qui dénonça cette odieuse pratique dans La Question. On retrouvera cet épisode dans l'ouvrage d'Anne Simonin Le Droit de désobéissance, sous titré Les Editions de Minuit en guerre d'Algérie (Minuit, 2012). Les années défilent dans le Dictionnaire... de Chebel comme dans Un voyage en Algérie et les deux auteurs rendent hommage à l'émir Abdel-Kader autant qu'au dramaturge Abdelkader Alloula dont le frère, le poète Malek Alloula m'apprit l'assassinat, un triste jour. Un des chapitres les plus expressifs du livre de Sarner est celui où l'auteur entreprend minutieusement de nous raconter les images du photographe Benyoucef Cherif. De 1988 à 1992, ce sont des images tragiques. Pour tâcher de dissiper l'affreuse odeur du sang versé, il faudra plus que le parfum du miel d'Algérie dont Chebel écrit qu'il n'est pas encore homologué, mais qu' « un industriel devait avoir le courage de se lancer : on aurait du miel de Biskra, du miel de Bougie pourquoi n'appelle-t-il pas cette ville Béjaïa ?-, du miel de Tamalous et de l'Edough... ». Ce Dictionnaire amoureux de l'Algérie où s'agite le démon de l'exhaustivité s'achève sur les mots « l'Algérie renaît toujours de ses cendres » tandis que Sarner cite Camus, non loin du terme de son voyage : « En ce moment, on lance des bombes dans les tramways d'Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c'est cela la justice, je préfère ma mère ». On terminera avec Samira Negrouche, citée par Sarner : « C'est sur les frontières qui nous séparent de notre histoire, de nos langues, de nos origines, de nos religions et de nos identités que nous entendons survivre à la blessure... ». Ces deux livres participent de la cautérisation.