Quel était le déclic pour que vous organisiez une telle manifestation sportive ? Je dirais que c'est mon expédition solitaire que j'ai faite dans le Sahara en 1984. Je suis parti douze jours, je ne savais pas combien de temps j'allais mettre. J'ai décidé de faire un parcours de 350 km du Sahara en autonomie complète : eau et nourriture. J'avais un sac de 35 kilos. Cela a été une belle aventure. L'arrivée était insignifiante par rapport au chemin que j'ai parcouru pour arriver, parce que mon sac était vide, mes mollets étaient gonflés mais ce qui était intéressant, c'était le chemin que j'avais parcouru. Et ça, c'était une expérience que j'ai voulu partager, en apportant un témoignage aux quelques petits sponsors locaux de ma ville qui m'avaient aidé. En fait, cela a suscité des intérêts de personnes qui me disaient : Patrick c'est formidable. On aimerait bien vivre un truc comme ça. Je me suis rendu compte que tous n'étaient pas assez fous, peut être, pour avoir envie de partir tout seul avec un sac, de l'eau, de la nourriture et traverser le désert et j'ai dit pourquoi ne pas organiser une épreuve sportive aux caractéristiques assez proches de mon expédition. C'est-à-dire : mêler à la fois le désert, l'aventure sportive, et l'esprit d'aventure. On a mis ce concept en place et deux ans après, on a eu 23 concurrents qui nous ont fait confiance. Et puis c'est devenu au fil des ans ce qu'on connaît, et là on est près d'un millier de coureurs de 49 pays, un record. Donc voilà on est content, surtout qu'on se sent privilégié de faire quelque chose qui nous apporte énormément de satisfaction sur le plan professionnel, sur le plan humain, mais également sur le plan relationnel, dans un pays qui nous a ému depuis longtemps. Pour moi, le Maroc c'est mon deuxième pays. J'y ai des amis du nord au sud. Ici ce sont mes frères de sable comme je les appelle. Ce sont les mêmes avec qui je travaille depuis pratiquement deux décennies. Il y a une vraie solidarité, une vraie complicité. Tout le monde sait ce qu'on attend les uns des autres et tout ça dans un respect total. C'est l'esprit de la course. Et c'est ce qui donne de la valeur à l'événement. Comment arrivez-vous à gérer tout cela ? J'ai la chance d'avoir une équipe fantastique autour de moi. On dit, quand on traverse l'océan « même si on est un bon skippeur, si on a un mauvais équipage, le bateau ne va pas arriver à destination ». Donc il faut savoir s'entourer, faire confiance, apprendre à déléguer, ne pas avoir le nez partout, parce que quand j'ai créé cette épreuve, on était très peu, 23 coureurs. Vous imaginez, on s'occupait de tout, on faisait tout en même temps, maintenant il y a de gros départements : logistique, postes de contrôle, commissaires de bivouac et j'en passe, et tout cela est coordonné par des chefs de postes qui ont les responsabilités et puis tous les scénarios sont écrits. C'est comme dans un film de cinéma, tout est rédigé à l'avance. Les scénarios sont écrits jour par jour. On sait qui fait quoi de telle heure à telle heure, il peut y avoir des modifications. Mais la trame est là, donc on n'a qu'à suivre le conducteur qui a été déjà pensé, bien en amont, en concertation avec l'ensemble des chefs de postes. C'est ce qui fait que cela marche bien. Il y a de la rigueur mais en même temps il y a du plaisir parce qu'il y a un bon état d'esprit, des valeurs qui nous réunissent, du partage, de belles émotions, de respect, de tolérance, d'écologie, d'éthique, et ça aussi on le ressent dans cet esprit de famille. Cela donne une force incroyable à l'organisation. Avez-vous toutes les facilités administratives requises pour une telle organisation ? Des fois on peut perdre patience. Cela peut arriver, mais il faut rester positif. Il n'y a pas satisfaction sans effort. On a certes une expérience de 27 années, mais il n'y a pas d'acquis. À chaque fois, il faut tout remettre sur la table, tirer les enseignements de l'année précédente pour voir ce qu'on peut faire de mieux pour s'organiser. Par exemple, on a décidé avec le ministère du Tourisme et la Direction des douanes de faire un débriefing au mois de mai. Franchement, en règle générale, tout le monde fait des efforts pour nous aider, pour que tout se passe bien. Cela fait aussi dix sept années consécutives que Sa Majesté le roi nous accorde son haut patronage, donc on est vraiment hyper-heureux, et hyper-fiers de cette haute bienveillance, de cette confiance qu'il a dans notre organisation. On a aussi la caution morale du ministère du Tourisme, c'est aussi important. Ce n'est pas pour ça que nos camions ne vont pas être bloqués six heures à la douane ou d'une administration à l'autre, ou parce que le transitaire n'est pas venu, mais bon cela fait partie des aléas de événementiel et de l'organisation. Tout le monde joue le jeu. Les douanes de Ouarzazate nous ont aussi aidés, notamment pour l'équipe de TV brésilienne qui était bloquée. On donne une caution morale, mais nous aussi on nous nous engageons à titre personnel. Tout est question de confiance. Même si au dernier moment, il nous manque une autorisation, on sait que ça va se faire. Et les autorisations, il nous en faut beaucoup : faire voler les hélicoptères, le tournage, l'ANRT pour les licences radios satellite. C'est beaucoup de travail administratif. A quel moment êtes-vous le plus content, quand c'est un marocain qui gagne ou un étranger ? Quand c'est le plus méritant qui gagne. Il n'y pas de différence de nationalité. Je suis fier de Lahcen et Mohamed Ahensal. C'est une belle aventure, une belle histoire, sa majesté leur a donné un wissam sportif exceptionnel. Lahcen sort bientôt son livre que j'ai présenté à la conférence de presse à Paris, il y a quinze jours en avant-première. Il sera à Ouarzazate pour la remise des prix et la dédicace de son livre. Je suis content qu'il nous rejoigne. Mohamed Ahensal est toujours là. Il a formé un jeune, Rachid Morabiti, qui l'a battu l'année dernière. L'élève a dépassé le maître. Voilà, c'est la règle du jeu. Morabiti est là pour reprendre le flambeau, mais Mohamed Ahensal ne se laissera pas faire. Il y a également beaucoup d'autres athlètes français, portugais, espagnols qui sont bons aussi, donc que le meilleur gagne. u