Le tribunal Russell, comme il sera connu, n'a aucun caractère légal mais agit comme un tribunal populaire des consciences face aux injustices et aux violations du droit international qui ne sont pas prises en compte par les juridictions légales internationales. Encore une fois, le Tribunal Russell revient secouer les consciences. En 1966, faisant suite à la publication du livre de Betrand Russell, «War Crimes in Vietnam», alors que les Etats-Unis s'enfoncent dans une sévère défaite au Vietnam, se réunissent des intellectuels de renom autour de Bertrand Russell, prix Nobel de littérature en 1950, anticipant en quelque sorte avec ce tribunal informel, les bases intellectuelles de ce qui sera plus tard le Tribunal pénal international. Initialement prévu en France, le tribunal devra se rabattre sur Stockholm après l'opposition de Charles de Gaulle. Russell, âgé de 94 ans ne pouvant faire le déplacement, ce sera Sartre qui présidera aux séances à Roskilde en 1967. Parmi les personnes qui entourent Sartre, il y avait l'écrivain James Baldwin, Marcel-Francis Kahn qui remet le couvert avec le Tribunal Russell sur la Palestine tout comme l'inénarrable Gisèle Halimi et aussi un certain Claude Lanzmann en qualité de suppléant… Constitué de 15 personnes dont Simone de Beauvoir, ce jury poursuit le but paradoxal de redonner à l'action politique internationale sa dimension éthico-juridique. La première session, du tribunal Russell sur la Palestine a permis de détailler les manquements de l'Union européenne et de ses Etats membres à leurs obligations légales et à leurs valeurs morales concernant les relations avec Israël. Des témoignages de personnes ayant été sur les lieux donnent lieu à un jugement sévère de l'administration américaine, coupable d'avoir commis une agression selon les termes de la loi internationale et de s'être livrée à un génocide contre les Vietnamiens. Bien que ses jugements n'aient aucune valeur coercitive, «Nos rapports ont accéléré la fin de la guerre», se souvient Gisèle Halimi, qui présidait à l'époque une commission d'enquête. «Ca a été une traînée de poudre dans les universités. Le peuple américain a pris conscience qu'il était complice de crimes de guerre» Dans les années 70, le Tribunal Russell II, présidé par Lelio Basso homme politique italien, tint trois sessions à Rome, Bruxelles puis de nouveau Rome pour statuer sur l'impunité dont bénéficiaient les auteurs de crimes contre l'humanité en Amérique Latine (Brésil, Argentine, Chili). Quelques années plus tard, au plus fort de la crise au Congo et devant l'indifférence totale de la scène mondiale, le Tribunal Russell reprend du service, sous la houlette de Pierre Galand, homme politique belge et Anne-Marie Lizin-femme politique belge, en se réunissant en septembre 1982 à Rotterdam pour évoquer les crimes de guerre commis sous le règne de Mobutu. Enfin, au moment de l'invasion américaine en Irak, un tribunal mondial, sur le même modèle que le tribunal Russell s'est réuni à Istanbul en juin 2005, avec un impact très limité. Composé d'anciens responsables de l'ONU et de personnalités de différents bords, le tribunal a procédé à des auditions sur différents événements de la guerre avant de délibérer sur la légalité de celle-ci ainsi que sur le rôle des Nations unies et des médias. Aujourd'hui à l'appel des trois personnalités Ken Coates (homme politique britannique, président de la Fondation Bertrand Russell), Nurit Peled (Professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem, Prix Sakharov 2001) et Leila Shahid (déléguée générale de Palestine auprès de l'Union européenne); sous la présidence d'honneur de Stéphane Hessel, un des rédacteurs de la Déclaration Universelle des Droit de l'Homme, Ambassadeur de France et une personnalité reconnue pour son humanisme et son attachement à la justice et sous le parrainage d'une centaine de personnalités internationalement reconnues, comme Mairead Corrigan-Maguire (Irlande du Nord, lauréate du prix Nobel de la Paix 1976), Cynthia McKinney (USA, ancienne membre du Congrès et candidate présidentielle pour le Green Party) ou encore Aminata Traoré (Mali, militante pour les droits humains, écrivaine et ancienne ministre), le «Tribunal Russell sur la Palestine» qui a pris ses quartiers à Barcelone vise encore une fois à réaffirmer la primauté du droit international comme base du règlement du conflit israélo-palestinien. L'initiative peut-elle ébranler Israël comme elle ébranla les Etats-Unis ? Gisèle Halimi en doute : «L'ONU a déjà clairement condamné Israël, sans effet. Quant à la population israélienne, hormis une minorité très courageuse, elle reste persuadée qu'elle lutte pour sa survie et que cela excuse beaucoup de choses. Mais le jugement du tribunal sera un appel aux consciences. Et peut-être pourra-t-il être transmis au Tribunal Pénal international de La Haye …» La première session, du tribunal Russell sur la Palestine a permis de détailler les manquements de l'Union européenne et de ses Etats membres à leurs obligations légales et à leurs valeurs morales concernant les relations avec Israël, puissance occupante de la Palestine. Au-delà de la stricte responsabilité israélienne, il s'agit de démontrer dans quelle mesure les Etats tiers et Organisations internationales sont complices, par leur passivité et/ou par leur soutien actif, des violations des droits du peuple palestinien commises par Israël, et du fait que cette situation perdure et s'aggrave. Il s'agira par la suite d'établir comment cette complicité donne lieu à des responsabilités internationales. L'organisation d'un Tribunal Russell n'ayant pas de caractère officiel, la portée de ses jugements prononcés et ses conclusions repose sur sa capacité à mobiliser l'opinion publique qui fera, à sont tour, pression sur les gouvernements pour obtenir les changements politiques indispensables à la réalisation d'une paix juste et durable au Proche Orient.