Quelle appréciation faites-vous de la campagne présidentielle ? Les élections de 2012 se situent dans un moment historique rare. Nous assistons à 3 mouvements simultanés, sur fond de désordres : le sentiment de faiblesse de l'Europe, l'émergence de nouvelles puissances régionales ou mondiales et le retour en force des sociétés civiles dans le monde, et particulièrement de ce côté-ci de la Méditerranée. Personne ne sait encore de quel côté l'histoire va pencher : vers le progrès et la raison ou vers les violences et les inégalités. Il est temps de proposer un nouveau modèle de développement qui bénéficie à tous et protège aussi notre environnement. Si je pose ce cadre, c'est parce que le premier enjeu posé dans cette élection présidentielle est de choisir qui portera la parole de la France dans le monde, sur quelles valeurs et pour quels objectifs . Comment expliquez-vous que Nicolas Sarkozy et François Hollande soient quasiment au coude à coude ? Sans doute parce que, dans la période que je viens d'évoquer, les Français veulent aller à l'essentiel, au-delà des nuances existant au sein de la droite et de la gauche. D'un côté, le repli national et le « tout marché » ; de l'autre, l'ouverture au monde et l'Etat stratège et régulateur. Mais monsieur Sarkozy est un bagarreur, reconnaissons-lui au moins cela. Et comme, en plus, il dispose largement des moyens de l'Etat pour faire sa campagne, la compétition va être difficile. Mais je crois qu'en adoptant une posture agressive contre François Hollande, il commet une erreur. Pouria Amirshahi entouré par Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères et Harlem Désir, ex- Premier Secrétaire du PS, lors d'un débat organisé le 9 octobre 2010 au centre des congrès du CNIT en France. Pourquoi avez-vous décidé de vous porter candidat aux élections législatives des Français de l'étranger ? Pour trois raisons. D'abord, je veux contribuer au changement que nous incarnons et qui sera porté au sein de l'Assemblée nationale. J'ai 40 ans, mon parcours professionnel et mes engagements citoyens m'ont donné de l'expérience et de la maturité. Aux côtés de Martine Aubry, j'ai assumé mes responsabilités de dirigeant politique d'un grand parti, en tant que secrétaire national à la coopération et à la francophonie. Désormais, je me sens prêt. Ensuite, je veux m'engager en faveur de nouveaux rapports de coopération économique et culturelle, notamment en faisant revivre la francophonie, qui ne doit pas rimer avec le «rayonnement» de la France mais avec la construction d'une communauté de destin, au sein de laquelle les identités et cultures plurielles peuvent s'enrichir mutuellement. Enfin, je connais bien les pays de cette circonscription et beaucoup de nos compatriotes qui y résident, et c'est pour moi un atout primordial. Comment êtes-vous organisé pour votre campagne ? Mes choix de campagne s'organisent à partir du Maroc. Mais il faut parcourir 16 pays, avec un budget limité. Je m'appuie beaucoup sur les conseillers des Français à l'étranger dans chaque pays, comme Berangère El Anbassi au Maroc, et aussi sur les militants et sympathisants dont l'aide et les conseils sont plus que précieux. Naturellement, je suis accompagné de Martine Vautrin Djedidi, qui est ma suppléante et elle est également élue à l'AFE (Assemblée des Français à l'étranger). Nous sommes tous les deux très soudés. En outre, j'ai un site Internet et plusieurs pages Facebook qui permettent de construire un lien de communication et d'information avec beaucoup d'électeurs. J'effectue beaucoup de déplacements de terrain. Je note d'ailleurs que je suis le seul à ce jour à les rendre publiques et à en restituer les moments sur mon site Internet : faire campagne, c'est aussi confronter ses idées au réel. Je m'amuse de voir que beaucoup de mes propositions sont reprises par certains concurrents : sur les maisons de retraite, sur la couverture médicale, sur l'aide aux entreprises et aux stratégies de coopération économique. Mais je ne vais pas m'en plaindre. Les principales revendications des Français installés à l'étranger sont la gratuité de l'enseignement et celle de la santé, comment comptez-vous y répondre ? Allez demander aux parents d'élèves du primaire et du secondaire, qui s'acquittent parfois de plus de 350€ par mois de frais de scolarité alors que pas une seule école privée en France ne propose ces tarifs, ce qu'ils pensent de la soi- disant gratuité de monsieur Sarkozy. Pour tous les résidents ,nous agirons pour diminuer les frais de scolarité. Nous demanderons également aux grandes entreprises, comme cela était le cas par le passé, d'accompagner leurs cadres expatriés dans la prise en charge de la scolarité de leurs enfants. Mais nos écoles ne doivent pas être exclusives : il faut aussi que des familles marocaines puissent y accéder, c'est là que commencent les liens entre nos deux pays. Plutôt que la sélection par l'argent qui a été instaurée, nous voulons une école publique de l'excellence. Ce qui suppose aussi d'aider les enseignants et de remettre en place des formations professionnelles que l'UMP a supprimées. Imagine-t-on des médecins opérer sans avoir eu de période d'apprentissage professionnel ? Eh bien figurez-vous que c'est pourtant ce que monsieur Sarkozy a choisi de faire avec les enseignants ! Du coup, ils n'ont plus la possibilité d'acquérir