Le 16 mai 2003, Casablanca a saigné. Des terroristes se font exploser à l'hôtel Golden Tulip Farah, au restaurant Casa de España, au bâtiment de l'Alliance israélite et au cimetière juif de la ville ainsi qu'au consulat de la Belgique. 9 ans après, le deuil reste inachevé. Les attentats du 16 mai 2003 ont choqués les Marocains du fait qu'ils ont marqué la première action terroriste d'envergure ciblant la métropole. «Nous essayons de vivre comme tout le monde même si c'est très difficile pour nous. Chaque famille victime a des enfants qui sont en train de grandir, ils se posent des questions et veulent connaître la vérité sur ce qui s'est passé. Nous essayons de nous remonter mutuellement le moral grâce à des associations que nous avons créées et qui scandent tous le même slogan : Non au terrorisme ! ». Souad El Khammal, veuve d'une des 41 victimes des attentats du 16 mai et présidente de l'Association des victimes du 16 mai a le verbe ferme et le ton grave. Son courageux et fort combat contre toute forme d'obscurantisme, d'intégrisme où d'extrémisme se conjugue quotidiennement sur le terrain. Elle rejoint la centaine d'autres personnes blessées, physiquement, suite aux attentats, ou moralement, suite à la perte de leurs proches, et estime, tout autant qu'eux, que « le soutien moral se fait de temps en temps, mais l'indemnité peine à leur parvenir ». L'Etat a indemnisé les familles des victimes mais n'a toujours pas indemnisé les blessés. « Leur dossier traîne toujours 9 ans après les attentats et cela devient grave », nous apprend-t-elle. Mais ce n'est pas la seule chose reprochée à l'Etat. Ce dernier peine aussi à révéler la vérité sur ces attentats, car ceux qui sont en prison ne sont pas forcément les vrais coupables, estiment plusieurs… Dossier du 16 mai à revoir, détenus à rejuger… Le sujet est délicat car il s'agit de terrorisme. Dire que le dossier du 16 mai doit être revu car il n'a pas rempli tous les fondements de la justice est encore plus délicat. Khadija Riyadi, présidente de l'Association marocaine des droits humains, sait en tout cas de quoi elle parle. « Le 16 mai est un drame. Non seulement du côté des droits des détenus mais aussi du côté du réconfort des familles des victimes. Les détenus du 16 mai sont en grève de la faim depuis le 9 avril dernier. Depuis 2003, les détenus du 16 mai ont carrément vécu les années de plomb de l'époque Hassan II. Ils sont torturés et envoyés vers le centre de détention de Témara. D'ailleurs, même le roi l'avait reconnu dans ses discours. Il avait dit qu'il y a eu des dérives au niveau de l'application des lois et de la justice dans ce dossier, mais aucune réaction n'a été entreprise par la suite », soulève la militante. Cette dernière estime que le jugement n'était pas véridique et que la justice marocaine doit donner la vraie version des faits. « Grand nombre de ceux qui ont été arrêtés n'ont rien à voir avec le terrorisme et l'intégrisme. Concernant le procès, encore une fois, rien n'a été respecté. Ni la présomption d'innocence, ni la dignité des personnes. Nous exigeons un procès équitable. Il faut rejuger les détenus du 16 mai. Tous les Marocains veulent connaître la vérité », conclut Riyadi. Les établissements visés ont mis du temps à reprendre leur activité après leur rénovation. Quelque 700 accusés toujours en prison Depuis sa cellule, le présumé coupable Mohamed El Omari avait écrit deux lettres. Dans sa première lettre, il avait réaffirmé son innocence et avait juré ignorer que le sac qu'il portait contenait des explosifs. Dans sa deuxième lettre il dit qu'il ne sait toujours pas pourquoi il a été arrêté après les événements du 16 mai et ne sait rien des attentats… « Nous aussi au sein du comité, nous ne savons toujours pas pourquoi ces personnes ont été arrêtées et qui sont les principales personnes derrière ces attentats. Au lendemain des attentats, l Etat a arrêté près de 11 000 personnes. Certaines