Salma Belaala est docteur en sciences politiques de l'Institut d'études politiques de Paris. Enseignante à l'Université de Warwick au Royaume-Uni, elle a travaillé sur le salafisme et le djihadisme au Maghreb et en Europe à partir d'une approche d'ethnographie locale. Elle a également réalisé une étude pour la Commission européenne (Bruxelles) sur la radicalisation néo-salafiste chez les jeunes en Europe. Cet entretien a été réalisé en marge de sa visite jeudi à l'Ecole de gouvernance et d'économie (EGE) à Rabat, où elle a donné une conférence sur le thème : « Politique et néo-salafisme au Maghreb : wahhabisation de l'islam local ». L'événement a été initié par le Centre de recherche sur l'Afrique et la Méditerranée (CERAM). Le wahhabisme ne date pas d'hier au Maroc. A-t-il été, un moment ou un autre, sous le règne des Alouites, exploité à des fins purement politiques ? N'étant pas moi- même historienne, je ne peux pas apporter d'éclairage sur cette question. Nous disposons sur cette question d'interprétations différentes selon les historiens. Al Djabiri a analysé la proximité de Moulay b. Adallah avec le hanbalisme comme un contre-pouvoir à l'encontre de la politique d'occupation du Maghreb par les Ottomans. D'autres historiens, l'école américaine, de l'islam pré-moderne maghrébin ont plutôt analysé la choix doctrinal salafiste wahhabite de Moulay b. Abdallah en son temps comme une tentative de contrer la siba maraboutique à l'époque. Quel a été le véritable rôle de Taki Eddine El Hilali dans le renforcement de la présence du wahhabisme au Maroc ? El Hilali comme son homologue algérien Abubakr al Djazairi ont été des passeurs importants au Maroc d'une interprétation islamiste du wahhabisme. Al Hilali a été en charge du premier journal édité par le fondateurs des Frères musulmans, Hassan al Bana en son temps. Par ailleurs, il a occupé des fonctions importantes au sein de l'appareil d'enseignement du dogme wahhabite en Arabie Saoudite. Ainsi Al Hilali a été à sa manière le précurseur d'une synthèse idéologique entre Frérisme et wahhabisme au Maroc. Que pensez-vous de la cabale qui a été menée, par les autorités, contre Mohamed Ben Abderrahmane El Maghraoui, justement un des disciples de Taki Eddine et « porte-fanion » du wahhabisme au Maroc ? El Maghraoui a été le grand perdant du fondamentalisme salafiste wahhabite finalement. N'ayant que l'association Dour al Quran comme appareil politique, il ne pouvait vraiment se permettre de s'imposer dans des rapports de pouvoir dans lequel il était fragile et finalement sans soutien important de la part de l'Arabie saoudite comme l'avait eu d'autres idéologues salafistes wahhabites qui ont pu bénéficier de positions prestigieuses dans l'international wahhabite dans les moments d'isolement politique dans leur pays d'origine. Quelle relation existerait-il entre le wahhabisme et le salafisme ? Sachant que la salafisme est une référence parmi d'autres à l'orthodoxie sunnite, le wahhabisme n'est qu'un courant idéologique parmi de nombreux courants de référence au textes sacrés. Jusqu'à quelle mesure l'Arabie saoudite a-t-elle joué un rôle dans « la migration » de l'idéologie wahhabite vers le Maroc et son voisin, l'Algérie ? La formation universitaire d'une nouvelle génération d'idéologues (Maghrawi au Maroc et d'autres en Algérie), la formation d'une idéologie de masse wahhabite sous le label salafiste (diffusion massive de l'imprimé, du livre à un coût financier symbolique), et les médias audio-satéllitaires, comme Ikra TV, qui renforcent au niveau global la politique d'une idéologie de masse. Est-il vrai que Moulay M'daghri Alaoui, ancien « vizir du culte » au Maroc sous le règne de Hassan II, aurait joué un rôle (même passif) dans la prolifération du wahhabisme dans le Maroc dans les années 80 ? Lui même s'en défend. Il attribue cette politique à une politique sécuritaire dont la dimension dépassait son niveau politique (voir son interview à ce sujet avec le journal TelQuel). Quel visage porte le wahhabisme aujourd'hui au Maroc : celui des salafistes, des salafistes modérés, ou tout simplement celui de Maghraoui et ses adeptes ? Le salafisme en tant que référence civilisationnelle ou encore idéologique, à l'orthodoxie sunnite est par essence une nébuleuse aujourd'hui. Le salafisme réformiste d'Al Arbi M'daghri et son élève Allal al Fassi se définissait comme libéral alors que le salafisme de Maghraoui est par essence fondamentaliste puisqu'il refuse le pluralisme religieux interne à l'islam (les quatre écoles, les libertés individuelles etc). Quelle lecture pouvez-vous faire de la grâce accordée récemment, par le roi, aux chioukh de la salafia au Maroc ? De quelle salafia s'agit-il ? La djihadia (Fizzazi) ou la ketaniyya ? Dans le premier cas ,il s'agit d'une question relative à l'idéologie terroriste et dans ce cas il s'agit d'une question sécuritaire dont le traitement politique n'est pas enoncé dans des termes lisibles. Je veux dire la formule politique, la vision politique nationale, marocaine en matière de grâce de la djihadia.