des bonnes pratiques pédagogiques. Ceci est une de leurs réclamations et ils seront suivis sur ce point. Quant à la santé, je rappelle ici que l'actuel gouvernement français a décidé de se désengager de la prise en charge de la 3ème catégorie aidée, celle qui avait été mise en place par la gauche en 2002 au sein de la Caisse des français de l'étranger. Cette caisse est d'une certaine manière l'équivalent de la «sécurité sociale» des compatriotes de l'étranger mais aujourd'hui elle est devenue un organisme de moins en moins accessible dans ses financements avec les effets d'évictions pour ceux qui n'ont pas les moyens d'adhérer aux tarifs de cotisations désormais proposés … Nous voulons une protection sociale plus accessible financièrement et une grande négociation devra avoir lieu entre les différents acteurs de ce domaine. N'oublions pas cependant que parfois, tout dépend des accords bilatéraux, cela se jouera donc aussi sur le terrain diplomatique, en particulier pour établir des réciprocités de droits. François Hollande est annoncé au Maroc dans les prochaines semaines, est-ce que ce sera l'occasion pour le PS de donner une nouvelle impulsion dans les relations entre les deux pays ? François Hollande veut dire à nos amis marocains qu'ils peuvent compter sur une France fraternelle et soucieuse de construire des rapports d'égalité. J'ai vu dans une enquête récente que 77% des Marocains disaient aimer la France. Sachez que les Français aiment aussi le Maroc. Malheureusement, ces dernières années ont été marquées par des dérapages inacceptables qui n'ont pas fait honneur à l'image de notre pays. Mais, puisque je parle d'amour, vous connaissez cet adage : il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour. Ce sont ces preuves que nous voulons donner. Nous agirons dans deux directions : les coopérations économiques et les coopérations culturelles, en passant aussi par une autre approche des visas de circulation, en particulier pour faciliter la mobilité des étudiants, des scientifiques, des chercheurs, des artistes et des chefs d'entreprises. Il est temps de remplacer les logiques de prédation et de concurrence agressive par une logique de coopération, en particulier à l'échelle régionale. La France et le Maroc, par leur histoire commune et leur géographie, sont en première ligne pour mener ce combat, en commençant par le bassin méditerranéen. Il faut aussi évoquer des sujets complexes, c'est le meilleur moyen de surmonter des contradictions. Je vais prendre un risque politique en prenant l'exemple de l'installation de Renault à Tanger. Ceux qui en France ont dénoncé a priori une délocalisation ont eu tort : il s'agit au départ d'une usine de production d'entrée de gamme. Je veux saluer les ingénieurs et les formateurs expatriés français qui contribuent à développer les liens économiques et à faire connaître le savoir-faire français. Mais si les voitures fabriquées sont destinées à être réimportées sur le marché européen, alors personne n'y gagnera et les salariés de France pourront craindre que leurs emplois soient condamnés à disparaître… A l'inverse, s'il s'agit d'une usine destinée au marché régional, voire continental, alors chacun sera gagnant. En parler, c'est aussi le meilleur moyen de sortir des contradictions dans les rapports commerciaux et industriels entre nos deux pays. Si nous élaborons ensemble une stratégie industrielle et commerciale, tous les espoirs sont permis. Concrètement ? Encore une fois, la coopération sincère vaut mieux que la concurrence non maîtrisée. Je veux prendre aussi un autre exemple : l'article 30 de la nouvelle Constitution marocaine ouvre la voie au droit de vote des étrangers aux élections locales sous réserve de réciprocité. Ce droit existe aussi au Cap-Vert, au Burkina-Faso et en Guinée. C'est une idée que nous défendons également depuis longtemps. Je m'adresse donc à celles et ceux qui ne partagent pas cette idée d'y réfléchir à deux fois : si cette mesure était adoptée en France, elle leur donnerait aussi le droit de participer à la vie de leur commune, quand ils y résident depuis un certain temps. N'est-ce pas là une vision concrète de la citoyenneté ? Un dernier mot en guise de conclusion? Dans cette circonscription, j'admire nos compatriotes qui, quelles que soient leurs opinions politiques et dès lors qu'ils vivent dans le respect de leur pays d'accueil, contribuent quotidiennement à changer les choses dans le bon sens. Qu'il s'agisse de jeunes expatriés, de résidents de longue date, de retraités ou de binationaux qui agissent des deux côtés, toutes et tous sont dynamiques et solidaires. C'est grâce à eux d'abord que s'unissent nos deux pays. L'élection de députés pour les représenter constitue une chance formidable pour représenter aussi cette France-là, trop souvent oubliée. Je serai fier de porter leurs couleurs à l'Assemblée nationale. Je ne veux pas sombrer dans l'anti-sarkozysme primaire. Une élection ne se gagne pas sur le sectarisme. Mais les Français veulent tourner la page de 2007. A l'époque, ils ont été séduits par un homme politique qui donnait le sentiment d'être moderne ; aujourd'hui, ils voient un pays qui s'est abîmé et divisé. Beaucoup d'erreurs et d'injustices ont été commises. François Hollande, lui, s'appuiera sur toutes les forces vives de notre pays pour engager son redressement.