ont été libérées. Aujourd'hui, quelque 700 détenus sont toujours derrière les barreaux. », nous révèle Anas El Haloui, membre du Comité de soutien des détenus islamistes. Pour son compte, Mustapha Ramid, le ministre de la Justice reste catégorique : « La justice est ainsi faite : certains sont libérés car ils sont innocents, d'autres restent en prison car ils sont coupables. Est-ce que El Kettani doit être traité comme Fikri ? Le premier n'a tué personne d'après l'enquête de la police. Mais Fikri, par exemple, a lui-même avoué avoir tué. Est-ce que la justice doit libérer tous ceux qui se disent innocents ? Je ne pense pas. ». 3 QUESTIONS À … Mohamed Darif, politologue et spécialiste des mouvements islamistes marocains Après 9 ans des attentats du 16 mai, quelle est votre analyse du mouvement salafiste ? Est-il toujours si radical ? Depuis 9 ans la donne a changé. Même si certains pensent toujours que l'Etat instrumentalise les salafistes contre les chiites et Al Adl Wa Al Ihssane. Les salafistes qui étaient traités de radicalisme et d'intégrisme ne menacent plus la stabilité du pays. Depuis l'année dernière, les cheikhs salafistes ont même pu bénéficier de la grâce royale et l'hospitalité récente de Ramid. Les salafistes d'aujourd'hui s'intéressent notamment à la politique et parlent même de création de partis politiques. Que fait l'Etat pour recadrer les idéologies extrémistes des Salafistes ? Les salafistes ont subi un malentendu au début. Ils étaient traditionnels et adoptaient des positions fermées voire anti-modernistes. Mais ces salafistes n'ont jamais prôné la violence et c'est pour cela qu'ils ont toujours accusé les autorités d'entamer contre eux un règlement de compte. En plus, le salafisme n'a été lié au terrorisme qu'après le 11 septembre 2001. L'Etat a entamé une révision générale des positions religieuses chez les salafistes. Aujourd'hui même les salafistes djihadistes défendent la monarchie, appellent au vote et sont pour la démocratie, même si elle n'a rien à voir avec l'islam. D'un côté l'Etat travaille sur le volet sécuritaire c'est-à-dire la politique préventive, la logistique et l'appareillage sécuritaire. L'autre volet reste celui de la révision de la politique religieuse du pays. Il y a une nouvelle identité religieuse qui s'installe pour lutter contre l'idéologie extrémiste. Le Maroc tend à se présenter comme un pays ouvert sur toutes les croyances. Le PJD a-t-il « équilibré » le salafisme ? Le PJD a encouragé les salafistes marocains à sortir de leur coquille et de s'engager dans la politique. D'ailleurs, même la politique égyptienne a, un tantinet, poussé les salafistes marocains à se mettre aux créations des partis politiques. Mais il ne faut pas se leurrer, le terrorisme au Maroc ne date pas d'hier. Il suffit juste de penser à feu Omar Benjelloun, assassiné en 1975, le groupe 26 et le groupe 71 de la Chabiba islamiste des années 83-84, ou encore l'attentat du 24 août 1994 à Marrakech à l'Hôtel Atlas Asni…
Sit-in, conférence et espoir La date du 16 mai est non seulement un trauma pour les familles des victimes mais aussi une sorte d'épitaphe qu'ils rééditent d'année en année. Son ton se veut consolations et tentatives d'oubli. « Aujourd'hui, je vois à travers chaque jeune un enfant qu'il faut sensibiliser et éloigner des idéologies ou sentiers intégristes. » L'Association des victimes du 16 mai organise les journées de la tolérance du 14 au 17 mai en collaboration avec la délégation de Nouaceur à Dar Bouazza, au lycée qui a porté le nom du fils de Souad El Khammal, Tayeb El Khammal, grâce à un monsieur très clément, nous confie Souad. Le même jour un sit-in sera tenu devant la stèle commémorative érigée à la Place Mohammed V à Casablanca à 18h30. Le Comité de soutien des détenus islamistes organise lui aussi une conférence de presse mercredi. Le lendemain, un sit-in devant le ministère de la Justice sera également tenu. * Tweet * * *