Khalid Benghir vit entre le Maroc et la France, et excelle dans l'art de revisiter ses racines. Il a présenté, jeudi soir, une création identitaire, où rituels marocains, en l'occurrence hassani, sont réinterprétés dans une écriture contemporaine. [danse-contemporaine] La compagnie de danse contemporaine 2K far, sous la houlette du chorégraphe Khalid Benghrib, a présenté son spectacle en avant-première, jeudi soir, sur l'esplanade de la Scala. « Agnaw » – appellation donnée aux esclaves comme aux guerriers noirs de la garde rapprochée des anciens rois au 17e siècle en amazigh muet- est une triologie qui englobe : L'âada ou parade, Ch'tef Hay'tef ou pièce chorégraphique, et R'chem ou rituel musical rythmé par la puissance des instruments de percussion. Rencontre avec Khalid Benghir, directeur de la compagnie et chorégraphe émérité, qui dissèque ce projet à la fois anthropologique, chorégraphique et spirituel. [Khalid Benghir : « La danse hassanie me renvoie à des sensations différentes et une relation poussée au corps ».] Khalid Benghir : « La danse hassanie me renvoie à des sensations différentes et une relation poussée au corps ». Ch'tef Hay'tef est-elle une fusion ou un pur langage contemporain ? Je crée une identité chorégraphique marocaine contemporaine. Les intentions, le sens de l'écriture et la manière d'amener le corps à dialoguer est marocaine. Je prends le rythme folklorique et je le travaille d'une manière totalement différente. Ce n'est pas une fusion, c'est une création et une réécriture. C'est très simple, je prends le rythme hamdouchi ou hassain et je le réinterprète. Je décompense le geste et je parle un autre langage sans toucher au folklore. Je reste dans mon identité chorégraphique tout en développant un style propre. Comment définissez-vous le langage contemporain ? Je suis dans l'écriture fragmentaire, et mon écriture découle de mes balades. Quand je sors, je vois un ensemble de fragments en rapport avec des situations connues, et je m'en inspire. Mon histoire n'a ni début ni fin, et ma manière de dérouler la syntaxe dramatique est dans ce conditionnement, et je suis sûr que cette manière parle aux gens. Vos avez opté pour la danse hassanie comme inspiration pour votre pièce chorégraphique, pourquoi ce choix ? En terme de danse contemporaine, la danse hassanie m'interpelle. C'est une danse qui est en relation avec la nature. A l'intérieur du corps, il y a une certaine douceur accompagnée d'ondulations mais à l'extérieur il y a des repoussées qui résonnent. Elle implique des extensions nerveuses rythmiques que je trouve épurées et magnifiques, et me renvoie à des sensations différentes et une relation poussée au corps. Après cette avant-première, comment comptez-vous faire évoluer ce projet ? Pour le moment je vais me reposer (rires). Ce projet est monumental, il a une couleur identitaire, et va sûrement voyager, à l'instar des spectacles précédents. Il est plus enraciné dans la culture populaire, alors que les projets précédents étaient plutôt liés à la société. Le dernier, par exemple « Marrakech Toys » évoquait le Maroc comme troisième destination de tourisme sexuel au monde, ou aussi les jeunes, hommes et femmes, qui se vendent. Celui d'avant avait trait au printemps arabe, ou encore la discrimination dans la société marocaine. Quel regard portez-vous sur la relation avec le corps, dans votre pays ? Je fais partie de la culture du sud et quand, petit, je m'exprimais sur la terrasse ou dans le salon, rien n'était interdit. J'ai même vu ma grand-mère danser dans la rue. Il y a un paroxysme ambiant: on est soit dans la sensualité ou dans le refoulement, et cet état des choses n'est pas le synonyme d'un corps libre. Le corps libre dans une société implique harmonie d'existence entre la nature et la civilisation. C'est une question de volonté et d'instinct. Ma grand-mère n'était pas cultivée, mais elle était juste emportée par la musique. C'est ce rapport-là qui m'a marqué. Un mélange de sonorités Hamdouchi, Gnaoui, Hassani… Ch'tef Hay'tef, est une reproduction artistique du rituel de laveurs de tapis (chettafa), un cérémonial en voie de disparition, excepté à Chefchaouen. Happés par une gestuelle organique hypnotisante, les dix danseurs de la compagnie 2K far, accompagnés de neuf musiciens guidés par Hassan Boussou, et deux porteurs d'eau, ont déroulé, jeudi soir, vingt-six tapis, au rythme de la danse Hassanie. En quelques minutes, l'esplanade de la Scala s'est mue en une arène dansante où la gestuelle guerrière l'emportait, où hommes et femmes, habillés de hakamas (pantalons portés par les samourais), s'empoignaient et évoluaient étroitement. Souffles et ondulations se succédaient jusqu'à atteindre des paroxysmes dignes d'une transe gnaouie. En deuxième partie, le public a assisté au «R'chem» ou symphonie rythmique, guidée par le mâalem Hassan Boussou. Percusionnistes et musiciens ont orchestré un dialogue puissant entre différents t'bals, dont trois grands tambours conçus spécialement pour ce cérémonial, inspirés des kodos (tambours japonais) ainsi que les tamtams traditionnels mêlant sonorités Hamdouchi, Gnaoui, Hassani. « Le r'chem revisite la composition par les différents t'bals, et interroge l'écriture musicale rythmique, sans perdre la notion de transe et de loupe », a expliqué Khalid Benghir, lors de la conférence de presse précédant le spectacle. Le troisième volet de cette avant-première, L'âada (parade) n'a pas été présenté. Malgré cette omission, le spectacle a épaté plus d'un. * Tweet * * *